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GAZETTE DES BEAU X-AKTS.
La plupart dos biographes de Mme de Pompadour ont révoqué en doute
qu'elle fût l'auteur des ouvrages qui ont paru sous son nom. Ils ont ap-
puyé leur opinion sur l'impossibilité où devait être une femme occupée de
tant et de si puissants intérêts, de trouver le temps nécessaire pour
acquérir, par une étude suivie, le talent dont ses œuvres complètes
peuvent donner l'idée.
Ils n'ont pas réfléchi que cette dame, née dans une classe qui fournit
cle nombreux sujets aux arts libéraux, avait été en passe de recevoir, avant
de parvenir aux grandeurs, une éducation d'artiste suffisante pour la faire
vivre du fruit de son travail.
Jeanne-Antoinette Poisson naquit à Paris en 1720.
M. Poisson agiotait en sous-ordre dans l'agence des vivres de l'armée;
c'était un personnage médiocre et vulgaire, à qui sa fille ne dut certes rien
de ce qu'il y avait de brillant en elle, ni même le jour, s'il faut en croire
les familiers de la maison, qui firent toujours honneur à M. Lenormand
de Tournehem des grâces et des instincts distingués répandus dans
l'agréable personne de Mlle Poisson.
Mme Poisson, au contraire, quoique d'habitudes communes et d'un ca-
ractère peu honorable, comprenait — peut-être par l'expérience de ce
qui lui manquait à elle-même — combien il importait de développer les
agréments naturels cle sa fille par une culture minutieuse de son esprit et
de son cœur, comme aussi de perfectionner ses charmes par les exercices
plastiques en usage clans la meilleure compagnie.
On a redit à satiété le mot cle Mme Poisson sur sa fille : a C'est un mor-
ceau de roi! » On y a vu des visées et un espoir qu'il serait difficile de
concilier avec l'extraction plus que modeste cle sa famille, surtout avec
la position subalterne et même très compromise du sieur Poisson, long-
temps menacé des rigueurs des lois pour des malversations des plus carac-
térisées. Il n'a pas été difficile d'interpréter plus tard, dans le sens qu'on
leur prête, des paroles exprimant bien plutôt le vœu d'une mère enthou-
siaste que des desseins ambitieux. Le fait est que, dans la jeunesse d'An-
toinette Poisson, sa mère, conseillée par M. Lenormand de Tournehem,
projeta de lui ouvrir la carrière des arts. On était alors en proie à la crise
causée par le système de Law : les fortunes particulières subissaient,
comme la fortune publique, des alternatives bizarres et imprévues, et
la précaution qu'on prit d'enseigner les arts à cette enfant, prouve suffi-
samment que, clans le principe, on n'avait pas sur elle les vues intéres-
sées et coupables que les circonstances firent naître plus tard.
Antoinette Poisson avait des dispositions naturelles pour les arts d'imi-
tation; elle avait surtout pour la comédie une aptitude particulière, dont
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GAZETTE DES BEAU X-AKTS.
La plupart dos biographes de Mme de Pompadour ont révoqué en doute
qu'elle fût l'auteur des ouvrages qui ont paru sous son nom. Ils ont ap-
puyé leur opinion sur l'impossibilité où devait être une femme occupée de
tant et de si puissants intérêts, de trouver le temps nécessaire pour
acquérir, par une étude suivie, le talent dont ses œuvres complètes
peuvent donner l'idée.
Ils n'ont pas réfléchi que cette dame, née dans une classe qui fournit
cle nombreux sujets aux arts libéraux, avait été en passe de recevoir, avant
de parvenir aux grandeurs, une éducation d'artiste suffisante pour la faire
vivre du fruit de son travail.
Jeanne-Antoinette Poisson naquit à Paris en 1720.
M. Poisson agiotait en sous-ordre dans l'agence des vivres de l'armée;
c'était un personnage médiocre et vulgaire, à qui sa fille ne dut certes rien
de ce qu'il y avait de brillant en elle, ni même le jour, s'il faut en croire
les familiers de la maison, qui firent toujours honneur à M. Lenormand
de Tournehem des grâces et des instincts distingués répandus dans
l'agréable personne de Mlle Poisson.
Mme Poisson, au contraire, quoique d'habitudes communes et d'un ca-
ractère peu honorable, comprenait — peut-être par l'expérience de ce
qui lui manquait à elle-même — combien il importait de développer les
agréments naturels cle sa fille par une culture minutieuse de son esprit et
de son cœur, comme aussi de perfectionner ses charmes par les exercices
plastiques en usage clans la meilleure compagnie.
On a redit à satiété le mot cle Mme Poisson sur sa fille : a C'est un mor-
ceau de roi! » On y a vu des visées et un espoir qu'il serait difficile de
concilier avec l'extraction plus que modeste cle sa famille, surtout avec
la position subalterne et même très compromise du sieur Poisson, long-
temps menacé des rigueurs des lois pour des malversations des plus carac-
térisées. Il n'a pas été difficile d'interpréter plus tard, dans le sens qu'on
leur prête, des paroles exprimant bien plutôt le vœu d'une mère enthou-
siaste que des desseins ambitieux. Le fait est que, dans la jeunesse d'An-
toinette Poisson, sa mère, conseillée par M. Lenormand de Tournehem,
projeta de lui ouvrir la carrière des arts. On était alors en proie à la crise
causée par le système de Law : les fortunes particulières subissaient,
comme la fortune publique, des alternatives bizarres et imprévues, et
la précaution qu'on prit d'enseigner les arts à cette enfant, prouve suffi-
samment que, clans le principe, on n'avait pas sur elle les vues intéres-
sées et coupables que les circonstances firent naître plus tard.
Antoinette Poisson avait des dispositions naturelles pour les arts d'imi-
tation; elle avait surtout pour la comédie une aptitude particulière, dont
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