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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 1.1859

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Nr. 5
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Blanc, Charles: La Vierge de Manchester: Tableau de Michel Ange
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https://doi.org/10.11588/diglit.16986#0271

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268 G VZETTE DES BEAI X- \RÏS.

regard. Vous diriez d'un immense fusain rehaussé d'un peu de jaune sur du
papier bleu sale. Tout le bas de la fresque est à peu près invisible, au
moins en détail, et lorsque les tentures pontificales ne cachent pas ces
misères, on se croirait dans un monument abandonné depuis des siècles !
Par bonheur, il n'en est pas de même des fresques de la voûte, dont
quelques-unes sont parfaitement conservées. Là, on peut juger de la manière
du maître, nous voulons dire du caractère de son exécution. Là, vraiment,
nous avons vu planer l'aigle.

C'était un jour de septembre, par un soleil splendide, mais d'une
chaleur modérée. Il n'y avait dans la chapelle qu'un pensionnaire de
notre école de Rome, qui copiait Ylsaïe. De temps à autre, il entrait
quelques familles anglaises ; elles se retiraient au bout d'un quart
d'heure... Le style de Michel-Ange nous parut ici plus simple que dans
les gravures et d'un grandiose plus naturel. L'amour du fini et le sen-
timent de l'harmonie optique sont les côtés remarquables de son exécu-
tion. Il y a même un singulier contraste entre la fierté de l'invention et
la suavité du faire. Les airs de tête sont formidables, mais les couleurs
sont rompues et adoucies ; la pensée est superbe, mais la touche est pré-
cieuse. Ces terribles figures parlent fortement à l'âme et doucement aux
yeux. Tantôt tranquilles et pensifs, tantôt agités par l'esprit de l'avenir,
les Prophètes, les Sibylles de la Sixtine vous imposent silence; on n'ose
ni parler ni faire le moindre bruit, de peur de troubler leurs hautes mé-
ditations. Autour d'eux, d'innombrables figures, sans signification connue,
se tourmentent dans toutes les attitudes imaginables ; elles entrent dans
le mur, elles en sortent ; des enfants s'appellent et se répondent du geste ;
ils se retiennent aux corniches, ils se reposent sur les plinthes, ils s'en-
cadrent dans les accidents multipliés d'une architecture feinte, dont les
lignes inflexibles rachètent les évolutions capricieuses du corps humain,
manié comme une vivante arabesque. Mais ces figures sans pensée ne
font que mieux ressortir l'expression des Prophètes. Petites, elles les font
paraître encore plus grands; douées seulement d'une activité musculaire,
elles laissent triompher en eux le caractère profondément réfléchi ou
inspiré de l'esprit de Dieu.

Ainsi apparaît au sommet de l'art ce Michel-Ange qui ouvre d'une
main sublime les portes de la décadence, mais qui se tient sur la cime,
entre les deux pentes de la montagne, entre l'ascension et la chute. De
tous les points du monde on l'aperçoit, seul sur ces hauteurs, assis
accoudé et sombre comme le Pensieroso. En lui l'art moderne a eu con-
science de lui-même. Par lui, surtout, le sentiment individuel est entré
dans le marbre; la personnalité humaine s'est fait place, s'est fait jour.
 
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