DOI Heft:
Nr. 1
DOI Artikel:Viardot, Louis: Ut pictura musica
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0033
GAZETTE DES BEAUX-ART S. 29
l'autre, le manque absolu de fortes traditions et d'austère discipline, et
la personnalité s'étalant sans frein ni mesure ; puis l'âpreté au gain
substituée à la poursuite de la gloire, et l'art devenu industrie ou com-
merce ; l'abaissement du goût public, qui semble se rapetisser à mesure
qu'il s'étend plus loin dans les couches sociales, qui préfère les estampes
aux tableaux, les statuettes aux statues, et la romance à l'oratorio ; les
contrastes étranges qu'offre une époque de transition, comme la nôtre,
la ferveur et l'incrédulité, la hauteur et la bassesse, les grandes passions
et les viles cupidités, l'ignorance des droits et l'oubli des devoirs; enfin
cette absence de foi commune, cette anarchie des esprits et des âmes,
qui causent le trouble et font le tourment de la société ? Non, ce serait
une tâche trop pénible et trop scabreuse. Libre à chacun de répéter après
Hamlet : Triste, triste, triste ! mais qui oserait s'arroger le droit de jeter
a pierre à son époque? qui oserait prononcer l'anathème, sans attendre
le jugement plus calme et plus sain de la postérité? Nous entrons, tout
semble le prédire, dans un autre milieu des temps; nous vivons parmi
les convulsions d'un monde qui finit, d'un monde qui commence. Atten-
dons dès lors, sinon avec patience, au moins avec résignation, qu'un
nouvel idéal se lève sur ce monde rajeuni, pour y enfanter des arts
nouveaux dont l'harmonieux parallèle pourra se dérouler encore dans les
siècles à venir.
LOUIS VIA R DO T.
l'autre, le manque absolu de fortes traditions et d'austère discipline, et
la personnalité s'étalant sans frein ni mesure ; puis l'âpreté au gain
substituée à la poursuite de la gloire, et l'art devenu industrie ou com-
merce ; l'abaissement du goût public, qui semble se rapetisser à mesure
qu'il s'étend plus loin dans les couches sociales, qui préfère les estampes
aux tableaux, les statuettes aux statues, et la romance à l'oratorio ; les
contrastes étranges qu'offre une époque de transition, comme la nôtre,
la ferveur et l'incrédulité, la hauteur et la bassesse, les grandes passions
et les viles cupidités, l'ignorance des droits et l'oubli des devoirs; enfin
cette absence de foi commune, cette anarchie des esprits et des âmes,
qui causent le trouble et font le tourment de la société ? Non, ce serait
une tâche trop pénible et trop scabreuse. Libre à chacun de répéter après
Hamlet : Triste, triste, triste ! mais qui oserait s'arroger le droit de jeter
a pierre à son époque? qui oserait prononcer l'anathème, sans attendre
le jugement plus calme et plus sain de la postérité? Nous entrons, tout
semble le prédire, dans un autre milieu des temps; nous vivons parmi
les convulsions d'un monde qui finit, d'un monde qui commence. Atten-
dons dès lors, sinon avec patience, au moins avec résignation, qu'un
nouvel idéal se lève sur ce monde rajeuni, pour y enfanter des arts
nouveaux dont l'harmonieux parallèle pourra se dérouler encore dans les
siècles à venir.
LOUIS VIA R DO T.