RUBENS.
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dont M. Paul Lefort parlait si bien le mois dernier et dont nous donnons
aujourd’hui la gravure. Nous ne savons pas exactement en vue de quelle
Adoration cette merveilleuse peinture a été faite, mais elle est si sincère
dans son audace, si scrupuleusement attentive à traduire le caractère
particulier de la vie individuelle, qu’elle nous paraît se rapporter comme
date à une époque où Rubens garde encore le culte de la réalité et reste
devant la nature vivante dans l’attitude soumise qui convient à un dis-
ciple passionné.
Pour en revenir à Y Adoration des Mages qui forme le motif central
du triptyque de l’église Saint-Jean à Malines, nous dirons que, parmi les
compositions où Rubens a développé ce thème, elle n’est pas la moins
belle. L’œuvre est audacieuse sans doute, mais elle contient aussi de la
sagesse. Descamps n’était pas loin de la trouver un peu froide. Ce beau
tableau, dit-il, est « un des plus corrects » de Rubens; mais le grand
peintre n’y avait pas, à son sens, montré la facilité qu’il a su d’ordinaire
répandre dans ses ouvrages. Ce Descamps était difficile. Fromentin a parlé
plus intelligemment du triptyque de Malines. Bien qu’il y constate « des
visages bleuâtres d’une froideur très inattendue », il considère Y Adora-
tion des Mages « comme un des plus beaux tableaux de Rubens dans ce
genre de toiles à grand spectacle ». Et après une description tracée de
main de maître, il ajoute: « 11 faut voir la façon dont tout cela vit, se
meut, respire, regarde, agit, se colore, s’évanouit, se relie au cadre et
s’en détache, y meurt par des clairs, s’y installe et s’y met d’aplomb par
des forces. Et quant aux croisements des nuances, à l’extrême richesse
obtenue par des moyens simples, à la violence de certains tons, à la dou-
ceur de certains autres, à l’abondance du rouge, et cependant à la fraî-
cheur de l’ensemble, quant aux lois qui président à de pareils effets, ce
sont des choses qui déconcertent ».
On prête à Rubens un mot qui est répété dans tous les livres et qu’on
s’étonnerait peut-être de ne pas retrouver ici. Un jour, comme on le féli-
citait à propos d’un de ses tableaux, il aurait répondu : « C’est à Malines
qu’il faut voir mes beaux ouvrages ». Authentique ou inventé — on
sait broder dans le pays des dentelles — le mot s’applique aussi bien à
Y Adoration des mages de l’église Saint-Jean qu’au vaste triptyque que
le maître peignit en 1618 pour l’autel des Poissonniers, à l’église collégiale
de Notre-Dame. L’œuvre n’est pas moins célèbre. C’est encore un tableau
à volets, un tableau dont les ailes, tour à tour ouvertes ou fermées, sont
peintes sur les deux faces. Pour complaire aux confrères de la gilde,
Rubens a cherché dans l’Évangile et dans l’Ancien Testament toutes les
scènes où le poisson joue un rôle. Le sujet principal, qui a été gravé par
xxvii. — 2e PK1UODE. 41
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dont M. Paul Lefort parlait si bien le mois dernier et dont nous donnons
aujourd’hui la gravure. Nous ne savons pas exactement en vue de quelle
Adoration cette merveilleuse peinture a été faite, mais elle est si sincère
dans son audace, si scrupuleusement attentive à traduire le caractère
particulier de la vie individuelle, qu’elle nous paraît se rapporter comme
date à une époque où Rubens garde encore le culte de la réalité et reste
devant la nature vivante dans l’attitude soumise qui convient à un dis-
ciple passionné.
Pour en revenir à Y Adoration des Mages qui forme le motif central
du triptyque de l’église Saint-Jean à Malines, nous dirons que, parmi les
compositions où Rubens a développé ce thème, elle n’est pas la moins
belle. L’œuvre est audacieuse sans doute, mais elle contient aussi de la
sagesse. Descamps n’était pas loin de la trouver un peu froide. Ce beau
tableau, dit-il, est « un des plus corrects » de Rubens; mais le grand
peintre n’y avait pas, à son sens, montré la facilité qu’il a su d’ordinaire
répandre dans ses ouvrages. Ce Descamps était difficile. Fromentin a parlé
plus intelligemment du triptyque de Malines. Bien qu’il y constate « des
visages bleuâtres d’une froideur très inattendue », il considère Y Adora-
tion des Mages « comme un des plus beaux tableaux de Rubens dans ce
genre de toiles à grand spectacle ». Et après une description tracée de
main de maître, il ajoute: « 11 faut voir la façon dont tout cela vit, se
meut, respire, regarde, agit, se colore, s’évanouit, se relie au cadre et
s’en détache, y meurt par des clairs, s’y installe et s’y met d’aplomb par
des forces. Et quant aux croisements des nuances, à l’extrême richesse
obtenue par des moyens simples, à la violence de certains tons, à la dou-
ceur de certains autres, à l’abondance du rouge, et cependant à la fraî-
cheur de l’ensemble, quant aux lois qui président à de pareils effets, ce
sont des choses qui déconcertent ».
On prête à Rubens un mot qui est répété dans tous les livres et qu’on
s’étonnerait peut-être de ne pas retrouver ici. Un jour, comme on le féli-
citait à propos d’un de ses tableaux, il aurait répondu : « C’est à Malines
qu’il faut voir mes beaux ouvrages ». Authentique ou inventé — on
sait broder dans le pays des dentelles — le mot s’applique aussi bien à
Y Adoration des mages de l’église Saint-Jean qu’au vaste triptyque que
le maître peignit en 1618 pour l’autel des Poissonniers, à l’église collégiale
de Notre-Dame. L’œuvre n’est pas moins célèbre. C’est encore un tableau
à volets, un tableau dont les ailes, tour à tour ouvertes ou fermées, sont
peintes sur les deux faces. Pour complaire aux confrères de la gilde,
Rubens a cherché dans l’Évangile et dans l’Ancien Testament toutes les
scènes où le poisson joue un rôle. Le sujet principal, qui a été gravé par
xxvii. — 2e PK1UODE. 41