302
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
core dans de vastes paysages datés de Couilly-sur-Morin (1878), dans
une grise et automnale Entrée du bourg de Champagne (1880), dans
maintes études prises aux environs de Barbizon (1880) ; par elles,
Lepère préludait à la suite gravée, de capitale importance, dont la
forêt de Fontainebleau devait plus tard lui fournir le thème...
Pendant cette première période, l’ambition se borne à rendre le
spectacle des yeux dans la force et la franchise de l’impression pre-
mière. Si le principe de cet art affilie Lepère à l'école dite impres-
sionniste, sa manière, qui présente plus d’une ressemblance avec
celle du bon peintre Lebourg, n’adopte pas la décomposition du ton ;
Lepère établit son paysage, sans tracé préalable, par grands plans ;
il ébauche et termine d’un coup, couvre sa toile de larges touches
heurtées, claires et vigoureuses. D’ailleurs, ses visées ne tardent
pas à devenir autres; vers quel instant et à la requête de quelles
suggestions, il importe de le dire. Las des instantanés dont on le
documente à satiété pour l’exécution des bois d’actualité qu’exige
le Monde illustré, il conçoit très vive la haine de la peinture photo-
graphique ; d’autre part, la lente contemplation de la campagne, à
Jouy-le-Moutier, où il habite douze années durant (1882-1893), le
conduit pareillement à récuser le rôle de copiste littéral, impassible.
Ces variations ne laissèrent pas que d’être très raisonnées, très
voulues; nous en possédons la preuve dans une lettre intéressante à
citer; elle expose l’évolution du paysage contemporain et apporte,
par surcroît, une déposition précieuse dans le procès présentement
instruit contre les abus et les errements du naturalisme.
« Tout jeune, j’avais été séduit par Manet et Claude Monet, écrit Lepère.
C’était l’époque où, quand un peintre disait : J’ai fait mon tableau entiè-
rement sur nature, on admirait. Comme de juste, j’admirais aussi. Cette
fidélité obstinée n’était-elle pas le plus sûr moyen de porter atteinte à la
peinture fade et morne alors en grande vogue? Malheureusement, ainsique
tous les systèmes, celui-ci devait périr par un excès de rigueur et puis
parce qu'il avait le défaut d’être à la portée de tous... L’obligation étant
imposée de ne peindre que d’après nature, on perdit peu à peu le souci de
composer et la notion de l’effet ; plus d’effets de nuit, plus d’effets fugitifs
qui ne posent pas, plus d’effets à contre-jour, plus de petits matins,
plus d’ondée ensoleillée, mais des temps gris, des maisons en plein soleil,
vers midi, au moment où les ombres changent peu, avec tous les détails que
l’on voit trop. En effet, comme tout est beau, depuis le plus infime brin
d’herbe jusqu’à l’astre radieux, il est très évident que le sacrifice ne peut
s’opérer séance tenante, sur le terrain; il faut le temps de s’y résoudre et
toute sélection commande le répit d’une réflexion longuement mûrie...
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
core dans de vastes paysages datés de Couilly-sur-Morin (1878), dans
une grise et automnale Entrée du bourg de Champagne (1880), dans
maintes études prises aux environs de Barbizon (1880) ; par elles,
Lepère préludait à la suite gravée, de capitale importance, dont la
forêt de Fontainebleau devait plus tard lui fournir le thème...
Pendant cette première période, l’ambition se borne à rendre le
spectacle des yeux dans la force et la franchise de l’impression pre-
mière. Si le principe de cet art affilie Lepère à l'école dite impres-
sionniste, sa manière, qui présente plus d’une ressemblance avec
celle du bon peintre Lebourg, n’adopte pas la décomposition du ton ;
Lepère établit son paysage, sans tracé préalable, par grands plans ;
il ébauche et termine d’un coup, couvre sa toile de larges touches
heurtées, claires et vigoureuses. D’ailleurs, ses visées ne tardent
pas à devenir autres; vers quel instant et à la requête de quelles
suggestions, il importe de le dire. Las des instantanés dont on le
documente à satiété pour l’exécution des bois d’actualité qu’exige
le Monde illustré, il conçoit très vive la haine de la peinture photo-
graphique ; d’autre part, la lente contemplation de la campagne, à
Jouy-le-Moutier, où il habite douze années durant (1882-1893), le
conduit pareillement à récuser le rôle de copiste littéral, impassible.
Ces variations ne laissèrent pas que d’être très raisonnées, très
voulues; nous en possédons la preuve dans une lettre intéressante à
citer; elle expose l’évolution du paysage contemporain et apporte,
par surcroît, une déposition précieuse dans le procès présentement
instruit contre les abus et les errements du naturalisme.
« Tout jeune, j’avais été séduit par Manet et Claude Monet, écrit Lepère.
C’était l’époque où, quand un peintre disait : J’ai fait mon tableau entiè-
rement sur nature, on admirait. Comme de juste, j’admirais aussi. Cette
fidélité obstinée n’était-elle pas le plus sûr moyen de porter atteinte à la
peinture fade et morne alors en grande vogue? Malheureusement, ainsique
tous les systèmes, celui-ci devait périr par un excès de rigueur et puis
parce qu'il avait le défaut d’être à la portée de tous... L’obligation étant
imposée de ne peindre que d’après nature, on perdit peu à peu le souci de
composer et la notion de l’effet ; plus d’effets de nuit, plus d’effets fugitifs
qui ne posent pas, plus d’effets à contre-jour, plus de petits matins,
plus d’ondée ensoleillée, mais des temps gris, des maisons en plein soleil,
vers midi, au moment où les ombres changent peu, avec tous les détails que
l’on voit trop. En effet, comme tout est beau, depuis le plus infime brin
d’herbe jusqu’à l’astre radieux, il est très évident que le sacrifice ne peut
s’opérer séance tenante, sur le terrain; il faut le temps de s’y résoudre et
toute sélection commande le répit d’une réflexion longuement mûrie...