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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 27.1883

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Nr. 6
DOI article:
Bigot, Charles: Le Salon de 1883, 1
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https://doi.org/10.11588/diglit.24259#0489

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LE SALON DE 1883.

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deur en même temps que la rudesse. Il n’a pas cherché à embellir ses
campagnards, il les a représentés tels qu’ils s’offraient à lui sous leurs
pauvres vêtements, dans leurs costumes de travail, courbés sur leurs
sillons, fatigués avant l’âge par une lutte incessante au milieu des
âpres éléments. Mais il les peignait avec amour; leur courage, leur
énergie, leur simplicité d’âme, leurs humbles vertus, leurs joies et leurs
souffrances, leur âpre volonté, — il a su rendre tout cela; à ces laboureurs,
à ces moissonneurs, à ces femmes occupées à filer ou à ces jeunes filles
qui gardent un troupeau, à ces paysans qui s’interrompent un moment
pour écouter la cloche du village qui sonne au loin XAngélus, il a donné,
en même temps que la vérité et la justesse des mouvements, la dignité
et la noblesse des personnages de l’histoire.

C’est du jour où cet art est apparu que nous pouvons faire dater en
France la renaissance de la grande peinture. Le prophète avait frappé de
sa verge le rocher, et l’eau vive en a jailli. Après François Millet d’autres
peuvent venir ; ils n’étudieront plus seulement les paysans ouïes pêcheurs,
ils porteront le même effort et la même attention sur toutes les formes de
la vie qui nous entoure. Tous les travaux de l’humanité, toutes les condi-
tions et toutes les professions sociales, toutes les comédies et toutes les
tragédies de cette vie humaine, si riche de joies et de douleurs, appar-
tiennent au peintre, comme elles appartiennent au poète. Aucun temps,
aucun costume, aucun symbole ne peut revendiquer pour lui le mono-
pole du grand art; le grand livre de la vie est ouvert devant tous, et
toutes les pages en sont également belles et intéressantes ; il suffit de
savoir y lire; mais personne n’v réussira s’il n’apporte, avec de bons
yeux, la droiture de l’esprit, la sincérité du cœur et l’émotion poétique de
l’âme.

Ce mouvement ne s’est pas fait en un jour, et la vie de Millet tout
entière a été, on ne le sait que trop, une vie de lutte et de misère. Ce
n’est pas du premier jour que le public a consenti à regarder sans
dédain ces humbles personnages qu’on lui offrait à la place des dieux
de l’Olympe, des saints de la légende ou des héros de l’histoire. Il a
commencé par les trouver laids et vulgaires, puis ses yeux se sont peu
à peu habitués à les voir; ses préjugés sont tombés un à un; il a
fini par être tout surpris, un beau jour, de trouver à ces peintures de la vie
ordinaire un charme pénétrant et profond. Aujourd’hui, on peut le dire,
l’évolution est accomplie; le mouvement emporte ceux-là même qui y
ont le plus longtemps résisté. Depuis une dizaine d’années déjà, il était
facile à un œil attentif de suivre les progrès de l’école nouvelle; chaque
Salon manifestait, un peu plus accusées que le Salon précédent, les ten-

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