s
DISSERTATION SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE.
ni les moyens, ni la suite de l'événement^ narration
ss'est à proprement parler qu'un tiiTu d'ébauches, fem-
blable à un Tableau, qui ne préfenteroit qu'un amas
confus de têtes,fans lubordination &fans deffein. Cet
autre Auteur s'attache-t-il à particularifer fa matière ?
donnant dans la minutie il néglige le remarquable,il
coule sur le principal.ïmitant en cela un voyageur peu
scnfé, qui dédaigneroit fur fa route un ancien monu-
ment , un riche ouvrage d'architecture, pour con-
templer à fon aile la cabane d'un païfan. Cet Ecrivain
ne tombe pas dans les deux désauts précédens;il choi-
sit bien les faits, & il les manie avec difcernement ;
mais il satigue fon Lecteur an lieu de le divertir : ce
n'est pas un voyage agréable & utile, qu'on sait fous
la conduite de ce guide ; à peine vous a-t-il sait avan-
cer de quelques pas vers lebut,qu'il vous en rejette sort
loin, tantôt à la droite, & tantôt à la gauche : l'eïprit
devient coureur «Scvagabond dans cette lectus e,&son
attention étant partagée par une circulation Conti-
nuelle de parentheses & de digressions,il ne voit rien
à force de voir, & ce qu'il cherche le plus c'eft ce qu'il
trouve le moins. De plus, ces mêmes Auteurs ont sou-
vent le défaut de se peindre eux-mêmes dans leursOu-
vrages: dans combien d'endroits du Livre ne rencon-
tre-t-on pas une copie très reiïemblante de leur pro-
pre cœurrSans aucun égard à ce qu'ils ont promis dans
une lavante & pompeulè Préface, jamais ils ne man-
quent l'occafion de manifefter leurs fentimens.S'agit-
il d'une guerre de dogmes dans le culte ? l'opinion
qu'ils ont embraflee eft, félon eux,inconteftablement
la meilleure, l'hypothese contraire eft ridicule, & ç'a
été visiblement par violence qu'elle a triomphé. Un
Prince a-t-il étendu l'autorité monarchique jufqu'au
Defpotifme? il n'a plus de juftice à fc promettre au
tribunal de ces Hiftoriens ; tout ce qu'il fait de plus
beau, n'ell plus qu'une suite de sa tyrannie, & on l'a-
meneroit plutôt par sorce dans le chemin,que de n'a-
voir pas de temsentemsleplaifirmalindevomirun
fiel amer contre lui. La vengeance fait ausïi très bien
fon compte avec ce génie partial; & tel, grand hom-
me d'ailleurs, dit Adieu à toutes les loix de l'Hiftoi-
re, de II loin qu'il entrevoit fon ennemi, dès que
l'adverfaire eft à la portée du mousquet. Tous ces
travers néanmoins ne font pas inexcufables, puis
qu'il n'y entre point de mauvaise foi. Mais com-
ment saire grâce à ces lâches Ilistoiriens, qui altè-
rent & qui défigurent volontairement la Vérité ? Je
n'entens pas celui qui, pour cacher la turpitude d'un
nouveau Saint de riIéro'isme,ou plutôt pour ne point
deshonorer une samille, fupprime des actions crian-
tes , & des vices hideux ; je ne voi point que le
Code hiftorique oblige fous peine d'amende Litté-
raire , à diffamer les vivans & les morts ; n'en dé-
plaifeàun de nos plus exacts, & de nos plus célèbres
Critiques, je ne croipoint qu'en fait d'Hiftoite toute
omifTion foit criminelle, & qu'un Ecrivian qui difll-
mule certaines véritez trop odieufes mérite la peine
des vendeurs à réticence. Mais par détenir la vérité
en injustice j'entens un Hiftorien, qui fans aucune rai-
son valable, & dans la feule vue d'élever fon Héros
au demis des autres hommes, nous en fait un modèle
de persection, sans soibleffes, sans désauts, fans mau-
vais endroit, & polTedant au contraire toutes les ver-
tus morales ou religieuses dans le degré le plus émi-
nent. N'est-ce pas alors remplir la sonction de Pané-
gyrifte ? Ce dernier est dans une polTeiîion immémo-
riale de corrompre & de masquer la Vérité, slateur de
prosesiion,métamorphosant les vices en vertus 5&
sournissant glorieufement sa carrière, pourvu qu'il
en impofe de bonne grâce, pourvu qu'il mente avec
csprit. Tels font ordinairement les Hiftoriens, dont
un puiffant Monarque acheté la sine & délicate
plume pour écrire sa vie, ■ & pour lui donner une
belle immortalité dans les liecles a venir. On juge
bien que ces Narrateurs n'acceptent pas la commis-
fîon pour la gloire de laVéritérplus occupez de la gloi-
re du bienfaiteur, ils s'appliquent à la trouver dans ce
qu'il a fait même de plus injufte & de plus criant ; la
douceur d'une graffe penlion se glilTe& s'infînue dans
tous les portraits que l'on fait de ce grand Original,
& la posteritéseroit insailliblement abufée si quelques
contemporains n'avoient soin de préparer aux His-
toriens futurs des Mémoires équitables, & definte-
relsez. Par la même raison de fincerité l'on ne peut
allez condamner ces Ecrivains, qui pour satissaire li-
ne haine implacable atténuent le bien & grossiffent
le mal, passent légèrement for les bonnes qualitez,
exagèrent les mauvaifes, fùppriment les vertus, in-
ventent des vices. N'eft-ce pas là fe contenter aux dé-
pens de deux choses facrées, la juftice & l'innocence ?
N'eft-ce pas vouloir rendre le Public la dupe d'une
paflion envenimée, & d'un cœur ulcéré : Il ne me
reste plus à toucher qu'une dernière efpcce d'impos-
teurs, encore eft-ce leur faire trop d'honneur que de
les placer parmi les médians Hiftoriens. Ce font les
saiseurs de Mémoires fuppofez. La République des
Lettres efl empeftée de cette vermine, & le Public fo-
lide & judicieux a raifon defe récrier là-contre. En
effet n'y a-t-il pas de l'impudence à produire fes fic-
tions & fes menfonges, fous les couleurs & fous
les aufpices de la Vérité .-Les Poètes & les Auteurs
fabuleux ont introduit dans le Monde des erreurs
groilieres & de ridicules abfurditez, mais ç'a été con-
tre leur intention. Ils vouloient divertir, ils vou-
loient inftruire agréablement ; & la multitude tou-
jours prête à gober le merveilleux, toujours dispo-
sée à croire ce qu'elle ne conçoit point, a pris leurs
fuppositions pour des réalitcz.
Ce seroit pécher contre la iulteiïe, fi je ne finissbis
pas cette Differtation par l'idée du bon Historien.
Je la hazarderai donc en peu de lignes, «Se la voici.
C'est un homme qui pense solidement, & qui écrit
de même. Son stsseelt plein, mouëlleux, succulent,
épuré de toute assectation & de saux brillant. Avare
pour l'ornement, pour la figure, & n'en donnant
qu'autant qu'il en saut pour foulager l'attention du
Lecteur. Ni trop concis, ni trop disfus, «Se marchant
dans fon chemin d'un pas réglé, grave & majes-
tueux. Attaché à là matière qu'il ne quitte que pour
la mieux reprendre, ou pour parler plus iufte, qu'il
ne quitte jamais, tant il fait fes digreilions à propos,
tant elles sont étroitement liées avec le fujet domi-
nant. Exact & familier pour le détail, mais fans baf-
sesse ; grand, fublime, élevé quand il le faut ; n'évitant
jamais le difficile, travaillant d'un fond univerfèl &
inépuifable pour tout éclaircir. Affranchi de la pré-
vention & maître de fes fentimens ; toujours en gar-
de contre son propre cœur, & craignant comme la
voix d'une S irene, s'il yen avoit, la voix enchantan-
te de la paillon. De nul culte, de nul gouvernement
dans fon Ouvrage; sans famille, sans amis, sans soi-
même, mais l'homme de la Vérité. Du reste intré-
pide , & au-dessus d'un péril qu'il n'a pû se dispensèr
de courir. Voilà, fi je ne m'abuiè, une miniature
reiïemblante du parsait Hiftorien. J'abandonne ce
portrait à la censure des ConnoisTeurs.
DISSERTATION SUR L'HISTOIRE UNIVERSELLE.
ni les moyens, ni la suite de l'événement^ narration
ss'est à proprement parler qu'un tiiTu d'ébauches, fem-
blable à un Tableau, qui ne préfenteroit qu'un amas
confus de têtes,fans lubordination &fans deffein. Cet
autre Auteur s'attache-t-il à particularifer fa matière ?
donnant dans la minutie il néglige le remarquable,il
coule sur le principal.ïmitant en cela un voyageur peu
scnfé, qui dédaigneroit fur fa route un ancien monu-
ment , un riche ouvrage d'architecture, pour con-
templer à fon aile la cabane d'un païfan. Cet Ecrivain
ne tombe pas dans les deux désauts précédens;il choi-
sit bien les faits, & il les manie avec difcernement ;
mais il satigue fon Lecteur an lieu de le divertir : ce
n'est pas un voyage agréable & utile, qu'on sait fous
la conduite de ce guide ; à peine vous a-t-il sait avan-
cer de quelques pas vers lebut,qu'il vous en rejette sort
loin, tantôt à la droite, & tantôt à la gauche : l'eïprit
devient coureur «Scvagabond dans cette lectus e,&son
attention étant partagée par une circulation Conti-
nuelle de parentheses & de digressions,il ne voit rien
à force de voir, & ce qu'il cherche le plus c'eft ce qu'il
trouve le moins. De plus, ces mêmes Auteurs ont sou-
vent le défaut de se peindre eux-mêmes dans leursOu-
vrages: dans combien d'endroits du Livre ne rencon-
tre-t-on pas une copie très reiïemblante de leur pro-
pre cœurrSans aucun égard à ce qu'ils ont promis dans
une lavante & pompeulè Préface, jamais ils ne man-
quent l'occafion de manifefter leurs fentimens.S'agit-
il d'une guerre de dogmes dans le culte ? l'opinion
qu'ils ont embraflee eft, félon eux,inconteftablement
la meilleure, l'hypothese contraire eft ridicule, & ç'a
été visiblement par violence qu'elle a triomphé. Un
Prince a-t-il étendu l'autorité monarchique jufqu'au
Defpotifme? il n'a plus de juftice à fc promettre au
tribunal de ces Hiftoriens ; tout ce qu'il fait de plus
beau, n'ell plus qu'une suite de sa tyrannie, & on l'a-
meneroit plutôt par sorce dans le chemin,que de n'a-
voir pas de temsentemsleplaifirmalindevomirun
fiel amer contre lui. La vengeance fait ausïi très bien
fon compte avec ce génie partial; & tel, grand hom-
me d'ailleurs, dit Adieu à toutes les loix de l'Hiftoi-
re, de II loin qu'il entrevoit fon ennemi, dès que
l'adverfaire eft à la portée du mousquet. Tous ces
travers néanmoins ne font pas inexcufables, puis
qu'il n'y entre point de mauvaise foi. Mais com-
ment saire grâce à ces lâches Ilistoiriens, qui altè-
rent & qui défigurent volontairement la Vérité ? Je
n'entens pas celui qui, pour cacher la turpitude d'un
nouveau Saint de riIéro'isme,ou plutôt pour ne point
deshonorer une samille, fupprime des actions crian-
tes , & des vices hideux ; je ne voi point que le
Code hiftorique oblige fous peine d'amende Litté-
raire , à diffamer les vivans & les morts ; n'en dé-
plaifeàun de nos plus exacts, & de nos plus célèbres
Critiques, je ne croipoint qu'en fait d'Hiftoite toute
omifTion foit criminelle, & qu'un Ecrivian qui difll-
mule certaines véritez trop odieufes mérite la peine
des vendeurs à réticence. Mais par détenir la vérité
en injustice j'entens un Hiftorien, qui fans aucune rai-
son valable, & dans la feule vue d'élever fon Héros
au demis des autres hommes, nous en fait un modèle
de persection, sans soibleffes, sans désauts, fans mau-
vais endroit, & polTedant au contraire toutes les ver-
tus morales ou religieuses dans le degré le plus émi-
nent. N'est-ce pas alors remplir la sonction de Pané-
gyrifte ? Ce dernier est dans une polTeiîion immémo-
riale de corrompre & de masquer la Vérité, slateur de
prosesiion,métamorphosant les vices en vertus 5&
sournissant glorieufement sa carrière, pourvu qu'il
en impofe de bonne grâce, pourvu qu'il mente avec
csprit. Tels font ordinairement les Hiftoriens, dont
un puiffant Monarque acheté la sine & délicate
plume pour écrire sa vie, ■ & pour lui donner une
belle immortalité dans les liecles a venir. On juge
bien que ces Narrateurs n'acceptent pas la commis-
fîon pour la gloire de laVéritérplus occupez de la gloi-
re du bienfaiteur, ils s'appliquent à la trouver dans ce
qu'il a fait même de plus injufte & de plus criant ; la
douceur d'une graffe penlion se glilTe& s'infînue dans
tous les portraits que l'on fait de ce grand Original,
& la posteritéseroit insailliblement abufée si quelques
contemporains n'avoient soin de préparer aux His-
toriens futurs des Mémoires équitables, & definte-
relsez. Par la même raison de fincerité l'on ne peut
allez condamner ces Ecrivains, qui pour satissaire li-
ne haine implacable atténuent le bien & grossiffent
le mal, passent légèrement for les bonnes qualitez,
exagèrent les mauvaifes, fùppriment les vertus, in-
ventent des vices. N'eft-ce pas là fe contenter aux dé-
pens de deux choses facrées, la juftice & l'innocence ?
N'eft-ce pas vouloir rendre le Public la dupe d'une
paflion envenimée, & d'un cœur ulcéré : Il ne me
reste plus à toucher qu'une dernière efpcce d'impos-
teurs, encore eft-ce leur faire trop d'honneur que de
les placer parmi les médians Hiftoriens. Ce font les
saiseurs de Mémoires fuppofez. La République des
Lettres efl empeftée de cette vermine, & le Public fo-
lide & judicieux a raifon defe récrier là-contre. En
effet n'y a-t-il pas de l'impudence à produire fes fic-
tions & fes menfonges, fous les couleurs & fous
les aufpices de la Vérité .-Les Poètes & les Auteurs
fabuleux ont introduit dans le Monde des erreurs
groilieres & de ridicules abfurditez, mais ç'a été con-
tre leur intention. Ils vouloient divertir, ils vou-
loient inftruire agréablement ; & la multitude tou-
jours prête à gober le merveilleux, toujours dispo-
sée à croire ce qu'elle ne conçoit point, a pris leurs
fuppositions pour des réalitcz.
Ce seroit pécher contre la iulteiïe, fi je ne finissbis
pas cette Differtation par l'idée du bon Historien.
Je la hazarderai donc en peu de lignes, «Se la voici.
C'est un homme qui pense solidement, & qui écrit
de même. Son stsseelt plein, mouëlleux, succulent,
épuré de toute assectation & de saux brillant. Avare
pour l'ornement, pour la figure, & n'en donnant
qu'autant qu'il en saut pour foulager l'attention du
Lecteur. Ni trop concis, ni trop disfus, «Se marchant
dans fon chemin d'un pas réglé, grave & majes-
tueux. Attaché à là matière qu'il ne quitte que pour
la mieux reprendre, ou pour parler plus iufte, qu'il
ne quitte jamais, tant il fait fes digreilions à propos,
tant elles sont étroitement liées avec le fujet domi-
nant. Exact & familier pour le détail, mais fans baf-
sesse ; grand, fublime, élevé quand il le faut ; n'évitant
jamais le difficile, travaillant d'un fond univerfèl &
inépuifable pour tout éclaircir. Affranchi de la pré-
vention & maître de fes fentimens ; toujours en gar-
de contre son propre cœur, & craignant comme la
voix d'une S irene, s'il yen avoit, la voix enchantan-
te de la paillon. De nul culte, de nul gouvernement
dans fon Ouvrage; sans famille, sans amis, sans soi-
même, mais l'homme de la Vérité. Du reste intré-
pide , & au-dessus d'un péril qu'il n'a pû se dispensèr
de courir. Voilà, fi je ne m'abuiè, une miniature
reiïemblante du parsait Hiftorien. J'abandonne ce
portrait à la censure des ConnoisTeurs.