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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
publia un court article où il donna le texte de la signature et la date
(1490); il indiqua aussi ce qui, dans la peinture elle-même, confir-
mait la signature déchiffrée. Nous donnons ici une reproduction de
l’œuvre, qui dispense de toute description. Le meilleur moyen de la
bien apprécier est de la comparer à la Vierge Benson et à d’autres
œuvres d’Antonello. Mais examinons d’un peu près la masse, les
plans, les contours et les draperies; cela est plus difficile, mais aussi
plus important que de savoir si Nomisecca Fiesolano ou Fanullone
da Majano est l’auteur d’une fresque en ruines sur le vieux chemin
qui reliait leurs paroisses.
Au point de vue de la masse, la Madone de Jacobello n’est ni pyra-
midale, ni conique, ni quoi que ce soit, par la raison qu’elle n’a
aucune existence par elle-même, mais seulement celle que nous vou-
lons bien insuffler à sa forme vide. Pourtant, la tête vaut un peu
mieux que le reste, ce qui est un caractère des œuvres de troisième
ordre. Les plans n’ont rien de la largeur et de la simplicité de ceux
de la Vierge Benson. Les contours sont durs, pénibles, bien que
ceux du masque soient mieux venus, comme il arrive aux artistes
médiocres. La draperie est dénuée de tout sentiment de la fonction
qu’elle doit remplir; elle est même absurde. Comparez-la avec les
lignes délicates et nobles, avec le beau rythme des plis dans la
Vierge Benson !
Observez maintenant les petits plis capricieux sur la tunique de
l’enfant, les plis anguleux, comme ceux d’un papier calque, sur le
manteau de la Vierge. Quel rapport entre ces pauvretés et les plis
sobres de la draperie d’étoffe lourde que présente le tableau de
Londres? Les cheveux de l’enfant, bouclés et fignolés, ne diffèrent
pas moins. Les mains n’ont rien de commun, sinon que les doigts
de la main gauche ont été imités de ceux du bon tableau, ce qui a
sans doute motivé l’attribution de l’autre. Assurément, il y a une
analogie superficielle, due à la communauté d’école, dans les types
et le dessin général; mais alors que la Vierge de Bergame est jolie
et doucereuse, celle de Benson est à la fois familière et distinguée ;
l’enfant est triste et sentimental dans une des peintures, vif et éveillé
dans l’autre. Le modelé des deux masques d’enfant est si différent
qu’ils sont proprement inconciliables. En somme, je ne comprends
pas qu’on ait pu attribuer ces deux peintures à un même artiste.
Je voudrais croire que M. Borenius a senti obscurément que la
meilleure était d’Antonello, mais qu’hésitant à rendre à un pareil
maître ce qui passait pour l’œuvre de Fogolino il s’est arrêté à mi-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
publia un court article où il donna le texte de la signature et la date
(1490); il indiqua aussi ce qui, dans la peinture elle-même, confir-
mait la signature déchiffrée. Nous donnons ici une reproduction de
l’œuvre, qui dispense de toute description. Le meilleur moyen de la
bien apprécier est de la comparer à la Vierge Benson et à d’autres
œuvres d’Antonello. Mais examinons d’un peu près la masse, les
plans, les contours et les draperies; cela est plus difficile, mais aussi
plus important que de savoir si Nomisecca Fiesolano ou Fanullone
da Majano est l’auteur d’une fresque en ruines sur le vieux chemin
qui reliait leurs paroisses.
Au point de vue de la masse, la Madone de Jacobello n’est ni pyra-
midale, ni conique, ni quoi que ce soit, par la raison qu’elle n’a
aucune existence par elle-même, mais seulement celle que nous vou-
lons bien insuffler à sa forme vide. Pourtant, la tête vaut un peu
mieux que le reste, ce qui est un caractère des œuvres de troisième
ordre. Les plans n’ont rien de la largeur et de la simplicité de ceux
de la Vierge Benson. Les contours sont durs, pénibles, bien que
ceux du masque soient mieux venus, comme il arrive aux artistes
médiocres. La draperie est dénuée de tout sentiment de la fonction
qu’elle doit remplir; elle est même absurde. Comparez-la avec les
lignes délicates et nobles, avec le beau rythme des plis dans la
Vierge Benson !
Observez maintenant les petits plis capricieux sur la tunique de
l’enfant, les plis anguleux, comme ceux d’un papier calque, sur le
manteau de la Vierge. Quel rapport entre ces pauvretés et les plis
sobres de la draperie d’étoffe lourde que présente le tableau de
Londres? Les cheveux de l’enfant, bouclés et fignolés, ne diffèrent
pas moins. Les mains n’ont rien de commun, sinon que les doigts
de la main gauche ont été imités de ceux du bon tableau, ce qui a
sans doute motivé l’attribution de l’autre. Assurément, il y a une
analogie superficielle, due à la communauté d’école, dans les types
et le dessin général; mais alors que la Vierge de Bergame est jolie
et doucereuse, celle de Benson est à la fois familière et distinguée ;
l’enfant est triste et sentimental dans une des peintures, vif et éveillé
dans l’autre. Le modelé des deux masques d’enfant est si différent
qu’ils sont proprement inconciliables. En somme, je ne comprends
pas qu’on ait pu attribuer ces deux peintures à un même artiste.
Je voudrais croire que M. Borenius a senti obscurément que la
meilleure était d’Antonello, mais qu’hésitant à rendre à un pareil
maître ce qui passait pour l’œuvre de Fogolino il s’est arrêté à mi-