Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

LOUIS XIV ET MOLIÈRE

TABLEAU INÉDIT DE M. INGRES

C'est un grand honneur pour nous que de pouvoir inaugurer la Gazette
des Beaux-Arts sous les auspices de M. Ingres, et qu'un tel maître aitbien
voulu signer à notre acte de naissance. Nous aurons obtenu ainsi, dès notre
entrée dans le monde, ce que d'autres publications n'auraient pu obtenir
qu'après bien des années d'existence et de succès reconnu. Et quelle pré-
cieuse confidence ! Combien nous sommes heureux d'offrir à nos lecteurs
même ce simple et léger croquis d'un tableau dont tout le monde a ouï
parler et que personne n'a vu ! On sait que depuis longtemps le directeur
et les sociétaires de la Comédie-Française avaient gracieusement ouvert à
M. Ingres les portes de la maison de Molière. Ils avaient pensé que le re-
présentant des plus hautes traditions de l'art, que le cligne peintre des
héros et des divinités antiques, devait avoir un libre accès auprès de So-
phocle et de Corneille, auprès de Racine et d'Euripide. Aussi bien en
allant voir jouer la sublime tragédie d'Œdipe-Roi, en allant prêter l'o-
reille à ces fiers alexandrins qui ont fait passer dans la prosodie française
le lyrisme et l'énergie du poëte grec, M. Ingres pouvait retrouver dans
les motifs de la décoration scénique le souvenir d'un tableau qui avait
illustré sa jeunesse. Mais en acceptant d'avoir ses entrées à la Comédie,
M. Ingres a voulu reconnaître cette faveur par le don d'une peinture de
sa main, et d'une peinture faite exprès pour honorer les comédiens
dans le grand homme qui avait honoré à jamais leur profession.

Madame Campan raconte l'anecdote suivante que son père tenait d'un
vieux médecin du roi : « Louis XIV ayant su que les officiers de sa chambre
témoignaient, par des dédains offensants, combien ils étaient blessés de
manger à la table du contrôleur de la bouche avec Molière, valet de
chambre du roi, parce qu'il jouait la comédie, cet homme célèbre s'abs-