GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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corps de leur chef héroïque; l’armée allemande, commandée par Bruns-
wick, rend à celui-ci les honneurs militaires. La composition est correcte,
bien ordonnée, la couleur suffisante; un tel ouvrage fait certainement
honneur au jeune artiste ; ce que l’on y cherche, sans pouvoir répondre
de l’y trouver, c’est la note personnelle et originale.
Je ne vois guère à signaler, parmi les tableaux d’histoire, que deux
toiles sortant de l’honorable moyenne ; la première est de M. Le Blant et
représente Y Exécution de Charette en il 96. Nous sommes au pied du
château de Nantes ; les troupes républicaines se tiennent massées et en
ordre sur la place ; le peloton d’exécution est là, les armes chargées.
Charette, les yeux bandés, le bras en écharpe, car on l’a pris blessé, est
adossé à la muraille ; un Vendéen fidèle vient de recevoir ses dernières
volontés ; un sous-officier des Bleus, la tête découverte, lui annonce que
le moment suprême est arrivé. Il se dégage de toute cette scène une im-
pression grave et saisissante ; il y a là plus et mieux qu’une composition
plus ou moins habilement agencée. Tout concourt à frapper l’esprit
autant que l’œil, jusqu’à l’effet du jour qui se lève, jusqu’au sol lavé par
la pluie de la nuit.
L’autre tableau, dont il faut parler, c’est YAndromaque, de M. Boche-
grosse. Ce jeune artiste qui a, si je ne me trompe, vingt-quatre ans à peine,
serait-il destiné à rendre à la France un peintre d’histoire véritable?
Puisse la prophétie n’ètre pas menteuse ! L’an dernier, M. Rochegrosse
obtenait une médaille pour son Vitellius. On y voyait, dans une mêlée
violente, la soldatesque et la populace romaines menant aux gémonies,
par une ruelle en escalier, l’ignoble César. Tout ce mouvement et cette
fougue se retrouvent, avec plus de vigueur et plus de science du métier,
dans Y Andromaque du jeune peintre. Des soldats grecs, au bas d’un
escalier, arrachent des bras d’Andromaque Astyanax , le fils d’Hector ;
l’un d’eux l'a déjà saisi et l’emporte, d’autres soldats s’attachent à la
mère, qui essaye de retenir le ravisseur, et la forcent à lâcher prise. En
haut de l’escalier, se profilant sur le ciel, on aperçoit Ulysse qui a com-
mandé l’enlèvement et va, du haut des remparts, précipiter l’enfant. Au
bas de l’escalier, des têtes coupées, une tache énorme de sang coagulé,
des cadavres rangés les uns auprès des autres ; à droite, l’incendie de
Troie, qui fait son œuvre, remplit l’air de fumée, jonche le sol de poutres
ardentes ; à gauche, des corps qui pendent attachés à la muraille. L’hor-
reur de la scène est rendue avec une furia véritable de mouvement et de
couleur. Le nom de Delacroix est venu sans trop de peine à l’esprit de
plus d’un en regardant la peinture de M. Rochegrosse. Me sera-t-il per-
mis de faire mes réserves et d’exprimer mes inquiétudes? Ce qui me
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corps de leur chef héroïque; l’armée allemande, commandée par Bruns-
wick, rend à celui-ci les honneurs militaires. La composition est correcte,
bien ordonnée, la couleur suffisante; un tel ouvrage fait certainement
honneur au jeune artiste ; ce que l’on y cherche, sans pouvoir répondre
de l’y trouver, c’est la note personnelle et originale.
Je ne vois guère à signaler, parmi les tableaux d’histoire, que deux
toiles sortant de l’honorable moyenne ; la première est de M. Le Blant et
représente Y Exécution de Charette en il 96. Nous sommes au pied du
château de Nantes ; les troupes républicaines se tiennent massées et en
ordre sur la place ; le peloton d’exécution est là, les armes chargées.
Charette, les yeux bandés, le bras en écharpe, car on l’a pris blessé, est
adossé à la muraille ; un Vendéen fidèle vient de recevoir ses dernières
volontés ; un sous-officier des Bleus, la tête découverte, lui annonce que
le moment suprême est arrivé. Il se dégage de toute cette scène une im-
pression grave et saisissante ; il y a là plus et mieux qu’une composition
plus ou moins habilement agencée. Tout concourt à frapper l’esprit
autant que l’œil, jusqu’à l’effet du jour qui se lève, jusqu’au sol lavé par
la pluie de la nuit.
L’autre tableau, dont il faut parler, c’est YAndromaque, de M. Boche-
grosse. Ce jeune artiste qui a, si je ne me trompe, vingt-quatre ans à peine,
serait-il destiné à rendre à la France un peintre d’histoire véritable?
Puisse la prophétie n’ètre pas menteuse ! L’an dernier, M. Rochegrosse
obtenait une médaille pour son Vitellius. On y voyait, dans une mêlée
violente, la soldatesque et la populace romaines menant aux gémonies,
par une ruelle en escalier, l’ignoble César. Tout ce mouvement et cette
fougue se retrouvent, avec plus de vigueur et plus de science du métier,
dans Y Andromaque du jeune peintre. Des soldats grecs, au bas d’un
escalier, arrachent des bras d’Andromaque Astyanax , le fils d’Hector ;
l’un d’eux l'a déjà saisi et l’emporte, d’autres soldats s’attachent à la
mère, qui essaye de retenir le ravisseur, et la forcent à lâcher prise. En
haut de l’escalier, se profilant sur le ciel, on aperçoit Ulysse qui a com-
mandé l’enlèvement et va, du haut des remparts, précipiter l’enfant. Au
bas de l’escalier, des têtes coupées, une tache énorme de sang coagulé,
des cadavres rangés les uns auprès des autres ; à droite, l’incendie de
Troie, qui fait son œuvre, remplit l’air de fumée, jonche le sol de poutres
ardentes ; à gauche, des corps qui pendent attachés à la muraille. L’hor-
reur de la scène est rendue avec une furia véritable de mouvement et de
couleur. Le nom de Delacroix est venu sans trop de peine à l’esprit de
plus d’un en regardant la peinture de M. Rochegrosse. Me sera-t-il per-
mis de faire mes réserves et d’exprimer mes inquiétudes? Ce qui me