UNE (( MADONE » D’ANTONELLO DE MESSINE
l faut l’avouer, quoique peut-être à
regret : une œuvre d’art n’éveille
en nous tout l’intérêt dont elle est
digne que lorsque nous avons réussi
à lui imposer le nom d’un artiste
connu. Cela tient sans doute, du
moins en partie, au goût qui nous
est naturel pour les groupements,
les séries. Un fait isolé nous laisse
froids, parfois nous déconcerte : il
prend sa valeur quand il se relie
étroitement à d’autres. C’est même ce qui légitime la science un peu
conjecturale du « connaisseur ». Ce n’est pas, ce ne doit pas être un
simple sport, un passe-temps comparable à beaucoup d’autres, et
moins hygiénique : c’est vraiment une science suivant la conception
classique, parce qu’elle vise à s’élever du particulier vers le général.
Dans le plaisir que ses découvertes procurent, il y a mieux qu’une
satisfaction de curiosité ou d’amour-propre, car une œuvre jusque-là
isolée, ajoutée à une série qui se constitue, bénéficie de l’admiration
ou de l’émotion que les œuvres de la même famille ont éveillée,
qu’elles tiennent, pour ainsi dire, en réserve, prêtes à se manifester
en se vérifiant à nouveau.
Je pourrais citer bien des exemples : deux suffiront. La Vénus de
Dresde a été vue par des centaines de milliers d’yeux, et pourtant
on ne l’avait guère regardée. Arrive Morelli, qui l’attribue par d’ex-
cellentes raisons à Giorgione. Qui ne l’a pas admirée depuis? De
même, à Bologne, il existe une tête grecque devant laquelle des gé-
nérations de visiteurs ont passé. Furtwaengler y voit Y Athéna Lem-
nienne de Phidias: à l’instant, devenue célèbre, elle ouvre une source
de jouissances à ceux qui l’approchent.
IX. — 4® PÉRIODE.
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l faut l’avouer, quoique peut-être à
regret : une œuvre d’art n’éveille
en nous tout l’intérêt dont elle est
digne que lorsque nous avons réussi
à lui imposer le nom d’un artiste
connu. Cela tient sans doute, du
moins en partie, au goût qui nous
est naturel pour les groupements,
les séries. Un fait isolé nous laisse
froids, parfois nous déconcerte : il
prend sa valeur quand il se relie
étroitement à d’autres. C’est même ce qui légitime la science un peu
conjecturale du « connaisseur ». Ce n’est pas, ce ne doit pas être un
simple sport, un passe-temps comparable à beaucoup d’autres, et
moins hygiénique : c’est vraiment une science suivant la conception
classique, parce qu’elle vise à s’élever du particulier vers le général.
Dans le plaisir que ses découvertes procurent, il y a mieux qu’une
satisfaction de curiosité ou d’amour-propre, car une œuvre jusque-là
isolée, ajoutée à une série qui se constitue, bénéficie de l’admiration
ou de l’émotion que les œuvres de la même famille ont éveillée,
qu’elles tiennent, pour ainsi dire, en réserve, prêtes à se manifester
en se vérifiant à nouveau.
Je pourrais citer bien des exemples : deux suffiront. La Vénus de
Dresde a été vue par des centaines de milliers d’yeux, et pourtant
on ne l’avait guère regardée. Arrive Morelli, qui l’attribue par d’ex-
cellentes raisons à Giorgione. Qui ne l’a pas admirée depuis? De
même, à Bologne, il existe une tête grecque devant laquelle des gé-
nérations de visiteurs ont passé. Furtwaengler y voit Y Athéna Lem-
nienne de Phidias: à l’instant, devenue célèbre, elle ouvre une source
de jouissances à ceux qui l’approchent.
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