LE SALON DE 1883. 471
quand même elle devrait quelque jour vous mener, vous aussi, à l’In-
stitut !
La peinture historique ne fait pas à nos Salons beaucoup meilleure
figure que les genres dont je viens de parler. Explique qui pourra cette
contradiction : notre siècle est par excellence le siècle de l’histoire;
jamais le passé n’a été étudié avec plus de conscience, mieux connu, et
nous pouvons ajouter, mieux compris. Jamais on n’a écrit plus de livres
où l’histoire de chaque peuple ait été racontée, le génie de chaque race, le
caractère et la physionomie de chaque siècle mieux exprimés. Jamais les
documents de toute sorte, depuis les costumes jusqu’aux traits propres
de la vie morale, n’ont été mieux mis à la disposition des artistes, — et,
jamais la peinture historique n’a fait plus piètre figure. Serait-ce que
l’imagination fait défaut à nos peintres pour rendre la vie à ces docu-
ments divers? Je crains plutôt que ce ne soit encore l’éducation générale
qui leur manque davantage. Un peintre d’histoire doit être avant tout un
homme qui a reçu une solide raison et qui l’a fortifiée par de vigoureuses
études littéraires. Ces études-là sont malheureusement beaucoup trop
négligées à l’Ecole des Beaux-Arts, et si plus tard les artistes sentent
l’insuffisance de leur instruction, ou il est trop tard pour la corriger
utilement, on le temps manque dans une vie trop occupée par le métier.
Oserais-je ajouter que les exercices d’école, qui enseignent à composer
suivant certaines recettes et certaines formules, à distribuer les person-
nages d'une scène d’après certaines lignes et certains équilibres de
groupes, sont tout ce qu’il y a de plus contraire au monde au véritable
sentiment historique ?
M. Cazin, à qui du moins on ne reprochera pas d’avoir été gêné par
les procédés de composition de l’Ecole, nous montre au premier plan
quatre ou cinq personnages groupés parmi des manières de ruines ; l’un
porte la blouse comme un de nos ouvriers, l’autre a l’air d’un petit
pâtre du Midi; un peu plus loin, une femme, vêtue d’une robe brodée
et par-dessus la robe d’un manteau, suivie d’une autre femme ; au
fond, les murailles d’une ville, marquées de distance en distance par
une demi-tour en briques; on dirait les murailles de Carcassonne. Que
représente ce tableau? Qu’a voulu peindre l’artiste? On cherche, rêveur,
évoquant en vain tous ses souvenirs, jusqu’à ce qu’enfin on se décide
à ouvrir le livret, et l’on apprend alors que nous avons affaire à Judith
sortant de Béthulie pour aller, au prix que l’on sait, couper la tête d’Ho-
lopherne. Elle n’est pas belle au moins cette Judith, et l’imprudence
d’Holopherne est sans excuse! Mais ce n’est point là ce dont il s’agit.
Quoi ! nous sommes en Judée avec ces costumes tous pris à notre temps
quand même elle devrait quelque jour vous mener, vous aussi, à l’In-
stitut !
La peinture historique ne fait pas à nos Salons beaucoup meilleure
figure que les genres dont je viens de parler. Explique qui pourra cette
contradiction : notre siècle est par excellence le siècle de l’histoire;
jamais le passé n’a été étudié avec plus de conscience, mieux connu, et
nous pouvons ajouter, mieux compris. Jamais on n’a écrit plus de livres
où l’histoire de chaque peuple ait été racontée, le génie de chaque race, le
caractère et la physionomie de chaque siècle mieux exprimés. Jamais les
documents de toute sorte, depuis les costumes jusqu’aux traits propres
de la vie morale, n’ont été mieux mis à la disposition des artistes, — et,
jamais la peinture historique n’a fait plus piètre figure. Serait-ce que
l’imagination fait défaut à nos peintres pour rendre la vie à ces docu-
ments divers? Je crains plutôt que ce ne soit encore l’éducation générale
qui leur manque davantage. Un peintre d’histoire doit être avant tout un
homme qui a reçu une solide raison et qui l’a fortifiée par de vigoureuses
études littéraires. Ces études-là sont malheureusement beaucoup trop
négligées à l’Ecole des Beaux-Arts, et si plus tard les artistes sentent
l’insuffisance de leur instruction, ou il est trop tard pour la corriger
utilement, on le temps manque dans une vie trop occupée par le métier.
Oserais-je ajouter que les exercices d’école, qui enseignent à composer
suivant certaines recettes et certaines formules, à distribuer les person-
nages d'une scène d’après certaines lignes et certains équilibres de
groupes, sont tout ce qu’il y a de plus contraire au monde au véritable
sentiment historique ?
M. Cazin, à qui du moins on ne reprochera pas d’avoir été gêné par
les procédés de composition de l’Ecole, nous montre au premier plan
quatre ou cinq personnages groupés parmi des manières de ruines ; l’un
porte la blouse comme un de nos ouvriers, l’autre a l’air d’un petit
pâtre du Midi; un peu plus loin, une femme, vêtue d’une robe brodée
et par-dessus la robe d’un manteau, suivie d’une autre femme ; au
fond, les murailles d’une ville, marquées de distance en distance par
une demi-tour en briques; on dirait les murailles de Carcassonne. Que
représente ce tableau? Qu’a voulu peindre l’artiste? On cherche, rêveur,
évoquant en vain tous ses souvenirs, jusqu’à ce qu’enfin on se décide
à ouvrir le livret, et l’on apprend alors que nous avons affaire à Judith
sortant de Béthulie pour aller, au prix que l’on sait, couper la tête d’Ho-
lopherne. Elle n’est pas belle au moins cette Judith, et l’imprudence
d’Holopherne est sans excuse! Mais ce n’est point là ce dont il s’agit.
Quoi ! nous sommes en Judée avec ces costumes tous pris à notre temps