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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
puisées de notre poésie et de nos arts, je ne suis pas sûr que le cou-
rant hellénique ne l’emporte pas sur l’autre. Les vieilles légendes
où l’on voit tour à tour des fables, des images, des pensées, de la
grâce, de la magnificence, de la subtilité, de la profondeur, et tou-
jours de la beauté, se prêtent et se prêteront longtemps encore aux
versions que chaque siècle colore ou dispose à son gré. M. Bourdelle
les a transcrites avec son accent propre qui combine un romantisme
instinctif avec une âpreté volontaire et un archaïsme réfléchi. Il y a
du bouillonnement dans l’imagination de M. Bourdelle, et le bouil-
lonnement ne va pas sans quelque confusion ; mais la fougue favo-
rise l’improvisation que demande le métier de la fresque. C’est Psy-
ché, Léda, Ganymède, Pégase apportant la lyre au génie humain, Le
dernier Centaure éducateur de l'humanité. Entre les fictions merveil-
leuses de la mythologie, on dirait que l’artiste moderne a été spécia-
lement attiré par celles qui mêlent les hommes aux dieux, célèbrent
l’effort, parfois la récompense, montrent comment les hommes
s’héroïsent et comment les dieux s’humanisent, par quels intermé-
diaires mystérieux l’animalité s’associe à l’esprit et la terre se relie
au ciel.
Pour se rendre compte du travail heureux et joyeux d’où sont
sorties ces fresques, il faut ouvrir le carton où cent feuillets de fraî-
ches et vives aquarelles gardent les confidences jaillissantes de l’in-
spiration. Une forte impression accidentelle — le souvenir d’une
attitude de la danseuse Isadora Duncan — suggère l’idée d’une figure
dont le geste fatidique semble ouvrir les portes d’un monde : Isadora,
apparaissant entre les deux pans d’un rideau dont elle écarte les plis
avant d’entrer en scène, devient la Pythonisse debout entre deux
rocs inclinés, au seuil de l’antre corycien.
La décoration du péristyle se complète et se prolonge dans le
large couloir qui entoure le mur de la salle. Un étroit bandeau
surmonte les portes des loges. Empruntant ses sujets au même
trésor légendaire, se jouant de la difficulté que présente le cadre à
remplir, M. Bourdelle chante les Temps fabuleux et déroule une
course héroïque dont le mouvement semble suivre la courbe de
l’architecture, tandis que le ton de la fresque, s’harmonisant avec la
couleur claire du bois de bouleau dont les portes sont faites et avec
la palme discrètement dorée qui sert de grillage aux lucarnes de ces
portes, annonce, par une transition subtile, le passage du marbre et
de la blancheur du péristyle à l’atmosphère plus chaude des loges
et de la salle.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
puisées de notre poésie et de nos arts, je ne suis pas sûr que le cou-
rant hellénique ne l’emporte pas sur l’autre. Les vieilles légendes
où l’on voit tour à tour des fables, des images, des pensées, de la
grâce, de la magnificence, de la subtilité, de la profondeur, et tou-
jours de la beauté, se prêtent et se prêteront longtemps encore aux
versions que chaque siècle colore ou dispose à son gré. M. Bourdelle
les a transcrites avec son accent propre qui combine un romantisme
instinctif avec une âpreté volontaire et un archaïsme réfléchi. Il y a
du bouillonnement dans l’imagination de M. Bourdelle, et le bouil-
lonnement ne va pas sans quelque confusion ; mais la fougue favo-
rise l’improvisation que demande le métier de la fresque. C’est Psy-
ché, Léda, Ganymède, Pégase apportant la lyre au génie humain, Le
dernier Centaure éducateur de l'humanité. Entre les fictions merveil-
leuses de la mythologie, on dirait que l’artiste moderne a été spécia-
lement attiré par celles qui mêlent les hommes aux dieux, célèbrent
l’effort, parfois la récompense, montrent comment les hommes
s’héroïsent et comment les dieux s’humanisent, par quels intermé-
diaires mystérieux l’animalité s’associe à l’esprit et la terre se relie
au ciel.
Pour se rendre compte du travail heureux et joyeux d’où sont
sorties ces fresques, il faut ouvrir le carton où cent feuillets de fraî-
ches et vives aquarelles gardent les confidences jaillissantes de l’in-
spiration. Une forte impression accidentelle — le souvenir d’une
attitude de la danseuse Isadora Duncan — suggère l’idée d’une figure
dont le geste fatidique semble ouvrir les portes d’un monde : Isadora,
apparaissant entre les deux pans d’un rideau dont elle écarte les plis
avant d’entrer en scène, devient la Pythonisse debout entre deux
rocs inclinés, au seuil de l’antre corycien.
La décoration du péristyle se complète et se prolonge dans le
large couloir qui entoure le mur de la salle. Un étroit bandeau
surmonte les portes des loges. Empruntant ses sujets au même
trésor légendaire, se jouant de la difficulté que présente le cadre à
remplir, M. Bourdelle chante les Temps fabuleux et déroule une
course héroïque dont le mouvement semble suivre la courbe de
l’architecture, tandis que le ton de la fresque, s’harmonisant avec la
couleur claire du bois de bouleau dont les portes sont faites et avec
la palme discrètement dorée qui sert de grillage aux lucarnes de ces
portes, annonce, par une transition subtile, le passage du marbre et
de la blancheur du péristyle à l’atmosphère plus chaude des loges
et de la salle.