POINT DE VUE PARTICULIER SUR CAL LOT.
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détonations sort invariablement par le même orifice, et le burin du gra-
veur n'est ni assez varié ni assez plaisant pour faire oublier cette unité
de situation.
« Callot sut introduire dans ce chef-d'œuvre, la Tentation, un
mélange de sérieux et de comique, de grotesque et de grandiose, digne
du Dante et de l'Arioste, » dit le biographe déjà cité.
Qu'un Lorrain vante le patriotisme du graveur refusant de graver une
planche que lui commandaient des adversaires triomphants, rien de
mieux. Mais mettre l'auteur de la Divine Comédie au même rang qu'un
ouvrier patient, voilà qui passe les bornes et fera bien sourire de nos en-
thousiasmes artistiques sans limites la'génération raisonnable qui suivra.
Ceux qui connaissent les vieux maîtres flamands, Jérôme Bosch,
Breughel d'Enfer, savent d'ailleurs combien Callot a emprunté à leurs
planches symboliques de détails pour sa Tentation. Ceux-là, les peintres
flamands du xvie siècle étaient pleins d'imaginations compliquées, débor-
dantes, confuses. Travailleurs infatigables, ils ont bourré leur grange
d'un tel amas de drôleries, de rêves fantasques, de symboles étranges,
que les artistes qui leur succédaient y trouvaient tous à puiser.
Mais Callot, on peut l'effacer de la liste des « drôles. » Ce ne sera pas
tâche facile, tant l'imagination l'emporte sur la réalité, tant les opinions
de convention et qui se perpétuent forment glu et prennent les esprils
légers et assoupis et même parfois les esprits réfléchis.
J'ai été vivement frappé par un détail dramatique prouvant la force
de l'imagination. Rossel, condamné à mort pour avoir pris part à l'insur-
rection de la Commune, attendit longtemps la fin de son sort. Fièvre
politique, orgueil mis à part, l'homme était intelligent et ses facultés
eussent pu être tournées vers un but plus élevé que de commander des
troupes d'insurgés maniaques. A quelles occupations Rossel se livre-t-il
dans son cachot pour échapper à la solitude, aux angoisses d'une condam-.
nation à mort? Il copie à la plume des figures de la série des Gueux de
Callot. Il les commente et y joint des annotations ingénieuses qui prou-
vent combien il croit à la réputation du graveur.
J'aurais compris le condamné lisant une grande œuvre philosophique,
un philosophe ou un sceptique, Platon ou Montaigne; mais je reste
pour le moins étonné d'un tel emploi de derniers jours comptés, et de l'ad-
miration du méticuleux et froid Callot dont la place est marquée dans le Dic-
tionnaire des graveurs, mais qui ne doit occuper qu'un bien petit coin à
l'arrière-plan du petit groupe des maîtres véritablement fantasques.
CHAMPFLEUR Y.
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détonations sort invariablement par le même orifice, et le burin du gra-
veur n'est ni assez varié ni assez plaisant pour faire oublier cette unité
de situation.
« Callot sut introduire dans ce chef-d'œuvre, la Tentation, un
mélange de sérieux et de comique, de grotesque et de grandiose, digne
du Dante et de l'Arioste, » dit le biographe déjà cité.
Qu'un Lorrain vante le patriotisme du graveur refusant de graver une
planche que lui commandaient des adversaires triomphants, rien de
mieux. Mais mettre l'auteur de la Divine Comédie au même rang qu'un
ouvrier patient, voilà qui passe les bornes et fera bien sourire de nos en-
thousiasmes artistiques sans limites la'génération raisonnable qui suivra.
Ceux qui connaissent les vieux maîtres flamands, Jérôme Bosch,
Breughel d'Enfer, savent d'ailleurs combien Callot a emprunté à leurs
planches symboliques de détails pour sa Tentation. Ceux-là, les peintres
flamands du xvie siècle étaient pleins d'imaginations compliquées, débor-
dantes, confuses. Travailleurs infatigables, ils ont bourré leur grange
d'un tel amas de drôleries, de rêves fantasques, de symboles étranges,
que les artistes qui leur succédaient y trouvaient tous à puiser.
Mais Callot, on peut l'effacer de la liste des « drôles. » Ce ne sera pas
tâche facile, tant l'imagination l'emporte sur la réalité, tant les opinions
de convention et qui se perpétuent forment glu et prennent les esprils
légers et assoupis et même parfois les esprits réfléchis.
J'ai été vivement frappé par un détail dramatique prouvant la force
de l'imagination. Rossel, condamné à mort pour avoir pris part à l'insur-
rection de la Commune, attendit longtemps la fin de son sort. Fièvre
politique, orgueil mis à part, l'homme était intelligent et ses facultés
eussent pu être tournées vers un but plus élevé que de commander des
troupes d'insurgés maniaques. A quelles occupations Rossel se livre-t-il
dans son cachot pour échapper à la solitude, aux angoisses d'une condam-.
nation à mort? Il copie à la plume des figures de la série des Gueux de
Callot. Il les commente et y joint des annotations ingénieuses qui prou-
vent combien il croit à la réputation du graveur.
J'aurais compris le condamné lisant une grande œuvre philosophique,
un philosophe ou un sceptique, Platon ou Montaigne; mais je reste
pour le moins étonné d'un tel emploi de derniers jours comptés, et de l'ad-
miration du méticuleux et froid Callot dont la place est marquée dans le Dic-
tionnaire des graveurs, mais qui ne doit occuper qu'un bien petit coin à
l'arrière-plan du petit groupe des maîtres véritablement fantasques.
CHAMPFLEUR Y.