DOI Heft:
Nr. 6
DOI Artikel:Monti, Raffaele: Correspondance particulière de la Gazette des Beaux-Arts
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0364
CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE
DE LA GAZ KT T E DES R EAUX-ARTS
Londres, le y mars 18S9.
Puisque vous êtes venu à Londres, vous connaissez Trafalgar-Square, cette place
que Sir Robert Peel, dans un accès de naïve vanité civique, appelait un jour en plein
parlement le plus beau site d'Europe, « thefinest site in Europe; » et vous savez que
le long de la partie nord s'étend un bâtiment où la Galerie nationale est placée. Mais ce
que vous ignorez peut-être, ou du moins ce que beaucoup d'autres ignorent, c'est que
la Galerie ne forme que la moindre partie de cet édifice, et n'a aucune espèce de chance
de se développer, resserrée qu'elle est d'un côté par l'Académie royale, et de l'autre par
une caserne. Or, les achats du gouvernement et les donations des particuliers ne pou-
vaient manquer, en se multipliant, d'accuser cet état de choses. Aussi, que de plaintes,
et de débats, et de projets! Enfin, grâce au ciel, ces entraves viennent d'être levées, et
le ministère du jour a eu la satisfaction d'annoncer à la Chambre des Communes que
la partie du bâtiment faisant face à Trafalgar-Sqvare va être exclusivement aban-
donnée à la Galerie nationale et à ses dépendances. Pour un pays comme l'Angleterre,
et pour une ville comme Londres, c'est bien peu encore, assurément; mais si vous
songez que le grand problème ici pour l'art est de trouver où se loger, — chose assez
curieuse dans une cité qui commence partout et ne finit nulle part, — vous compren-
drez la joie que cette nouvelle a causée, de ce côté du détroit, à tous ceux, prêtres ou
fidèles, qui appartiennent à notre culte. *
Restait à ménager un refuge à l'Académie royale, que ces nouveaux arrange-
ments chassent de ses foyers : le gouvernement est intervenu par l'octroi d'une partie
de Burlington - House, Piccadilly, emplacement très-bien choisi sous tous les rap-
ports, et au don duquel le gouvernement a joint l'offre d'un secours matériel pour
la construction qui doit le couvrir. Mais, de ces deux cadeaux, l'Académie royale,
qui avait accepté le premier, a refusé le second; et il est juste de l'en louer, quoique
un éloge à l'adresse d'une académie puisse paraître une violation de la mode. Il est
juste de dire que l'Académie royale est très-riche en fonds accumulés par les recettes
de ses expositions annuelles. Enfin n'importe! il est beau à elle d'apporter un soin
jaloux à conserver son indépendance d'action : je le dis bien haut, à mes risques et
périls.
Vos lecteurs parisiens auront peut-être quelque peine à se rendre bien compte de
l'importance que nous attachons, nous autres, à tout ceci. Ah! mon cher Monsieur, pour
avoir une idée de ce que ces arrangements ajoutent aux conquêtes de l'art, il faut être
I. 46
DE LA GAZ KT T E DES R EAUX-ARTS
Londres, le y mars 18S9.
Puisque vous êtes venu à Londres, vous connaissez Trafalgar-Square, cette place
que Sir Robert Peel, dans un accès de naïve vanité civique, appelait un jour en plein
parlement le plus beau site d'Europe, « thefinest site in Europe; » et vous savez que
le long de la partie nord s'étend un bâtiment où la Galerie nationale est placée. Mais ce
que vous ignorez peut-être, ou du moins ce que beaucoup d'autres ignorent, c'est que
la Galerie ne forme que la moindre partie de cet édifice, et n'a aucune espèce de chance
de se développer, resserrée qu'elle est d'un côté par l'Académie royale, et de l'autre par
une caserne. Or, les achats du gouvernement et les donations des particuliers ne pou-
vaient manquer, en se multipliant, d'accuser cet état de choses. Aussi, que de plaintes,
et de débats, et de projets! Enfin, grâce au ciel, ces entraves viennent d'être levées, et
le ministère du jour a eu la satisfaction d'annoncer à la Chambre des Communes que
la partie du bâtiment faisant face à Trafalgar-Sqvare va être exclusivement aban-
donnée à la Galerie nationale et à ses dépendances. Pour un pays comme l'Angleterre,
et pour une ville comme Londres, c'est bien peu encore, assurément; mais si vous
songez que le grand problème ici pour l'art est de trouver où se loger, — chose assez
curieuse dans une cité qui commence partout et ne finit nulle part, — vous compren-
drez la joie que cette nouvelle a causée, de ce côté du détroit, à tous ceux, prêtres ou
fidèles, qui appartiennent à notre culte. *
Restait à ménager un refuge à l'Académie royale, que ces nouveaux arrange-
ments chassent de ses foyers : le gouvernement est intervenu par l'octroi d'une partie
de Burlington - House, Piccadilly, emplacement très-bien choisi sous tous les rap-
ports, et au don duquel le gouvernement a joint l'offre d'un secours matériel pour
la construction qui doit le couvrir. Mais, de ces deux cadeaux, l'Académie royale,
qui avait accepté le premier, a refusé le second; et il est juste de l'en louer, quoique
un éloge à l'adresse d'une académie puisse paraître une violation de la mode. Il est
juste de dire que l'Académie royale est très-riche en fonds accumulés par les recettes
de ses expositions annuelles. Enfin n'importe! il est beau à elle d'apporter un soin
jaloux à conserver son indépendance d'action : je le dis bien haut, à mes risques et
périls.
Vos lecteurs parisiens auront peut-être quelque peine à se rendre bien compte de
l'importance que nous attachons, nous autres, à tout ceci. Ah! mon cher Monsieur, pour
avoir une idée de ce que ces arrangements ajoutent aux conquêtes de l'art, il faut être
I. 46