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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Oui, dans cette grande œuvre qui n’est pas shakesparienne autant
qu’on le voudrait, mais qui est la production prodigieuse d’un moment
troublé et d’un esprit en proie à des souvenirs tyranniques, il reste,
comme l’a dit Fromentin, une bonne odeur italienne. Hâtons-nous de
saisir ce parfum subtil à l’heure où il va s’évaporer peu à peu. Ce parfum
disparaîtra-t-il complètement dans les œuvres postérieures? Non; mêlé à
des senteurs nouvelles, il ira en s’affaiblissant : il ne se perdra pas tout à
fait. Plus je songe à ces choses délicates que les pauvres mots dont nous
nous servons ont tant de peine à dire, plus je m’affermis dans cette pensée
que le voyage de Rubens en Italie a été pour lui un événement extraor-
dinaire. On oublie les aventures de l’enfance inconsciente, on oublie les
serments d’amour et parfois même les douleurs les plus sincèrement
subies, on n’oublie pas ses premiers enthousiasmes. Rubens se souvint
bien longtemps, sinon toujours, de Venise et de Mantoue, de Rome et de
Florence. Au moment où nous sommes parvenus, il croit encore et peut-
être plus qu’il ne faudrait à la vigueur des ombres fortes; il va y renon-
cer, mais il gardera de sa jeunesse italienne une certaine chaleur dans le
ton des chairs, le goût des vastes ordonnances et du décor, la précieuse
faculté de donner du relief aux figures et une autre puissance très spé-
ciale que nous avons déjà remarquée dans le Saint Grégoire de Grenoble,
l’art de faire croire que les acteurs qu’il met en scène sont de proportion
plus grande que nature. Son âme était sereine et douce, il connut tou-
jours l’équilibre de l’esprit et le bon ordre intellectuel; mais l’artiste va
agir sur l’homme et Rubens deviendra bientôt, s’il ne l’est déjà, l’infati-
gable remueur des spectacles agités.
PAUL MANTZ.
( La suite prochainement. )
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Oui, dans cette grande œuvre qui n’est pas shakesparienne autant
qu’on le voudrait, mais qui est la production prodigieuse d’un moment
troublé et d’un esprit en proie à des souvenirs tyranniques, il reste,
comme l’a dit Fromentin, une bonne odeur italienne. Hâtons-nous de
saisir ce parfum subtil à l’heure où il va s’évaporer peu à peu. Ce parfum
disparaîtra-t-il complètement dans les œuvres postérieures? Non; mêlé à
des senteurs nouvelles, il ira en s’affaiblissant : il ne se perdra pas tout à
fait. Plus je songe à ces choses délicates que les pauvres mots dont nous
nous servons ont tant de peine à dire, plus je m’affermis dans cette pensée
que le voyage de Rubens en Italie a été pour lui un événement extraor-
dinaire. On oublie les aventures de l’enfance inconsciente, on oublie les
serments d’amour et parfois même les douleurs les plus sincèrement
subies, on n’oublie pas ses premiers enthousiasmes. Rubens se souvint
bien longtemps, sinon toujours, de Venise et de Mantoue, de Rome et de
Florence. Au moment où nous sommes parvenus, il croit encore et peut-
être plus qu’il ne faudrait à la vigueur des ombres fortes; il va y renon-
cer, mais il gardera de sa jeunesse italienne une certaine chaleur dans le
ton des chairs, le goût des vastes ordonnances et du décor, la précieuse
faculté de donner du relief aux figures et une autre puissance très spé-
ciale que nous avons déjà remarquée dans le Saint Grégoire de Grenoble,
l’art de faire croire que les acteurs qu’il met en scène sont de proportion
plus grande que nature. Son âme était sereine et douce, il connut tou-
jours l’équilibre de l’esprit et le bon ordre intellectuel; mais l’artiste va
agir sur l’homme et Rubens deviendra bientôt, s’il ne l’est déjà, l’infati-
gable remueur des spectacles agités.
PAUL MANTZ.
( La suite prochainement. )