Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

LE MUSÉE CAMPANA

Être à Rome, directeur du Mont-de-Piété et amateur d'œuvres d'art
et de curiosités antiques, est une position capable de faire fléchir la plus
haute vertu romaine. 11 y a toujours péril, quand les moyens ne sont
pas au niveau du but, à vivre en présence des objets de la passion
la plus légitime et la plus élevée. Ne pousse-t -on pas quelquefois la
charité et le dévouement jusqu'à l'immolation de sa propre estime ? Ces
réflexions s'appliquent de tous points à l'affaire Gampana qui, l'année
dernière, a excité à Rome et dans l'Europe entière une si grande rumeur.
Personne ne s'est fait l'apologiste du marquis; on a reconnu que chez
lui, l'amateur intelligent des arts, le collectionneur infatigable avait fait
tort au comptable fort de ses livres et'de sa conscience; mais aux yeux
de tous, même de ses ennemis, sa passion plus que sa personne a porté
la responsabilité de ses actes.

D'ailleurs ce ne sont pas là nos affaires. Quoique disposés à nous
apitoyer sur le naufrage d'un grand nom et d'une grande fortune, pour nous
l'œuvre efface l'individu ; nous lui tenons compte avant tout des services
qu'il a rendus aux beaux-arts. N'a-t-il pas assez expié par son malhèur
et par une honte qu'on aurait pu facilement lui épargner, la faiblesse
d'avoir fait à une passion toute patriotique et désintéressée le sacrifice
de sa conscience?

Gampana aimait l'antiquité de cet amour d'une âme revenue du séjour
habité par les ombres illustres de Lucullus, de Pison et de Mécène. Il aurait
creusé la terre avec les doigts pour exhumer un bras de statue, pour
rassembler les débris d'un bas-relief brisé par la hache ignorante d'un
Vandale, ou par la botte ferrée d'un soldat de Robert Guiscard. Rien ne
lui coûtait, pour rendre au soleil ces illustres cadavres de marbre toujours
prêts à revivre sous le ciel d'Italie, dans leur sereine et idéale beauté :
sa passion était secondée par un génie tout spécial. 11 n'avait pas seule-