320
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
bronze exécutée en grandeur naturelle : c’est celle d’un éphèbe, retirée de la
mer sur la côte de Salamine, qui a fait partie de la collection de M. de Sàbouroff,
ministre de Russie à Athènes, et a été acquise par le musée de Berlin1. Cette
figure de beau style peut être attribuée au commencement du ive siècle av. J.-C. ;
mais, comme la tête manque, elle est loin de présenter le même intérêt que
l’aurige d’Olympie. Hors de Grèce, les grandes statues de bronze antérieures
à l’époque romaine sont extrêmement rares et pour plusieurs d'entre elles,
comme l’éphèbe trouvé sur l’Helenenberg et conservé au musée de Vienne2, on
peut se demander s’il s'agit d’un original grec ou d’une bonne copie de l’époque
impériale. Au Louvre, la seule statue de cette dimension, l’Apollon de Lille-
bonne3, a certainement été fondue sous l’Empire. Rome et Naples même n’offrent
que bien peu de bronzes qui, par l’ancienneté et l’état de conservation, puissent
rivaliser avec la récente découverte de Delphes : le Tireur d'épine du Capitole
et les Danseuses d’Herculanum sont ceux que nous pourrions le plus justement en
rapprocher4 5 6 7.
On se fait aisément une idée exagérée du nombre de grandes statues, tant
en marbre qu’en d’autres matières, qui ont échappé au naufrage des sociétés
païennes. En 175b, des antiquaires assurèrent à l’abbé Barthélemy, l’auteur du
Voyage d’Anacharsis, qu’ils avaient compté à Rome où dans ses environs près de
soixante-dix mille statues et bustess. Vers 1770, Oberlin réduisit ce chiffre à
soixante mille, mais sans indiquer les éléments de son calcul8 9. Raoul Rochette,
en 1828, adopta sans critique le chiffre d’Oberlin et y ajouta toutes les statues
qui avaient été découvertes depuis, notamment à Herculanum et à PompéïL Ces
évaluations exorbitantes se rencontrent encore par ci par là, tant la statistique,
ou même l’apparence de la statistique, a la vie dure. D’ailleurs, un savant italien,
Lanzi, était allé plus loin encore : il prétendait compter à Rome cent soixante-
dix mille antiques et son témoignage a été cité par Otfried Müller, qui n’a pas
dit qu’il le trouvât invraisemblable8. Mais qu’est-ce que Lanzi entendait au juste
par un antique ?
Notre vieux Clarac, dans son Manuel de l’histoire de l’art, a fait justice de ces
fantaisies8. « J’ose affirmer, écrit-il, qu’en mettant ensemble toutes les statues
antiques de l’Europe, bonnes ou mauvaises, en marbre, et en descendant jusqu’à
celles de deux pieds, il n’existe pas dans toute l’Europe quatre mille statues
antiques et qu’il n’y en a pas cent en bronze. » Clarac omettait naturellement,
dans son calcul, les statuettes de bronze, qui sont fort nombreuses, puisque le
Cabinet des Médailles à la Bibliothèque Nationale en possède, à lui seul, plus de
mille, et qu’il en existe à peu près autant au Louvre. Mais si l’on tient compte
1. Furtwængler, Die Sammlung Saburo/f, t. I, pl. VI1I-XI; Conze, Beschreibung der
antiken Skulpturen zu Berlin, n° 1.
2. lî. von Schneider, Album der Antikensammlung, pl. XXVIII.
3. Photographie Giraudon, n° 1263.
4. Ces bronzes ont été très bien publiés dans les Monuments de l’art antique de
Rayet, n»' 33, 37, 38, 39.
5. Mémoires de VAcadémie des Inscriptions, t. IV, p. 279.
6. Oberlin, Orbis antiqui monumenta, 1790, p. 127.
7. Raoul Rochette, Cours d'archéologie, p. 13.
8. O. Müller, Handbuch der Archæologie, § 261.
9. Cl° de Clarac, Manuel de l’histoire de l’art, t. II (1847), p. 860.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
bronze exécutée en grandeur naturelle : c’est celle d’un éphèbe, retirée de la
mer sur la côte de Salamine, qui a fait partie de la collection de M. de Sàbouroff,
ministre de Russie à Athènes, et a été acquise par le musée de Berlin1. Cette
figure de beau style peut être attribuée au commencement du ive siècle av. J.-C. ;
mais, comme la tête manque, elle est loin de présenter le même intérêt que
l’aurige d’Olympie. Hors de Grèce, les grandes statues de bronze antérieures
à l’époque romaine sont extrêmement rares et pour plusieurs d'entre elles,
comme l’éphèbe trouvé sur l’Helenenberg et conservé au musée de Vienne2, on
peut se demander s’il s'agit d’un original grec ou d’une bonne copie de l’époque
impériale. Au Louvre, la seule statue de cette dimension, l’Apollon de Lille-
bonne3, a certainement été fondue sous l’Empire. Rome et Naples même n’offrent
que bien peu de bronzes qui, par l’ancienneté et l’état de conservation, puissent
rivaliser avec la récente découverte de Delphes : le Tireur d'épine du Capitole
et les Danseuses d’Herculanum sont ceux que nous pourrions le plus justement en
rapprocher4 5 6 7.
On se fait aisément une idée exagérée du nombre de grandes statues, tant
en marbre qu’en d’autres matières, qui ont échappé au naufrage des sociétés
païennes. En 175b, des antiquaires assurèrent à l’abbé Barthélemy, l’auteur du
Voyage d’Anacharsis, qu’ils avaient compté à Rome où dans ses environs près de
soixante-dix mille statues et bustess. Vers 1770, Oberlin réduisit ce chiffre à
soixante mille, mais sans indiquer les éléments de son calcul8 9. Raoul Rochette,
en 1828, adopta sans critique le chiffre d’Oberlin et y ajouta toutes les statues
qui avaient été découvertes depuis, notamment à Herculanum et à PompéïL Ces
évaluations exorbitantes se rencontrent encore par ci par là, tant la statistique,
ou même l’apparence de la statistique, a la vie dure. D’ailleurs, un savant italien,
Lanzi, était allé plus loin encore : il prétendait compter à Rome cent soixante-
dix mille antiques et son témoignage a été cité par Otfried Müller, qui n’a pas
dit qu’il le trouvât invraisemblable8. Mais qu’est-ce que Lanzi entendait au juste
par un antique ?
Notre vieux Clarac, dans son Manuel de l’histoire de l’art, a fait justice de ces
fantaisies8. « J’ose affirmer, écrit-il, qu’en mettant ensemble toutes les statues
antiques de l’Europe, bonnes ou mauvaises, en marbre, et en descendant jusqu’à
celles de deux pieds, il n’existe pas dans toute l’Europe quatre mille statues
antiques et qu’il n’y en a pas cent en bronze. » Clarac omettait naturellement,
dans son calcul, les statuettes de bronze, qui sont fort nombreuses, puisque le
Cabinet des Médailles à la Bibliothèque Nationale en possède, à lui seul, plus de
mille, et qu’il en existe à peu près autant au Louvre. Mais si l’on tient compte
1. Furtwængler, Die Sammlung Saburo/f, t. I, pl. VI1I-XI; Conze, Beschreibung der
antiken Skulpturen zu Berlin, n° 1.
2. lî. von Schneider, Album der Antikensammlung, pl. XXVIII.
3. Photographie Giraudon, n° 1263.
4. Ces bronzes ont été très bien publiés dans les Monuments de l’art antique de
Rayet, n»' 33, 37, 38, 39.
5. Mémoires de VAcadémie des Inscriptions, t. IV, p. 279.
6. Oberlin, Orbis antiqui monumenta, 1790, p. 127.
7. Raoul Rochette, Cours d'archéologie, p. 13.
8. O. Müller, Handbuch der Archæologie, § 261.
9. Cl° de Clarac, Manuel de l’histoire de l’art, t. II (1847), p. 860.