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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
arbres, semblables à des colonnes chargées de feuillages, encadrent
la mer bleue et le cap où s’étage une ville avec ses temples; leurs
lignes fermes et solides se relient à l’architecture de la salle. Le carac-
tère décoratif de l’œuvre étant ainsi assuré, M. Roussel n’a pas craint
de donner à sa peinture presque tous les agréments de ton et de
touche qu’admet un tableau.
Le beau paysage, noble et vrai, où la tradition française de Pous-
sin et dé Corot est parée de couleurs nouvelles, s’anime de ces « jeux
rustiques et divins » par lesquels le peintre, qui est un poète buco-
lique, traduit ingénument son amour delà nature. Les nymphes des
bois, les enfants qui chevauchent des panthères, les couples amou-
reux des faunes et des Ménades, les jeunes bergers dont les jambes
sont aussi agiles que celles de leurs chèvres familières, ne sont pas
pour lui de froides et conventionnelles allégories : pour lui, comme
pour les Grecs, leur vie imaginaire a autant de vérité que le robuste
effort des arbres, les souples embrassements des branches, la non-
chalance dos collines ou la grâce fluide des fontaines. Si le peintre
communique à nos yeux le plaisir qu’il prend à teindre de rouge
joyeux ou de rose vif les draperies qui s’agitent parmi les verdures
-dorées, tandis que le soleil allonge les ombres sous les pas des dan-
seurs, le poète ne persuade pas moins aisément notre esprit : l’em-
blème qu’il propose à la Comédie, en rappelant les origines histo-
riques du théâtre, enseigne aux spectateurs, peut-être même aux
auteurs, que, suivant l’exemple de l’antiquité, le divin se mêle au
rire, le vrai n’a pas besoin d’être trivial, la joie est un rythme
musical qui n’exclut ni la grâce ni la beauté.
Une galerie oblongue sert de foyer au Théâtre de Comédie. Les
spectateurs du parterre s’y répandent de plain-pied; à ceux des
loges s’offre un large balcon qui suit le mur opposé aux fenêtres; des
palmes entrecroisées ornent la balustrade. De haut en bas et de
bas en haut, une partie de cette foule élégante et mouvante sera un
.spectacle pour l’autre.
Au-dessous du balcon, au-dessus des portes et entre les fenêtres,
des panneaux d’inégales dimensions et de formats divers ont reçu
des toiles de M. Yuillard. A l’intérieur de la salle, M. Roussel fait
vivre sous nos yeux l’éternelle vérité des fictions antiques. Ici
M. Vuillard transpose dans le mode décoratif les données de la vie
actuelle, mais d’une vie où l’artifice est naturellement mêlé, puisque
• c’est la vie du théâtre.
M. Yuillard était préparé au rôle de décorateur par cette pratique
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
arbres, semblables à des colonnes chargées de feuillages, encadrent
la mer bleue et le cap où s’étage une ville avec ses temples; leurs
lignes fermes et solides se relient à l’architecture de la salle. Le carac-
tère décoratif de l’œuvre étant ainsi assuré, M. Roussel n’a pas craint
de donner à sa peinture presque tous les agréments de ton et de
touche qu’admet un tableau.
Le beau paysage, noble et vrai, où la tradition française de Pous-
sin et dé Corot est parée de couleurs nouvelles, s’anime de ces « jeux
rustiques et divins » par lesquels le peintre, qui est un poète buco-
lique, traduit ingénument son amour delà nature. Les nymphes des
bois, les enfants qui chevauchent des panthères, les couples amou-
reux des faunes et des Ménades, les jeunes bergers dont les jambes
sont aussi agiles que celles de leurs chèvres familières, ne sont pas
pour lui de froides et conventionnelles allégories : pour lui, comme
pour les Grecs, leur vie imaginaire a autant de vérité que le robuste
effort des arbres, les souples embrassements des branches, la non-
chalance dos collines ou la grâce fluide des fontaines. Si le peintre
communique à nos yeux le plaisir qu’il prend à teindre de rouge
joyeux ou de rose vif les draperies qui s’agitent parmi les verdures
-dorées, tandis que le soleil allonge les ombres sous les pas des dan-
seurs, le poète ne persuade pas moins aisément notre esprit : l’em-
blème qu’il propose à la Comédie, en rappelant les origines histo-
riques du théâtre, enseigne aux spectateurs, peut-être même aux
auteurs, que, suivant l’exemple de l’antiquité, le divin se mêle au
rire, le vrai n’a pas besoin d’être trivial, la joie est un rythme
musical qui n’exclut ni la grâce ni la beauté.
Une galerie oblongue sert de foyer au Théâtre de Comédie. Les
spectateurs du parterre s’y répandent de plain-pied; à ceux des
loges s’offre un large balcon qui suit le mur opposé aux fenêtres; des
palmes entrecroisées ornent la balustrade. De haut en bas et de
bas en haut, une partie de cette foule élégante et mouvante sera un
.spectacle pour l’autre.
Au-dessous du balcon, au-dessus des portes et entre les fenêtres,
des panneaux d’inégales dimensions et de formats divers ont reçu
des toiles de M. Yuillard. A l’intérieur de la salle, M. Roussel fait
vivre sous nos yeux l’éternelle vérité des fictions antiques. Ici
M. Vuillard transpose dans le mode décoratif les données de la vie
actuelle, mais d’une vie où l’artifice est naturellement mêlé, puisque
• c’est la vie du théâtre.
M. Yuillard était préparé au rôle de décorateur par cette pratique