Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (5. Pér. 10.1924)

LES PROCÉDÉS DU GRECO

l n'y a pas encore bien longtemps que le Greco
a conquis définitivement sa place parmi les
maîtres de la peinture. Méprisé et tenu pour fou
pendant des siècles, le Crélois mystérieux, qui
se forma à l’école des grands peintres italiens et
vécut ensuite en solitaire à Tolède la majeure
partie de sa vie, s’est trouvé brusquement réha-
bilité. Après être restés si longtemps négligés
dans les couvents et les églises de Castille, ses
tableaux étranges ont été soudain mis à la mode
et disputés par les collectionneurs du monde entier. Aussi l’œuvre de
Domemko Theotokopouli a-t-elle fait depuis une vingtaine d’années l'objet
de nombreuses études. On a cherché à percer le mystère de sa vie, et
grâce à l’heureuse découverte de documents inédits on a pu reconstituer
l'histoire d’un grand nombre de ses tableaux ; on a étudié ce qu’il devait
au byzantinisme de ses origines ; on a retrouvé les traces de son séjour
en Italie et constaté dans ses premières peintures quelle avait été sur lui
l’influence de ses maîtres; on a analysé et divisé en périodes, un peu trop
tranchées peut-être, son œuvre entière, dans un remarquable ouvrage qui a
montré fort justement son originalité comme coloriste et son importance à
cet égard dans l’histoire de la peinture 1 : on y a nettement prouvé qu’en
employant les tons froids dérivés du bleu et de l’argenté de préférence aux
tons chauds dérivés du rouge et du doré, il avait exercé une influence incon-
testable sur Velâzquez, qui ne l’avait pas connu lui-même, mais qui possédait
certains de ses tableaux, et on a dégagé très finement que son succès auprès

i. M. Cossfo, El Greco. Madrid, 1908, 2 vol.