DÉCOUVERTE DES MOMIES ROYALES DE THÈBES.
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nous ne savons quelles destinées! Jamais, assurément, résurrection n’a été plus
étrange. »
Trois cents Arabes furent réunis et, après quarante-huit heures d’un
travail ardu, par 50° de chaleur, le caveau était vide et les momies
rangées au milieu du cirque dont le fond tapissé de sable se creuse en
une cuvette aux contours adoucis qu’entoure l'imposante muraille de
rochers, découpée verticalement comme un jeu d’orgues. Au lieu d’une
momie royale il y en avait trente-six ! Ce fut un spectacle saisissant, nous
dit M. Brugsch, que de voir étendus côte à côte en cette solitude et au
milieu du calme de la nuit, toutes ces gaines de momies aux formes ri-
gides, aux yeux fixes, et dont la lune faisait revivre les enluminures, les
ors et les blancheurs.
Pnen de plus pénible que de surveiller le transport de ces six mille
objets, grands et petits, à travers l’immense plaine de Thèbes que cer-
taines momies portées par seize hommes mirent huit heures à traverser ;
il fallut même d’énergiques mesures pour arrêter les tentatives de vols
de quelques jeunes Arabes, aussi habiles qu’obstinés à dissimuler.
Lorsqu’on vint relever les momies pour les emporter, un fait singulier
s’était produit : le soleil ardent, qui rendait les caisses vernissées aussi
brûlantes que du fer rouge, avait agi sans ménagement sur le corps d’un
personnage privé de couvercle et à demi démailloté. Les muscles mo-
mifiés s’étaient contractés comme des cordes à violon et l’avant-bras de
ce mort, aussi vieux que les héros d’Homère, se dressait menaçant hors
du cercueil. On eut grand’peine à le faire rentrer et il fallut y employer
la force.
Tout ce panthéon funèbre fut arrimé dans le bateau à vapeur du
Musée (celui de feu Mariette) qu’on venait d’envoyer à Louqsor. Le pont,
les divans, les tables étaient chargés de dépouilles royales; le lit de Ma-
riette et chacune des chambres que nous avions occupées et que nous
occupâmes depuis, devint alors l’asile d’un roi ou d’une reine d’Egvpte;
pour la dernière fois ils descendaient ce fleuve que si souvent ils par-
coururent avec un appareil de guerre ou de fête. Ils durent être satisfaits,
car les autorités civiles et militaires de toutes les provinces venaient leur
rendre visite, demandant avec une candeur tout orientale si de pareils
trésoi's ne suffiraient pas à payer toutes les dettes de l’Égvpte. Au pas-
sage du bateau, sur lequel on apercevait ces grands corps allongés, la
population de la Thébaïde accourait sur les deux rives du Nil : les
hommes faisaient fantasia en tirant des coups de fusil, les femmes éche-
velées poussaient leur cri du zagharît, cette ululation argentine qu’elles
font entendre à toute occasion de deuil ou de fête. Ne faut-il pas voir
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nous ne savons quelles destinées! Jamais, assurément, résurrection n’a été plus
étrange. »
Trois cents Arabes furent réunis et, après quarante-huit heures d’un
travail ardu, par 50° de chaleur, le caveau était vide et les momies
rangées au milieu du cirque dont le fond tapissé de sable se creuse en
une cuvette aux contours adoucis qu’entoure l'imposante muraille de
rochers, découpée verticalement comme un jeu d’orgues. Au lieu d’une
momie royale il y en avait trente-six ! Ce fut un spectacle saisissant, nous
dit M. Brugsch, que de voir étendus côte à côte en cette solitude et au
milieu du calme de la nuit, toutes ces gaines de momies aux formes ri-
gides, aux yeux fixes, et dont la lune faisait revivre les enluminures, les
ors et les blancheurs.
Pnen de plus pénible que de surveiller le transport de ces six mille
objets, grands et petits, à travers l’immense plaine de Thèbes que cer-
taines momies portées par seize hommes mirent huit heures à traverser ;
il fallut même d’énergiques mesures pour arrêter les tentatives de vols
de quelques jeunes Arabes, aussi habiles qu’obstinés à dissimuler.
Lorsqu’on vint relever les momies pour les emporter, un fait singulier
s’était produit : le soleil ardent, qui rendait les caisses vernissées aussi
brûlantes que du fer rouge, avait agi sans ménagement sur le corps d’un
personnage privé de couvercle et à demi démailloté. Les muscles mo-
mifiés s’étaient contractés comme des cordes à violon et l’avant-bras de
ce mort, aussi vieux que les héros d’Homère, se dressait menaçant hors
du cercueil. On eut grand’peine à le faire rentrer et il fallut y employer
la force.
Tout ce panthéon funèbre fut arrimé dans le bateau à vapeur du
Musée (celui de feu Mariette) qu’on venait d’envoyer à Louqsor. Le pont,
les divans, les tables étaient chargés de dépouilles royales; le lit de Ma-
riette et chacune des chambres que nous avions occupées et que nous
occupâmes depuis, devint alors l’asile d’un roi ou d’une reine d’Egvpte;
pour la dernière fois ils descendaient ce fleuve que si souvent ils par-
coururent avec un appareil de guerre ou de fête. Ils durent être satisfaits,
car les autorités civiles et militaires de toutes les provinces venaient leur
rendre visite, demandant avec une candeur tout orientale si de pareils
trésoi's ne suffiraient pas à payer toutes les dettes de l’Égvpte. Au pas-
sage du bateau, sur lequel on apercevait ces grands corps allongés, la
population de la Thébaïde accourait sur les deux rives du Nil : les
hommes faisaient fantasia en tirant des coups de fusil, les femmes éche-
velées poussaient leur cri du zagharît, cette ululation argentine qu’elles
font entendre à toute occasion de deuil ou de fête. Ne faut-il pas voir