LES MANDARINS A PARIS
Nous raillons fort les Chinois, je ne sais en vérité pourquoi ; nous
achetons fort cher leurs soieries, leurs laques, leurs porcelaines, leurs
bronzes, leurs ivoires. S'ils peignent des dragons sur les créneaux de
leurs forteresses, ils sont patients, laborieux, et leurs institutions ne
sont pas si mauvaises qu'on le prétend. On s'est attaché particulièrement
à rendre le mandarin à bouton cle cristal et à queue de paon, ridicule.
Les mandarins sont cependant des hommes arrivés à une haute position,
après des épreuves nombreuses, vieillis dans l'art de diriger les hommes;
ils sont instruits, et nous ont souvent vaincus par leur astuce et leur per-
sévérance, sinon par les armes de guerre. A-t-il été battu, le mandarin?
il fait illuminer les temples et publie sa victoire par la ville; il connaît
les préjugés de la foule, et les entretient avec soin, afin de la diriger à
son gré; le temps est son allié, il use hommes et choses; pour lui les faits
ne sont rien, la doctrine est tout.
Il y a des mandarins partout, en Europe comme en Chine, et je pro-
fesse pour eux un respect profond. Ne rions pas, nous avons des manda-
rins à Paris, et des meilleurs.
En I8Z16 (pardon si je remonte si haut, mais toutes les histoires de
mandarins sont très-longues), en 1846 donc, l'Académie des Beaux-Arts
se posa un jour à elle-même cette question, savoir : « S'il est convenable
« au xixe siècle, de bâtir des églises en style gothique. » Bien entendu,
poser la question, c'était la résoudre; mais dans le manifeste publié à ce-
propos, l'architecture dont il fallait interdire l'imitation, était assez mal
appréciée. Je ne reviendrai pas sur la discussion qui s'établit alors.
L'architecture gothique trouva des défenseurs, et la défense n'était pas
difficile, car l'assaillant qui croyait investir une place mal garnie n'avait
pas, je le suppose, employé tous ses moyens d'attaque. Voici quelle était
la conclusion d'une des réponses au manifeste de l'Académie des Beaux-
Arts, lancé en I8/16 (pardon encore une fois de la citer presque entière,
mais cette citation est nécessaire, comme on le verra tout à l'heure) :
Nous raillons fort les Chinois, je ne sais en vérité pourquoi ; nous
achetons fort cher leurs soieries, leurs laques, leurs porcelaines, leurs
bronzes, leurs ivoires. S'ils peignent des dragons sur les créneaux de
leurs forteresses, ils sont patients, laborieux, et leurs institutions ne
sont pas si mauvaises qu'on le prétend. On s'est attaché particulièrement
à rendre le mandarin à bouton cle cristal et à queue de paon, ridicule.
Les mandarins sont cependant des hommes arrivés à une haute position,
après des épreuves nombreuses, vieillis dans l'art de diriger les hommes;
ils sont instruits, et nous ont souvent vaincus par leur astuce et leur per-
sévérance, sinon par les armes de guerre. A-t-il été battu, le mandarin?
il fait illuminer les temples et publie sa victoire par la ville; il connaît
les préjugés de la foule, et les entretient avec soin, afin de la diriger à
son gré; le temps est son allié, il use hommes et choses; pour lui les faits
ne sont rien, la doctrine est tout.
Il y a des mandarins partout, en Europe comme en Chine, et je pro-
fesse pour eux un respect profond. Ne rions pas, nous avons des manda-
rins à Paris, et des meilleurs.
En I8Z16 (pardon si je remonte si haut, mais toutes les histoires de
mandarins sont très-longues), en 1846 donc, l'Académie des Beaux-Arts
se posa un jour à elle-même cette question, savoir : « S'il est convenable
« au xixe siècle, de bâtir des églises en style gothique. » Bien entendu,
poser la question, c'était la résoudre; mais dans le manifeste publié à ce-
propos, l'architecture dont il fallait interdire l'imitation, était assez mal
appréciée. Je ne reviendrai pas sur la discussion qui s'établit alors.
L'architecture gothique trouva des défenseurs, et la défense n'était pas
difficile, car l'assaillant qui croyait investir une place mal garnie n'avait
pas, je le suppose, employé tous ses moyens d'attaque. Voici quelle était
la conclusion d'une des réponses au manifeste de l'Académie des Beaux-
Arts, lancé en I8/16 (pardon encore une fois de la citer presque entière,
mais cette citation est nécessaire, comme on le verra tout à l'heure) :