poussait au-dessus des pignons dentelés, des canaux, des
ponts courts, des platanes d'Amsterdam, de Leyde, de Delft,
de Dordrecht, de Haarlem, les mêmes grands nuages qui
versaient aux plaines basses l'eau dont elles sont si gorgées
que la plupart des moulins tournent pour les en débarrasser.
L'orgueil paisible d'avoir conquis le droit de vivre à sa
guise poussait la solide bourgeoisie hollandaise à utiliser
d'abord à son profit cette envie de peindre que la génération
montante manifestait impatiemment. Elle jouissait de sa
richesse, et de toutes façons. Ce n'était déjà plus la Hollande
qui se lève, les solides effigies noires du vieux Mierevelt,
ni même les assemblées sévères que Ravestein, autre peintre
de confrérie, fournissait à la même époque, et encore moins
les tentatives qu'ébauchait Cornelis Tennissen, sous le
règne de l'Espagne, un demi-siècle auparavant. Mainte-
nant, quand les gardes civiques qui fortifiaient ou reconsti-
tuaient partout leurs compagnies, sortaient pour aller tirer
l'arquebuse, ils suspendaient leur rapière à des écharpes de
soie, ils mettaient à leurs feutres de grandes plumes on-
doyantes, ils déployaient des étendards brodés. Nulle fan-
faronnade, mais la joie de la fortune acquise avec la force
calme qu'ils gardaient au milieu des plus grands périls.
C'étaient des hommes forts. La guerre, le commerce, l'orgie,
rien n'entamait leur innocence. En rentrant de l'exercice,
ils mangeaient et buvaient comme on mange et boit quand
on est riche, qu'on mène une vie puissante, qu'on respire la
mer et qu'on a marché dans le brouillard qui monte des
pâturages mouillés. Une complicité muette s'établissait
entre eux et ceux qu'ils chargeaient de les peindre. Quelques-
uns, à vrai dire, ne les comprenaient pas tout à fait, d'autres
trop bien. Quand Rembrandt s'avisa de s'emparer d'eux
comme d'une matière qu'on remue et plie à sa guise pour
l'identifier à son être, la pétrir de lumière et d'or et la rejeter
dans la vie ainsi qu'une autre vie qui s'y mêle, mais y fait
fulgurer au passage la trace de l'esprit, ils ne le lui pardon-
nèrent pas. Quand Van der Helst les habilla de satin, les mit
devant lui, magnifiques, tous de même importance, bien sages
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ponts courts, des platanes d'Amsterdam, de Leyde, de Delft,
de Dordrecht, de Haarlem, les mêmes grands nuages qui
versaient aux plaines basses l'eau dont elles sont si gorgées
que la plupart des moulins tournent pour les en débarrasser.
L'orgueil paisible d'avoir conquis le droit de vivre à sa
guise poussait la solide bourgeoisie hollandaise à utiliser
d'abord à son profit cette envie de peindre que la génération
montante manifestait impatiemment. Elle jouissait de sa
richesse, et de toutes façons. Ce n'était déjà plus la Hollande
qui se lève, les solides effigies noires du vieux Mierevelt,
ni même les assemblées sévères que Ravestein, autre peintre
de confrérie, fournissait à la même époque, et encore moins
les tentatives qu'ébauchait Cornelis Tennissen, sous le
règne de l'Espagne, un demi-siècle auparavant. Mainte-
nant, quand les gardes civiques qui fortifiaient ou reconsti-
tuaient partout leurs compagnies, sortaient pour aller tirer
l'arquebuse, ils suspendaient leur rapière à des écharpes de
soie, ils mettaient à leurs feutres de grandes plumes on-
doyantes, ils déployaient des étendards brodés. Nulle fan-
faronnade, mais la joie de la fortune acquise avec la force
calme qu'ils gardaient au milieu des plus grands périls.
C'étaient des hommes forts. La guerre, le commerce, l'orgie,
rien n'entamait leur innocence. En rentrant de l'exercice,
ils mangeaient et buvaient comme on mange et boit quand
on est riche, qu'on mène une vie puissante, qu'on respire la
mer et qu'on a marché dans le brouillard qui monte des
pâturages mouillés. Une complicité muette s'établissait
entre eux et ceux qu'ils chargeaient de les peindre. Quelques-
uns, à vrai dire, ne les comprenaient pas tout à fait, d'autres
trop bien. Quand Rembrandt s'avisa de s'emparer d'eux
comme d'une matière qu'on remue et plie à sa guise pour
l'identifier à son être, la pétrir de lumière et d'or et la rejeter
dans la vie ainsi qu'une autre vie qui s'y mêle, mais y fait
fulgurer au passage la trace de l'esprit, ils ne le lui pardon-
nèrent pas. Quand Van der Helst les habilla de satin, les mit
devant lui, magnifiques, tous de même importance, bien sages
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