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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
liste d’une trentaine de graveurs, parmi lesquels Ch. et P. Colin,
Waltner). Dans une circulaire destinée aux conseillers généraux et
aux préfets, on rappelait que cette publication, patronnée par l’assem-
blée, avait l’avantage, « dans un moment de crise pénible, d’attacher
plus de travailleurs à notre œuvre et d’apporter à un plus grand nombre
d’entre eux [lesgraveurs] l’occupation et le profit qui leur manquent ».
Seuls les portraits de Hannoye, Delespaul, Boulanger, Desmon-
tiers, Pureur, Serlooten, Bonte-Pollet, Muré, Lemaire et Aubry
parurent. Assez maladroitement gravés pour la plupart, ils accusent
un peu trop la sécheresse que devaient avoir les dessins, mais sont
fortement individualisés.
Beaucoup plus attachants sont les deux épisodes lithographiés,
véridiques images des journées d’émeute. Il y assista, et nous y
assistons avec lui. L’une représente l’Assemblée envahie, le 15 mai
1848. L’ensemble de lu salle hâtivement construite dans la cour du
Palais-Bourbon pour abriter les délibérations des huit cents repré-
sentants de l’Assemblée constituante est vu des gradins de gauche.
« Salle d’une laideur rare », écrivait l’un des représentants, —et
c’était Victor Hugo, — « des poutres au lieu de colonnes, des cloisons
au lieu de murailles, de la détrempe au lieu de marbre, quelque chose
comme la salle de spectacle de Carpentras élevée à des proportions
gigantesques. La tribune, qui porte la date des journées de février,
ressemble à l’estrade des musiciens du café des Aveugles; les repré-
sentants sont assis sur une planche couverte de serge verte et
écrivent sur une planche nue. Au milieu de tout cela, l’ancien
bureau d’acajou de la Chambre des Pairs avec ses quatre cariatides
en cuivre doré et ses balances inscrites dans des couronnes. »
Cette étrange salle est envahie, l’émeute en a forcé les portes et
les bandes en blouses se mêlent aux représentants; les bannières,
les drapeaux couverts d’inscriptions, flottent et répandent leurs
ombres allongées sur la foule. « Qu’on se figure», dit encore Victor
Hugo, « la halle mêlée au Sénat, des flots d’hommes déguenillés
descendant ou plutôt ruisselant le long des piliers des tribunes
basses et même des tribunes hautes jusque dans la salle... Le bureau
du président, l’estrade du secrétaire, la tribune avaient disparu et
n’étaient plus qu’un monceau d’hommes. » Cette foule se perd dans
la poussière, elle hurle, on croit l’entendre et rien n’illustre mieux
les souvenirs du poète que cette grande planche, qui est un pendant
du tableau de Delacroix : Boissy d’Anglas présidant la Convention
le 1er prairial an III.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
liste d’une trentaine de graveurs, parmi lesquels Ch. et P. Colin,
Waltner). Dans une circulaire destinée aux conseillers généraux et
aux préfets, on rappelait que cette publication, patronnée par l’assem-
blée, avait l’avantage, « dans un moment de crise pénible, d’attacher
plus de travailleurs à notre œuvre et d’apporter à un plus grand nombre
d’entre eux [lesgraveurs] l’occupation et le profit qui leur manquent ».
Seuls les portraits de Hannoye, Delespaul, Boulanger, Desmon-
tiers, Pureur, Serlooten, Bonte-Pollet, Muré, Lemaire et Aubry
parurent. Assez maladroitement gravés pour la plupart, ils accusent
un peu trop la sécheresse que devaient avoir les dessins, mais sont
fortement individualisés.
Beaucoup plus attachants sont les deux épisodes lithographiés,
véridiques images des journées d’émeute. Il y assista, et nous y
assistons avec lui. L’une représente l’Assemblée envahie, le 15 mai
1848. L’ensemble de lu salle hâtivement construite dans la cour du
Palais-Bourbon pour abriter les délibérations des huit cents repré-
sentants de l’Assemblée constituante est vu des gradins de gauche.
« Salle d’une laideur rare », écrivait l’un des représentants, —et
c’était Victor Hugo, — « des poutres au lieu de colonnes, des cloisons
au lieu de murailles, de la détrempe au lieu de marbre, quelque chose
comme la salle de spectacle de Carpentras élevée à des proportions
gigantesques. La tribune, qui porte la date des journées de février,
ressemble à l’estrade des musiciens du café des Aveugles; les repré-
sentants sont assis sur une planche couverte de serge verte et
écrivent sur une planche nue. Au milieu de tout cela, l’ancien
bureau d’acajou de la Chambre des Pairs avec ses quatre cariatides
en cuivre doré et ses balances inscrites dans des couronnes. »
Cette étrange salle est envahie, l’émeute en a forcé les portes et
les bandes en blouses se mêlent aux représentants; les bannières,
les drapeaux couverts d’inscriptions, flottent et répandent leurs
ombres allongées sur la foule. « Qu’on se figure», dit encore Victor
Hugo, « la halle mêlée au Sénat, des flots d’hommes déguenillés
descendant ou plutôt ruisselant le long des piliers des tribunes
basses et même des tribunes hautes jusque dans la salle... Le bureau
du président, l’estrade du secrétaire, la tribune avaient disparu et
n’étaient plus qu’un monceau d’hommes. » Cette foule se perd dans
la poussière, elle hurle, on croit l’entendre et rien n’illustre mieux
les souvenirs du poète que cette grande planche, qui est un pendant
du tableau de Delacroix : Boissy d’Anglas présidant la Convention
le 1er prairial an III.