Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

GAZETTE DES BEAI \-\KTS.

peintre, el avoir vu ses tableaux accrochés à des hauteurs inabordables, ou à des pro-
fondeurs qui défient la flexibilité de l'épine dorsale la plus docile; il faut être sculpteur,
el avoir vu ses ouvrages enterrés dans celte rotonde qu'on a si à propos nommée le
Trou noir, The blach hole; que dis-je? il suffit d'être un être qui a besoin de res-
pirer pour vivre, cl do s'être aventuré, un jour de grande foule, dans les salles étouf-
fantes de la Galerie nationale actuelle. Laissez-nous donc nous réjouir tout à notre
aise, et, au nom de l'art cosmopolite, partagez notre joie.

En attendant, les collections qui existaient à Marlboroug-House et qui vont perdre
leur abri, j'entends celles que M. Vernon et le peintre Turner ont léguées à la nation,
seront, par mesure provisoire, recueillies dans Kensington-Museum, dont l'enceinte
élargie, sinon embellie, attirera de plus en plus le monde des curieux. De ce côté donc,
rien qui ne se présente couleur de rose. Mais l'horizon de l'art n'est pas, d'un bout à
l'autre, aussi riant, tant s'en faut.

Je vous ai déjà dit comment le dernier gouvernement avait invité les architectes de
tous pays à fournir des projets pour l'embellissement du quartier de Westminster, et
des dessins relatifs à la construction de deux édifices ministériels. De ce fait est sortie
une véritable tempête ; et comme rien no montre mieux quelles difficultés l'on ren-
contre en Angleterre dans la mise à exécution des travaux qui ont un caractère d'art,
je vous demande la permission de vous dire en quelques mots ce qui se passe. Dix-
sept prix avaient été offerts aux meilleurs d'entre les concurrents, mais sans que le
ministre des travaux publics s'engageât, soit à adopter leurs projets, soit à en em-
ployer les auteurs. Là-dessus, verdict qui donnait le premier prix, pour un projet
général, à M. Cressinet, un Français, et les trois autres prix principaux, pour les des-
sins détaillés des deux hôtels ministériels, à des Anglais, savoir: MM. Coe et Hofïland,
— MM. Banks et Barry, — M. G. G. Scott. Maintenant, en ce qui touche l'embellisse-
ment général, la question a été mise de côté et ne sera peut-être pas reprise; mais en
ce qui concerne les hôtels des deux ministères, il y a urgence, et conséquemment il a
fallu que la chose fût tirée au clair.

Ceci posé, les deux dessins qui ont emporté les premiers prix ne traitant qu'un seul
sujet, et cela dans le style italien, tandis que celui qui N ient en troisième rang traite
les deux, et cela dans le caractère gothique, il s'est produit de grandes différences
d'opinion sur le choix et la convenance de chaque style. De plus, la crainte manifestée
par le Parlement que l'entreprise ne fut sur une trop grande échelle et ne nécessitât
des dépenses trop prolongées, a conduit le ministère sous l'administralion duquel s'était
ouvert le concours, à mettre de côté tous les projets qui avaient concouru et à charger
l'architecte du gouvernement d'en préparer un autre; bref, l'affaire en était là lorsque
le cabinet — c'était celui de lord Palmerston — s'est écroulé de la manière inattendue
que vous savez, laissant la question dans l'obscurité, et, jusqu'à nouvel ordre, dans
l'oubli.

Cependant, le ministère de lord Derby s'installe, il s'affermit; et voilà qu'on apprend
tout à coup que la nouvelle administration a fait demander par lord John Manners à
M. Gilbert Scott de reproduire son projet, dont on lui confie l'exécution, à la condition
qu'il le modifiera un peu. De là un grand scandale : les uns réclament vivement
contre l'adoption du style gothique; les autres s'élèvent contre le manque de déférence
montré aux juges du concours, lesquels n'avaient assigné que le troisième rang à celui
que l'arbitraire ministériel place au premier. Ce no sont que protestations, et critiques
et clameurs.