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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un dieu, mais un dieu qui pense. Quant aux têtes d’Achillée et de Nérée,
elles sont d’une austérité, d’une ferveur, d’un mysticisme extraordinaires.
Où donc Rubens, si heureux et si charmé des fêtes de la vie, a-t-il pris
cette note religieuse et cette conviction extatique ?
Nous l'avons dit, le tableau de Saint Grégoire ne resta guère qu’un
instant sur l’autel de la CJiicsa Nuova, Rubens ayant jugé qu’une pareille
œuvre méritait une place meilleure. La lumière est si mauvaise, écrivait-il
à Chieppio le 2 février 1608, « che à pena si ponno discernere le figure
non clie goclere Vesquisitezza del colorito e delicatezza delle teste e panni
cavati con gran studio del naturelle. » Rubens enleva donc l’original et le
remplaça par une autre décoration qui, à vrai dire, était une œuvre nou-
velle. Les oratoriens lui avaient permis d’agir à son caprice. Comme il ne
voulait pas se répéter textuellement, il fragmenta son thème en trois mor-
ceaux. Au centre, la Vierge tenant l’Enfant; à droite, saint Grégoire,
saint Maurice et saint Papien, à gauche sainte Domitille, saint Nérée et
saint Achillée. Les maîtres de la maison furent satisfaits de l’œuvre de
Rubens, mais ils mirent à la payer une lenteur extrême 1.
Pendant qu’il travaillait au Saint Grégoire du musée de Grenoble et à
la variante qui existe encore à Rome, Rubens n’oubliait pas qu'il appar-
tenait au duc de Mantoue et il employait tout son zèle à le servir. 11 ache-
tait des tableaux pour son maître. Et quels tableaux ! Le choix des œuvres
dont il négocia l’acquisition devait être significatif, et il le fut en effet.
Le peintre moderne que Rubens préfère, en 1607, c’est Caravage. Nous
le savions déjà par la façon dont le coloriste flamand fait jouer les clairs sur
les ombres ; mais ici sa passion se précise par des pièces écrites : il achète,
donc il est charmé. Caravage avait peint pour l’église délia Scala in Trans-
tevere, un grand tableau, la Mort de la Vierge. Par des raisons qu’on ne
sait pas bien, ce tableau, qui eut un violent succès parmi les artistes, ne
resta pas longtemps dans l’église 2. Au printemps de 1607, il était à
1. Les pièces de comptabilité ont été retrouvées par Bertolotti dans les archives de
la congrégation de l’Oratoire. Le premier payement est du 25 octobre 1608, le dernier
du 1er avril 1612, alors que Rubens était depuis longtemps retourné à Anvers. Les
reçus, signés l’un par Rubens, l’autre par son mandataire le peintre Jacques de Hase,
sont imprimés dans le volume de Rosenberg, Rubensbriefe, p. 38. — Francis Wev
a parlé d’une étrange façon de ces peintures, qui l’ont dérouté et qu’il trouve singu-
lières. « Celle du centre (la Vierge) est un régal à la flamande.... Mais les saints des
cadres de droite et de gauche, drapés, ajustés, contournés, presque vénitiens, rentrent
parmi ces ouvrages hybrides où, poursuivant le style, le maître sort de lui-même
pour devenir ce qu’on appelle Rubens en Italie. Rome, 1872, p. 262.
2. Lanzi écrit à ce propos une phrase qu’il faut rappeler. Après avoir dit que Cara-
vage a parfois produit des œuvres d’un naturalisme déplaisant, il ajoute : Alcune sue
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un dieu, mais un dieu qui pense. Quant aux têtes d’Achillée et de Nérée,
elles sont d’une austérité, d’une ferveur, d’un mysticisme extraordinaires.
Où donc Rubens, si heureux et si charmé des fêtes de la vie, a-t-il pris
cette note religieuse et cette conviction extatique ?
Nous l'avons dit, le tableau de Saint Grégoire ne resta guère qu’un
instant sur l’autel de la CJiicsa Nuova, Rubens ayant jugé qu’une pareille
œuvre méritait une place meilleure. La lumière est si mauvaise, écrivait-il
à Chieppio le 2 février 1608, « che à pena si ponno discernere le figure
non clie goclere Vesquisitezza del colorito e delicatezza delle teste e panni
cavati con gran studio del naturelle. » Rubens enleva donc l’original et le
remplaça par une autre décoration qui, à vrai dire, était une œuvre nou-
velle. Les oratoriens lui avaient permis d’agir à son caprice. Comme il ne
voulait pas se répéter textuellement, il fragmenta son thème en trois mor-
ceaux. Au centre, la Vierge tenant l’Enfant; à droite, saint Grégoire,
saint Maurice et saint Papien, à gauche sainte Domitille, saint Nérée et
saint Achillée. Les maîtres de la maison furent satisfaits de l’œuvre de
Rubens, mais ils mirent à la payer une lenteur extrême 1.
Pendant qu’il travaillait au Saint Grégoire du musée de Grenoble et à
la variante qui existe encore à Rome, Rubens n’oubliait pas qu'il appar-
tenait au duc de Mantoue et il employait tout son zèle à le servir. 11 ache-
tait des tableaux pour son maître. Et quels tableaux ! Le choix des œuvres
dont il négocia l’acquisition devait être significatif, et il le fut en effet.
Le peintre moderne que Rubens préfère, en 1607, c’est Caravage. Nous
le savions déjà par la façon dont le coloriste flamand fait jouer les clairs sur
les ombres ; mais ici sa passion se précise par des pièces écrites : il achète,
donc il est charmé. Caravage avait peint pour l’église délia Scala in Trans-
tevere, un grand tableau, la Mort de la Vierge. Par des raisons qu’on ne
sait pas bien, ce tableau, qui eut un violent succès parmi les artistes, ne
resta pas longtemps dans l’église 2. Au printemps de 1607, il était à
1. Les pièces de comptabilité ont été retrouvées par Bertolotti dans les archives de
la congrégation de l’Oratoire. Le premier payement est du 25 octobre 1608, le dernier
du 1er avril 1612, alors que Rubens était depuis longtemps retourné à Anvers. Les
reçus, signés l’un par Rubens, l’autre par son mandataire le peintre Jacques de Hase,
sont imprimés dans le volume de Rosenberg, Rubensbriefe, p. 38. — Francis Wev
a parlé d’une étrange façon de ces peintures, qui l’ont dérouté et qu’il trouve singu-
lières. « Celle du centre (la Vierge) est un régal à la flamande.... Mais les saints des
cadres de droite et de gauche, drapés, ajustés, contournés, presque vénitiens, rentrent
parmi ces ouvrages hybrides où, poursuivant le style, le maître sort de lui-même
pour devenir ce qu’on appelle Rubens en Italie. Rome, 1872, p. 262.
2. Lanzi écrit à ce propos une phrase qu’il faut rappeler. Après avoir dit que Cara-
vage a parfois produit des œuvres d’un naturalisme déplaisant, il ajoute : Alcune sue