BENVENUTO CELLINI.
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peintre, imprimeur, graveur et poète, pratiquait aussi l’orfèvrerie à ses
moments perdus : dans une pièce latine de sa composition, il parle d’un
vase orné de pierres fines qu’il avait fait pour sa fille. C’est lui qui nous
a conservé le dessin de « deux chandeliers à l’antique » présentés par la
ville de Paris à la reine Eléonore. Il revient souvent sur cette expression
« ouvrages à l’antique » ; car Tory, comme tous ses confrères, n’entend
pas travailler « à l’italienne ». Quand il se rend chez nos voisins pour se
perfectionner dans le dessin, ce qu'il cherche ce sont les débris de l’art
romain répandus dans le Languedoc et dans l’Italie ; c’est le théâtre
d’Orange, le Colisée de Rome, qu’il a vu plus de « mille fois », c’est l’an-
tiquité même prise sur le fait et sur place. Et de retour en France, devenu
maître de son art, il compose ses vignettes incomparables pour servir de
modèles et de « bon amonestement », non seulement à ses compatriotes,
mais encore à « ceux de par deçà », c’est-à-dire aux Italiens.
Nos maîtres n’avaient donc à recevoir de leçons de personne quand
Cellini parut en France ; mais le Florentin ne s’en inquiète guère, son
siège est fait. Persuadé qu’il est le premier orfèvre du monde, prenant
au pied de la lettre les encouragements de Michel-Ange et les flatteries
de François Ier, il ne connaît et ne reconnaît que lui. Son égoïsme sur ce
point est inconscient et implacable : n’est-ce pas lui qui, pendant le
siège de Rome, avait fondu, sur l’ordre du pape il est vrai, mais sans un
mot de regret, sans une protestation, les plus merveilleux chefs-d’œuvre
des grands orfèvres de la Renaissance italienne? Et il faut l’entendre
raconter lui-même les détails de l’opération, naïvement, de sang-froid,
comme s’il s’agissait de fondre des lingots ou des écus d’or!
Le voilà donc à Paris et, du premier jour, il part en campagne l’ébau-
choir d’un main et l’escopette de l’autre. Il entre en pays conquis, pre-
nant d’assaut le Petit-Nesle, jetant les locataires récalcitrants par les
fenêtres, bataillant contre « ces animaux de Français »; bruyant, remuant,
vindicatif, impertinent, ombrageux, toujours la riposte aux lèvres et la
flamberge au vent. Mécontent de tout le monde, même du cardinal de
Ferrare, son meilleur appui, il trouve moyen de se brouiller avec la
duchesse d’Étampes, avec le baron de Saint-Pol, avec le grand prévôt, le
lieutenant-criminel et la justice entière. Il dit son fait à l’amiral de
France, malmène le trésorier Grolier, le plus célèbre et le plus inoffensif
des bibliophiles, menace le Primatice de le « tuer comme un chien», et
rosse de temps à autre Catherine, son modèle, pour se refaire la main
dans l’intimité.
Dans ce désordre et ce tapage, il dessine, ébauche, martelle ; sa tête
déborde, vingt projets sont sur le chantier. A la fois sculpteur, fondeur,
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peintre, imprimeur, graveur et poète, pratiquait aussi l’orfèvrerie à ses
moments perdus : dans une pièce latine de sa composition, il parle d’un
vase orné de pierres fines qu’il avait fait pour sa fille. C’est lui qui nous
a conservé le dessin de « deux chandeliers à l’antique » présentés par la
ville de Paris à la reine Eléonore. Il revient souvent sur cette expression
« ouvrages à l’antique » ; car Tory, comme tous ses confrères, n’entend
pas travailler « à l’italienne ». Quand il se rend chez nos voisins pour se
perfectionner dans le dessin, ce qu'il cherche ce sont les débris de l’art
romain répandus dans le Languedoc et dans l’Italie ; c’est le théâtre
d’Orange, le Colisée de Rome, qu’il a vu plus de « mille fois », c’est l’an-
tiquité même prise sur le fait et sur place. Et de retour en France, devenu
maître de son art, il compose ses vignettes incomparables pour servir de
modèles et de « bon amonestement », non seulement à ses compatriotes,
mais encore à « ceux de par deçà », c’est-à-dire aux Italiens.
Nos maîtres n’avaient donc à recevoir de leçons de personne quand
Cellini parut en France ; mais le Florentin ne s’en inquiète guère, son
siège est fait. Persuadé qu’il est le premier orfèvre du monde, prenant
au pied de la lettre les encouragements de Michel-Ange et les flatteries
de François Ier, il ne connaît et ne reconnaît que lui. Son égoïsme sur ce
point est inconscient et implacable : n’est-ce pas lui qui, pendant le
siège de Rome, avait fondu, sur l’ordre du pape il est vrai, mais sans un
mot de regret, sans une protestation, les plus merveilleux chefs-d’œuvre
des grands orfèvres de la Renaissance italienne? Et il faut l’entendre
raconter lui-même les détails de l’opération, naïvement, de sang-froid,
comme s’il s’agissait de fondre des lingots ou des écus d’or!
Le voilà donc à Paris et, du premier jour, il part en campagne l’ébau-
choir d’un main et l’escopette de l’autre. Il entre en pays conquis, pre-
nant d’assaut le Petit-Nesle, jetant les locataires récalcitrants par les
fenêtres, bataillant contre « ces animaux de Français »; bruyant, remuant,
vindicatif, impertinent, ombrageux, toujours la riposte aux lèvres et la
flamberge au vent. Mécontent de tout le monde, même du cardinal de
Ferrare, son meilleur appui, il trouve moyen de se brouiller avec la
duchesse d’Étampes, avec le baron de Saint-Pol, avec le grand prévôt, le
lieutenant-criminel et la justice entière. Il dit son fait à l’amiral de
France, malmène le trésorier Grolier, le plus célèbre et le plus inoffensif
des bibliophiles, menace le Primatice de le « tuer comme un chien», et
rosse de temps à autre Catherine, son modèle, pour se refaire la main
dans l’intimité.
Dans ce désordre et ce tapage, il dessine, ébauche, martelle ; sa tête
déborde, vingt projets sont sur le chantier. A la fois sculpteur, fondeur,