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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
nature qui, pour être de source plutôt intellectuelle que réaliste, ne nous en
émeut pas moins. Grâces soient donc rendues aux organisateurs de l’Ex-
position internationale de nous avoir permis de revoir ces toiles d’antan
et d’y retrouver des émotions disparues. Non, la peinture de M. Hébert
n’est pas morte : elle est comme ces vieux flacons qui, dans leurs formes
un peu anciennes, conservent le parfum qu’on y mit autrefois.
Le voisinage bruyant des peintures de M. de Madrazo n’est pas pour
faire du tort à celles de M. Hébert. Le contraste est frappant, et, nous
devons le dire, s’il fallait y voir un indice du chemin parcouru par l’art
dans ces dernières années, on serait fort embarrassé de prononcer s’il y
a eu progrès ou recul. L’éclat du jeune peintre espagnol peut séduire
bien des gens; mais il en est d’autres qui regretteront l’absence des qua-
lités de goût, de distinction qui relèvent la peinture un peu mièvre de
M. Hébert et cette volonté, souvent couronnée de succès chez celui-ci, de
s’élever au-dessus de la représentation matérielle des choses. Les tableaux
de M. de Madrazo sont haut montés en couleur, mais ils ne sont pas d’un
coloriste : la discorde est dans sa palette. Son portrait de Mme la com-
tesse P. W. choque par la violence des tons qui s’v disputent avec aigreur ;
dans celui de l/mR N., blanc sur fond bleu, l’harmonie est plus tranquille;
la tête paraît jolie, mais le modèle y est bien pour quelque chose; quant
aux bras, celui qui s’allonge au premier plan laisse beaucoup à désirer
sous le double rapport du dessin et de la peinture. Dans la Sortie cle
bal masqué, M. de Madrazo a voulu établir qu'il savait à l’occasion con-
tenir la fougue de son pinceau et l’asservir à des besognes minuscules :
il a réussi une fois de plus à prouver son habileté, et c’est tout. De tableau,
nous n’en voyons pas dans ce cadre, ou plutôt il y en a un dans chaque
groupe : la sensation optique n’y gagne rien ; l’œil inquiet, déconcerté, ne
sachant où se poser, se sent agacé des notes aigrelettes qui l’assaillent
de toutes parts. Le groupe des cochers fait exception cependant ; c’est
un bon morceau de peinture, comme M. de Madrazo en a fait quelquefois
et comme il pourrait en faire presque toujours, s’il consentait à se défier
de son habileté.
Trop de confiance, voilà ce qui perd les artistes, même les mieux
doués de notre temps. Les débuts de M. Munkacsy ont été des plus heu-
reux; mis en goût par ses épisodes de la vie hongroise, où le peintre se
jouait si agréablement avec les tons gris, le public et la presse ont fait
un accueil chaleureux à sa grande composition du Christ devant Pilate.
Cependant certains critiques, plus éveillés que les autres ou moins bien-
veillants, crurent devoir faire des réserves; l’artiste, disaient-ils, a le tort
de recourir à des pratiques culinaires qui ont perdu toute une école
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
nature qui, pour être de source plutôt intellectuelle que réaliste, ne nous en
émeut pas moins. Grâces soient donc rendues aux organisateurs de l’Ex-
position internationale de nous avoir permis de revoir ces toiles d’antan
et d’y retrouver des émotions disparues. Non, la peinture de M. Hébert
n’est pas morte : elle est comme ces vieux flacons qui, dans leurs formes
un peu anciennes, conservent le parfum qu’on y mit autrefois.
Le voisinage bruyant des peintures de M. de Madrazo n’est pas pour
faire du tort à celles de M. Hébert. Le contraste est frappant, et, nous
devons le dire, s’il fallait y voir un indice du chemin parcouru par l’art
dans ces dernières années, on serait fort embarrassé de prononcer s’il y
a eu progrès ou recul. L’éclat du jeune peintre espagnol peut séduire
bien des gens; mais il en est d’autres qui regretteront l’absence des qua-
lités de goût, de distinction qui relèvent la peinture un peu mièvre de
M. Hébert et cette volonté, souvent couronnée de succès chez celui-ci, de
s’élever au-dessus de la représentation matérielle des choses. Les tableaux
de M. de Madrazo sont haut montés en couleur, mais ils ne sont pas d’un
coloriste : la discorde est dans sa palette. Son portrait de Mme la com-
tesse P. W. choque par la violence des tons qui s’v disputent avec aigreur ;
dans celui de l/mR N., blanc sur fond bleu, l’harmonie est plus tranquille;
la tête paraît jolie, mais le modèle y est bien pour quelque chose; quant
aux bras, celui qui s’allonge au premier plan laisse beaucoup à désirer
sous le double rapport du dessin et de la peinture. Dans la Sortie cle
bal masqué, M. de Madrazo a voulu établir qu'il savait à l’occasion con-
tenir la fougue de son pinceau et l’asservir à des besognes minuscules :
il a réussi une fois de plus à prouver son habileté, et c’est tout. De tableau,
nous n’en voyons pas dans ce cadre, ou plutôt il y en a un dans chaque
groupe : la sensation optique n’y gagne rien ; l’œil inquiet, déconcerté, ne
sachant où se poser, se sent agacé des notes aigrelettes qui l’assaillent
de toutes parts. Le groupe des cochers fait exception cependant ; c’est
un bon morceau de peinture, comme M. de Madrazo en a fait quelquefois
et comme il pourrait en faire presque toujours, s’il consentait à se défier
de son habileté.
Trop de confiance, voilà ce qui perd les artistes, même les mieux
doués de notre temps. Les débuts de M. Munkacsy ont été des plus heu-
reux; mis en goût par ses épisodes de la vie hongroise, où le peintre se
jouait si agréablement avec les tons gris, le public et la presse ont fait
un accueil chaleureux à sa grande composition du Christ devant Pilate.
Cependant certains critiques, plus éveillés que les autres ou moins bien-
veillants, crurent devoir faire des réserves; l’artiste, disaient-ils, a le tort
de recourir à des pratiques culinaires qui ont perdu toute une école