Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (1.1859)

gazette des beaux-arts.

à l'innovation, en fait d'art, dans ce génie anglais qui se montre, en matière d'indus-
trie, doué de tant de souplesse, d'activité et d'initiative? Gela est d'autant plus surpre-
nant, qu'il n'est point de pays où l'on soit plus disposé à faire accueil aux nouveautés
introduites par des étrangers; et nous en avons, précisément à l'heure qu'il est, un
remarquable exemple dans le succès de M. E. Agnesi de Rome et la vogue de ses
miroirs illustrés.

Ces miroirs sont décorés, ou au centre, ou sur les bords, de ravissantes peintures
qui, nageant dans le vide de la glace, semblent véritablement des figures ou des objets
flottant dans l'espace. Vous avez dû remarquer bien souvent que, lorsque deux glaces sont
posées l'une vis-à-vis de l'autre, la même image s'y reproduit à l'infini avec une unifor-
mité que rendent d'autant plus fatigante les torsions affreuses résultant quelquefois de
l'inégalité des surfaces. Eh bien ! par la place qu'elles occupent dans le miroir et par la
façon variée dont on peut les combiner, les peintures dont il s'agit rompent agréable-
ment l'uniformité; et cet avantage, joint à celui de remplir un boudoir ou un salon de
formes gracieuses, de couleurs brillantes, fait du genre d'ornement que je signale une
invention pleine d'attrait.

Ce n'est pas que, malgré ses mérites intrinsèques, une invention semblable eût été
aussi bien accueillie, si l'inventeur eût été tout autre que M. Agnesi, déjà si connu
par ses fresques de la salle du trône de Pie IX, par celles dont il a décoré les somp-
tueuses habitations des princes Torlonia à Rome, par ses travaux dans la cathédrale de
Savone et dans plusieurs palais de Gênes; sans compter les charmantes toiles dont il a,
ici à Londres, enrichi le salon de la reine, au nouveau théâtre de l'Opéra, à Covenl-
Garden.

Quoi qu'il en soit, rien de plus caractéristique que l'empressement avec lequel les
Anglais visitent l'atelier de cet artiste, et rien de moins contenu que leur enthousiasme
devant les compositions nombreuses dues à la fécondité vraiment féerique de son
talent. Un des derniers sujets qu'il vient de peindre pour un miroir représente l'Étoile
du soir qui se lève entourée de ses satellites.

Je ne saurais terminer cet article sans noter, parmi les lectures de la saison, celles
du docteur Kinkel au Musée de Kensington, et celles du professeur Westmacott, tant à
l'Académie qu'à la Société des arts. Tandis que le premier décrivait d'une manière
intéressante et circonstanciée, la transition de l'art des Égyptiens, des Assyriens et des
Grecs à l'art des Arabes et des Turcs, M. Westmacott, à l'Académie, présentait à ses
auditeurs, sous une forme très-concise, une espèce de Manuel historique delà sculpture
des Grecs, à l'usage des étudiants anglais. Les remarques de M. Westmacott, pleines
d'aperçus brillants de clarté et d'à-propos, ont particulièrement porté sur les époques et
les ouvrages dont on possède ici, — au Musée Britannique surtout, — des reliques et
des spécimens. Sans s'inscrire en faux, bien entendu, contre la haute admiration due
à ces merveilles, le savant professeur s'est élevé contre le parti-pris de tout admirer,
d'admirer sans discernement, et par des considérations de collecteur ou d'antiquaire.
11 faut savoir voir, a-t-il observé, et cela demande des connaissances pratiques. Nul
doute, selon lui, que l'art grec ne se recommande par des beautés d'un ordre suprême,
mais il tient qu'ici, comme en tout, l'engouement a ses dangers. La sculpture grecque
nous offre d'admirables modèles; mais s'il arrivait que le culte de ces chefs-d'œuvre
fût poussé jusqu'au sacrifice do toute inspiration individuelle et de toute originalité, où
serait l'avantage? Le professeur s'est plaint de l'habitude où l'on est de toujours con-
fronter les productions des modernes avec celles des anciens. Il y voit l'inconvénient