6o
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tuel rabâchage de notes amorphes et de geignardes psalmodies, la partition de
M. Darius Milhaud ne simule l’émotion que dans deux scènes : la prière de Pierre et
la lettre que lit Françoise. L’orchestration de cette chose est glaiseuse et empâtée.
Cette grinçante machine est mue courageusement par Mlle Balguerie, MM. Sali-
gnac et Baugé, et aussi par un excellent orchestre, dirigé avec fougue par M. Wolff.
Leur épreuve ne sera point de longue durée. — Revenons à la musique.
Il y a aujourd’hui deux cents ans — exactement en 1726 — que le théâtre de la
Foire Saint Laurent eut la primeur des Pèlerins de la Mecque, pièce en trois actes
de MM. Le S... et d’Or... (c’est-à-dire Le Sage et d’Orneval), accompagnée d’airs
inventés ou rassemblés par Jean-Claude Gillier, compositeur ordinaire dudit
théâtre. Qui se serait douté alors que, trente-huit ans plus lard, une Rencontre
imprévue, opéra en trois actes et en prose, rédigée par M. Dancourt, apparaîtrait,
nous rappelant lesdits Pèlerins, mais avec l’appoint de la musique de M. le cheva-
lier Gluk (sic), sur une scène viennoise (sans parler du Trompeur trompé ou la
Rencontre imprévue, opéra-comique de Vadé et de quelques ouvrages de même
titre ? Mais l’histoire du théâtre est fertile en rencontres non moins imprévues !).
Nous sommes véritablement ici en présence d’un excellent opéra-comique, et il
faut que notre amour des genres bien tranchés s’en accommode : le tragique musi-
cien d'Alceste et des Iphigénies, a su être à l’occasion comique et même bouffon :
tels Corneille et Racine, tel (malheureusement) Victor Hugo.
Il s’agit d’une « turquerie », et nous savons combien fut nombreuse, au xvme siècle,
la lignée du Bourgeois Gentilhomme. L’intrigue en est simple et d’une désarmante
facilité : le prince Ali aime la princesse Regia qui va le réciproquant, selon la for-
mule de Regnard. Brusquement séparé d’elle, il erre, accompagné de son famulus
Osmin, Théramène obligé de cette réduction d’Hippolyte. Survient un calender
exposant ses théories en un style renouvelé du Mamamouchi moliéresque. Puis
apparaît la princesse qui, tombée au pouvoir du sultan d’Egypte, reconnaît son
amoureux qu’elle soumet à d’attrayantes épreuves par l’intermédiaire de siennes
esclaves. Il en triomphe à l’heure même où s’annonce le retour, imprévu lui aussi,
du sultan... Le calender a trahi, pour un sac d’or impur —- lui dont le nom même
signifie or pur ! Jugement ; pardon par les amants. Le traître est d’abord con-
damné au supplice du pal, situation dont le tire la générosité d’Àli et de Regia.
Parmi ces personnages évolue le peintre Vertigo, fantoche au timbre un peu fêlé,
comme dit Chrysale en parlant de Trissotin, orgueilleux de ses toiles et dégoûté
du mariage, que le musicien a su rendre divertissant ; plus quelques pantins sans
importance.
La musique est variée, souple et charmante, tantôt langoureuse, tantôt bouffe,
voire même pathétique — ou peu s’en faut. Songez que la Rencontre n’a précédé
que de deux années Y Alceste italienne, dont maintes pages s’y annoncent déjà, et a
suivi de non moins près la série des opéras-comiques écrits par le maître sur des
livrets du Favnrt des Trois sultanes. On songe, en l’écoulant, au portrait qu’a tracé
de Gluck son admirateur Hoffmann : « Un sourire facétieux produit par un cer-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
tuel rabâchage de notes amorphes et de geignardes psalmodies, la partition de
M. Darius Milhaud ne simule l’émotion que dans deux scènes : la prière de Pierre et
la lettre que lit Françoise. L’orchestration de cette chose est glaiseuse et empâtée.
Cette grinçante machine est mue courageusement par Mlle Balguerie, MM. Sali-
gnac et Baugé, et aussi par un excellent orchestre, dirigé avec fougue par M. Wolff.
Leur épreuve ne sera point de longue durée. — Revenons à la musique.
Il y a aujourd’hui deux cents ans — exactement en 1726 — que le théâtre de la
Foire Saint Laurent eut la primeur des Pèlerins de la Mecque, pièce en trois actes
de MM. Le S... et d’Or... (c’est-à-dire Le Sage et d’Orneval), accompagnée d’airs
inventés ou rassemblés par Jean-Claude Gillier, compositeur ordinaire dudit
théâtre. Qui se serait douté alors que, trente-huit ans plus lard, une Rencontre
imprévue, opéra en trois actes et en prose, rédigée par M. Dancourt, apparaîtrait,
nous rappelant lesdits Pèlerins, mais avec l’appoint de la musique de M. le cheva-
lier Gluk (sic), sur une scène viennoise (sans parler du Trompeur trompé ou la
Rencontre imprévue, opéra-comique de Vadé et de quelques ouvrages de même
titre ? Mais l’histoire du théâtre est fertile en rencontres non moins imprévues !).
Nous sommes véritablement ici en présence d’un excellent opéra-comique, et il
faut que notre amour des genres bien tranchés s’en accommode : le tragique musi-
cien d'Alceste et des Iphigénies, a su être à l’occasion comique et même bouffon :
tels Corneille et Racine, tel (malheureusement) Victor Hugo.
Il s’agit d’une « turquerie », et nous savons combien fut nombreuse, au xvme siècle,
la lignée du Bourgeois Gentilhomme. L’intrigue en est simple et d’une désarmante
facilité : le prince Ali aime la princesse Regia qui va le réciproquant, selon la for-
mule de Regnard. Brusquement séparé d’elle, il erre, accompagné de son famulus
Osmin, Théramène obligé de cette réduction d’Hippolyte. Survient un calender
exposant ses théories en un style renouvelé du Mamamouchi moliéresque. Puis
apparaît la princesse qui, tombée au pouvoir du sultan d’Egypte, reconnaît son
amoureux qu’elle soumet à d’attrayantes épreuves par l’intermédiaire de siennes
esclaves. Il en triomphe à l’heure même où s’annonce le retour, imprévu lui aussi,
du sultan... Le calender a trahi, pour un sac d’or impur —- lui dont le nom même
signifie or pur ! Jugement ; pardon par les amants. Le traître est d’abord con-
damné au supplice du pal, situation dont le tire la générosité d’Àli et de Regia.
Parmi ces personnages évolue le peintre Vertigo, fantoche au timbre un peu fêlé,
comme dit Chrysale en parlant de Trissotin, orgueilleux de ses toiles et dégoûté
du mariage, que le musicien a su rendre divertissant ; plus quelques pantins sans
importance.
La musique est variée, souple et charmante, tantôt langoureuse, tantôt bouffe,
voire même pathétique — ou peu s’en faut. Songez que la Rencontre n’a précédé
que de deux années Y Alceste italienne, dont maintes pages s’y annoncent déjà, et a
suivi de non moins près la série des opéras-comiques écrits par le maître sur des
livrets du Favnrt des Trois sultanes. On songe, en l’écoulant, au portrait qu’a tracé
de Gluck son admirateur Hoffmann : « Un sourire facétieux produit par un cer-