Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

GAZ E T T E D E S 13 E A U X - A R T S. iftô

ment la curiosité du passé ; le sentiment et l'intelligence du beau animaient
toutes ses facultés et soutenaient son courage. S'il eût été lord Manchester,
lord Londonderry, le prince Demidoff, ou s'il eût pu avoir son exercice
d'antiquaire ouvert au budget de l'Angleterre ou de la France, la Rome
moderne se verrait aujourd'hui perchée comme une excroissance parasite
sur la Rome des consuls et des Césars. Mainte église, comme un Siméon
stylite, se tiendrait en équilibre sur le dôme d'un temple de Jupiter
Férétrius, et le palais Ghigi qui fait angle à la place Golonna, trébu-
cherait sur les flancs du colosse énorme qu'on dit enfoui au-dessous de
ses fondations. Mais la Rome monumentale et orthodoxe d'aujourd'hui
n'a-t-elle pas raison de repousser les offres des curieux millionnaires?
Elle finirait par s'effondrer dans cet immense musée souterrain. Les
chambres secrètes ne suffiraient plus à loger ces personnifications trop
flattées des sept péchés capitaux et des turbulences populaires. Les Vénus
et les Jupiter n'encombrent déjà que trop les galeries privées et le musée
Glémentin. L'image est toujours trop proche de l'idée. Ne serait-ce pas
dire au paganisme qu'il n'est pas mort, mais qu'il a dormi pendant dix-
huit cents ans?

Aussi M. Gampana n'était-il guère encouragé par le gouvernement
romain déjà très-embarrassé de toute cette population fort mêlée et très-
peu édifiante de marbres et de bronzes. Si les vivants absorbent et au
delà les ressources si précaires d'un budget insuffisant, où trouver le
superflu nécessaire pour rendre à la lumière tous ces tribuns du peuple si
fièrement drapés, ces consuls arrogants, ces faunes grivois, ces empereurs
grands prêtres, ces déesses trop peu vêtues et ces Messalines divinisées?
Tibère est partout, chaque coup de pioche déterre un Tarquin. Quelle for-
tune pourrait suffire à tant et tant d'exhumations? Donc M. Gampana n'ayant
pour lutter contre l'inertie du sol et des esprits, que ses propres ressources,
on aurait pu prévoir qu'il succomberait à la tentation. Par une hallucination
que devaient naturellement amener sa position et ses succès, il s'est cru
propriétaire du Mont-de-Piété et n'a plus compté ni avec l'État ni avec lui-
même. Dans un pays de stricte comptabilité, il se fût brisé au premier
pas qu'il eût fait en cette voie périlleuse ; mais à Rome le cas de con-
science domine toutes les situations administratives. Il faut que le fait
par son éclat se démontre lui-même. On lui eût acheté son musée ou
donné des délais, si ses malversations eussent pu produire leur scandale
clans une sphère où la justice ordinaire n'a plus d'accès.

Tout propriétaire qu'il était de tant de trésors artistiques accumulés
au prix de mille fatigues, d'une opiniâtreté que rien ne rebutait, de sa
fortune tout entière consacrée à rendre L'Italie à elle-même, jamais