Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

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ne se soit point rencontré à notre époque un financier intelligent, un amateur riche,
ou un collectionneur bien avisé pour acheter en bloc la collection des 118 portraits
d'artistes dramatiques parEustache Lorsay, qui se sont envolés aux quatre vents des
enchères? Pour l'honneur de notre époque nous ne dirons point à quel prix ont été
adjugés ces croquis presque toujours ressemblants, et toujours spirituellement campés.
Isolés, ils n'ont plus que la valeur secondaire d'une œuvre d'art faite rapidement;
réunis, ils formaient te plus curieux album à consulter pour l'histoire du théâtre, de son
costume et la physionomie de ses interprètes pendant ces dix dernières années. En tous
cas nous recommandons aux collectionneurs le petit catalogue qui contenait les noms
des artistes avec la désignation en regard de la pièce ou du rôle dans lesquels M. Lorsay
les avait dessinés.

L'événement de cette quinzaine, dans le monde des arts et des ventes, a été sans
contredit la vente de l'atelier de P. Thuillier.

Pierre Thuillier, né à Amiens (Somme), le 7 juin 1799, était élève de Watelet etde
Gudin; mais si M. Courbet n'avait pas volontairement ridiculisé cette belle et juste
expression, on pourrait surtout dire qu'il était élève de la nature.

Peu connu en France, au moins de la foule, Thuillier, jouissant d'ailleurs d'une large
aisance qui lui permettait de mettre un haut prix à ses œuvres, ne les vendait guère qu'a
un certain nombre d'amateurs étrangers. Médaillé de troisième classe en 1835, il fut enfin
décoré le 5 juin 1843. Touriste infatigable, il parcourut à diverses reprises l'Italie, la
Suisse, la Hollande, l'Algérie, rapportant de ses laborieuses excursions des cartons bour-
rés de dessins très-achevés, et des ballots de toiles peintes avancées à l'effet et dans le
détail. Il n'est point un coin de la France qu'il n'ait vu et traduit, et peu d'artistes ont eu
l'heureux privilège de faire aussi vite d'aussi bonnes choses. Le catalogue de la vente,
précédé d'une notice biographique par M. Audiffret, ne comprenait pas moins de 120
tableaux, de loi études peintes, de 83 dessins, aquarelles et fusains catalogués, et d'en-
viron 500 études et croquis de paysages et autres sujets divisés par lots. Elle a produit,
sous l'habile direction de M. Rouillard, au delà de 52,000 francs. Les amateurs en-
thousiastes s'arrachaient les moindres esquisses, et l'on peut dire qu'il n'y a pas eu dix
objets sacrifiés.

Pierre Thuillier, mort le 19 novembre 1858, affectionnait les tons bleus et transpa-
rents qui, dès les seconds plans, estompent les décors d'opéra et les aquarelles anglaises.
Esprit souple et juste, il s'appropriait avec un rare bonheur le caractère du pays qu'il
avait sous les yeux. Rien n'est plus surprenant que la facilité avec laquelle il s'est suc-
cessivement transformé pendant sa longue carrière d'artiste, et ses derniers paysages
semblent, par l'habileté des procédés, la souplesse de la touche et la naïveté de la com-
position, peints par un des meilleurs élèves de la nouvelle école. Il est regrettable que
le Luxembourg n'en possède aucun.

Nous citerons, parmi les plus hauts prix, laValléede Thuihj (Dauphiné), 2,100fr.;
le Lac d'Annecy,2,200 fr.; la Vallée de Chamouny, 1,450 fr.; un Coup de vent dans
les bois de la Plégère, a, croyons-nous, été retiré. C'est un grand tableau d'un effet
vraiment imposant. La tempête tord et brise les sapins ; le brouillard roule ses lourds
anneaux en descendant dans la vallée; à gauche, la foudre rougit la nuée sombre,
effraie un grand aigle qui s'envole péniblement, tandis qu'au fond , le glacier baigne
dans la lumière sa blancheur immaculée et plane au-dessus de la tourmente.

Parmi les études peintes, une vue del Monte San-Salvador ( Naples ), 315 IV. ;
Saint-Nazaire en Royant (Drôme), 265; la F allée de Thuily 'Dauphiné , 165 fr. ;