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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
les textes; parfois même ils sont déposés, comme ce Grégoire de Poitiers en
1157, quiasciolus artis suæ, à cause de leur incompétence. Enfin, ce qui est peut-
être inattendu, pour récompense de leur talent ils sont canonisés, parce que
leur œuvre est miraculeuse et que Dieu seul a pu l’avoir inspirée. On trouvera
dans la Revue de l’art quelques-uns de ces artistes sanctifiés en raison de leurs
travaux, au nombre de soixante-quinze, que j’ai découverts dans les Bollan-
distes, dans les Instrumenta de la Gallia, dans les Gestes des évêques, dans la
Patrologiede Migne, dans les Chroniques des Abbayes. C’est en effet une mine
inépuisable pour notre histoire artistique, que cette littérature liturgique, mal-
heureusement négligée, alors cependant qu’on sait qu’elle permit naguère à
Riant, de reconstituer l’histoire de la Quatrième Croisade. Par elle nous pour-
rons connaître les grandes écoles abbatiales de l’architecture monastique qui
faisait partie des sept arts libéraux (la géométrie), enseignés dans les monastères
par les plus célèbres docteurs ; nous dégagerons ainsi les écoles, du Bec, fondée
par saint Hellouin, qui fournit à l’Angleterre au xic siècle, les prélats-architectes
les plus réputés, sous la direction de saint Lanfranc, archevêque de Cantorbéry
en 1067, de Saint-Benoit-sur-Loire, dirigée par Gilbert qui eut pour élève le
vénérable Fulbert, plus tard écolâtre à Chartres dont il devint évêque en
1009, de Tiron, de Corbie, de Solignac, de Conques, de La Chaise-Dieu, de
Toulouse, enfin de Cluny, pour n’en citer que quelques-unes parmi les plus
célèbres. Et tous les documents nous montrent les prélats présidant à l’œuvre
de leurs cathédrales, les abbés dirigeant la construction de leurs abbatiales,
jusqu’au moment où Richard de Saint-Léger, abbé de l’abbaye du Bec qui
avait porté si loin la réputation de l’art français, est obligé de confier à Waul-
tier de Meulant, architecte laïc, en 121 4, le soin de reconstruire l’église de
son abbaye. Hellouin, Lanfranc, Paul, Gundulph, Ernulf, gloires du Bec au
xie siècle, durent tressaillir dans leur tombeau.
Aussi, jusqu’à ce moment le mot « fecit ». quand il suit un nom de prélat,
a-t-il une signification très précise. Il signifie « a fait » et non pas « a fait faire»
comme on le répète ; dans maints cas, il est en effet remplacé par un mot
indiscutable, sans ambiguïté : « formavit, inchoavit, gessit, elimavit, excrevit,
incensit, fabricavit, composuit, sanxit, instauravit, constituit, struxit, urge-
bat, celavit, complevit, condit, edificavit ». Vraiment est-il permis de penser
que le latin est une langue assez peu précise pour que tous ces termes, essen-
tiellement architecturaux, doivent tous être traduits par « a fait faire, a fait
construire, a fait élever » surtout, quand dans la même phrase, on voit que
le même évêque fecit, « a fait » tel monument, et fecit fieri « a fait faire » tel
autre. D’ailleurs nous rencontrerons souvent des précisions plus serrées
encore, quand nous verrons les évêques qualifiés de « Dædalus ipse, alter
Hyram, Belseel secundus », tracer de leurs propres mains le plan de leur
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les textes; parfois même ils sont déposés, comme ce Grégoire de Poitiers en
1157, quiasciolus artis suæ, à cause de leur incompétence. Enfin, ce qui est peut-
être inattendu, pour récompense de leur talent ils sont canonisés, parce que
leur œuvre est miraculeuse et que Dieu seul a pu l’avoir inspirée. On trouvera
dans la Revue de l’art quelques-uns de ces artistes sanctifiés en raison de leurs
travaux, au nombre de soixante-quinze, que j’ai découverts dans les Bollan-
distes, dans les Instrumenta de la Gallia, dans les Gestes des évêques, dans la
Patrologiede Migne, dans les Chroniques des Abbayes. C’est en effet une mine
inépuisable pour notre histoire artistique, que cette littérature liturgique, mal-
heureusement négligée, alors cependant qu’on sait qu’elle permit naguère à
Riant, de reconstituer l’histoire de la Quatrième Croisade. Par elle nous pour-
rons connaître les grandes écoles abbatiales de l’architecture monastique qui
faisait partie des sept arts libéraux (la géométrie), enseignés dans les monastères
par les plus célèbres docteurs ; nous dégagerons ainsi les écoles, du Bec, fondée
par saint Hellouin, qui fournit à l’Angleterre au xic siècle, les prélats-architectes
les plus réputés, sous la direction de saint Lanfranc, archevêque de Cantorbéry
en 1067, de Saint-Benoit-sur-Loire, dirigée par Gilbert qui eut pour élève le
vénérable Fulbert, plus tard écolâtre à Chartres dont il devint évêque en
1009, de Tiron, de Corbie, de Solignac, de Conques, de La Chaise-Dieu, de
Toulouse, enfin de Cluny, pour n’en citer que quelques-unes parmi les plus
célèbres. Et tous les documents nous montrent les prélats présidant à l’œuvre
de leurs cathédrales, les abbés dirigeant la construction de leurs abbatiales,
jusqu’au moment où Richard de Saint-Léger, abbé de l’abbaye du Bec qui
avait porté si loin la réputation de l’art français, est obligé de confier à Waul-
tier de Meulant, architecte laïc, en 121 4, le soin de reconstruire l’église de
son abbaye. Hellouin, Lanfranc, Paul, Gundulph, Ernulf, gloires du Bec au
xie siècle, durent tressaillir dans leur tombeau.
Aussi, jusqu’à ce moment le mot « fecit ». quand il suit un nom de prélat,
a-t-il une signification très précise. Il signifie « a fait » et non pas « a fait faire»
comme on le répète ; dans maints cas, il est en effet remplacé par un mot
indiscutable, sans ambiguïté : « formavit, inchoavit, gessit, elimavit, excrevit,
incensit, fabricavit, composuit, sanxit, instauravit, constituit, struxit, urge-
bat, celavit, complevit, condit, edificavit ». Vraiment est-il permis de penser
que le latin est une langue assez peu précise pour que tous ces termes, essen-
tiellement architecturaux, doivent tous être traduits par « a fait faire, a fait
construire, a fait élever » surtout, quand dans la même phrase, on voit que
le même évêque fecit, « a fait » tel monument, et fecit fieri « a fait faire » tel
autre. D’ailleurs nous rencontrerons souvent des précisions plus serrées
encore, quand nous verrons les évêques qualifiés de « Dædalus ipse, alter
Hyram, Belseel secundus », tracer de leurs propres mains le plan de leur