DOI Heft:
Nr. 5
DOI Artikel:Viollet-le-Duc, Eugène-Emmanuel: Première apparition de Villard de Honnecourt: Architecte du XIIIe siècle
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GAZETTE DES BEAUX-ARTS. 287
petite place sur les portiques du Louvre; non sum dïgnus... » J'en étais là
de mon monologue quand je me sentis doucement frappé sur l'épaule ; je
me retournai en frissonnant (car lorsqu'on est seul le soir, dans son
cabinet, les portes bien fermées, tout le monde endormi autour de soi,
un coup sur l'épaule est bien fait pour vous causer un certain trouble).
Je me retournai donc, et je vis un grand vieillard habillé d'une tunique
grise, serrée autour de sa taille par une ceinture de cuir ; ses yeux intel-
ligents, sa physionomie pleine de bonhomie, ses cheveux gris bouclés
sortant par touffes épaisses de dessous un petit capuchon vert, ne lui
donnaient nullement l'aspect d'un revenant; il me tendit une main ner-
veuse, une main bien vivante :
« Touchez là, » me dit-il avec un accent picard prononcé (or, jamais
un revenant ne prend l'accent picard). « Je suis Yillard de Honnecourt,
et viens causer un moment avec vous ; car les artistes de tous les temps
doivent se connaître et s'entendre ; ils ne meurent pas les uns pour les
autres; la preuve, c'est que me voici, et je me porte à merveille. Vous
avez là près de vous mon album, fort bien imprimé, ma foi, et sur beau
papier ; c'est beaucoup d'honneur qu'on m'a fait, et c'est à ce propos que
je viens vous voir. Dites-moi, mon confrère , car je ne suis plus guère au
courant de ce qui se pratique parmi vous; quelle idée vous prend-il de
publier les carnets incomplets des vieux architectes? Voilà des croquis
que j'ai faits de droite et de gauche en voyage, pour moi ou mes amis et
mes élèves, et vous faites un beau livre avec cela! liais que faites-vous
donc de nos monuments complets, étudiés, coordonnés? En passant, j'ai
vu qu'on réparait Notre-Dame de Paris, c'est bien ; mais vous publierez
alors cent volumes sur Notre-Dame de Paris, cent volumes sur Notre-Dame
de Reims, et ainsi sur tous les anciens édifices de mon temps, puisque vous
faites un beau volume avec le carnet dé voyage d'un architecte? J'ai lu
tout cela, je vous avoue que je ne suis pas en état de vous donner un avis
sur les considérations qui précèdent mon album; il m'a paru que vous
disputiez sur des questions d'écoles et d'art , que vous nous accordiez
beaucoup de savoir et de jugement, que d'autres nous refusaient ces qua-
lités; cela ne me touche guère, puisque vous me faites tant d'honneur
que de publier mes notes. Feuilletons donc ensemble, si vous le voulez,
ce cahier, vous m'arrêterez lorsque vous aurez besoin de quelques expli-
cations. Bon! voici, pl. 11, les Apôtres. Je les ai copiés, en effet, sur le
tympan d'une église, mais non de la cathédrale de Bamberg, connue le
dit mon commentateur, car ceux de la porte de Bamberg sont assis très-
symétriquement, six d'un côté, six de l'autre, tenant chacun d'une main
un seul phylactère qui passe devant eux, et de l'autre main une croix.
petite place sur les portiques du Louvre; non sum dïgnus... » J'en étais là
de mon monologue quand je me sentis doucement frappé sur l'épaule ; je
me retournai en frissonnant (car lorsqu'on est seul le soir, dans son
cabinet, les portes bien fermées, tout le monde endormi autour de soi,
un coup sur l'épaule est bien fait pour vous causer un certain trouble).
Je me retournai donc, et je vis un grand vieillard habillé d'une tunique
grise, serrée autour de sa taille par une ceinture de cuir ; ses yeux intel-
ligents, sa physionomie pleine de bonhomie, ses cheveux gris bouclés
sortant par touffes épaisses de dessous un petit capuchon vert, ne lui
donnaient nullement l'aspect d'un revenant; il me tendit une main ner-
veuse, une main bien vivante :
« Touchez là, » me dit-il avec un accent picard prononcé (or, jamais
un revenant ne prend l'accent picard). « Je suis Yillard de Honnecourt,
et viens causer un moment avec vous ; car les artistes de tous les temps
doivent se connaître et s'entendre ; ils ne meurent pas les uns pour les
autres; la preuve, c'est que me voici, et je me porte à merveille. Vous
avez là près de vous mon album, fort bien imprimé, ma foi, et sur beau
papier ; c'est beaucoup d'honneur qu'on m'a fait, et c'est à ce propos que
je viens vous voir. Dites-moi, mon confrère , car je ne suis plus guère au
courant de ce qui se pratique parmi vous; quelle idée vous prend-il de
publier les carnets incomplets des vieux architectes? Voilà des croquis
que j'ai faits de droite et de gauche en voyage, pour moi ou mes amis et
mes élèves, et vous faites un beau livre avec cela! liais que faites-vous
donc de nos monuments complets, étudiés, coordonnés? En passant, j'ai
vu qu'on réparait Notre-Dame de Paris, c'est bien ; mais vous publierez
alors cent volumes sur Notre-Dame de Paris, cent volumes sur Notre-Dame
de Reims, et ainsi sur tous les anciens édifices de mon temps, puisque vous
faites un beau volume avec le carnet dé voyage d'un architecte? J'ai lu
tout cela, je vous avoue que je ne suis pas en état de vous donner un avis
sur les considérations qui précèdent mon album; il m'a paru que vous
disputiez sur des questions d'écoles et d'art , que vous nous accordiez
beaucoup de savoir et de jugement, que d'autres nous refusaient ces qua-
lités; cela ne me touche guère, puisque vous me faites tant d'honneur
que de publier mes notes. Feuilletons donc ensemble, si vous le voulez,
ce cahier, vous m'arrêterez lorsque vous aurez besoin de quelques expli-
cations. Bon! voici, pl. 11, les Apôtres. Je les ai copiés, en effet, sur le
tympan d'une église, mais non de la cathédrale de Bamberg, connue le
dit mon commentateur, car ceux de la porte de Bamberg sont assis très-
symétriquement, six d'un côté, six de l'autre, tenant chacun d'une main
un seul phylactère qui passe devant eux, et de l'autre main une croix.