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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 10.1924

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Nr. 2
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Lambert, Elie: Les procédés du Greco
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https://doi.org/10.11588/diglit.24944#0164

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146

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

des modernes était dû, bien plus qu’aux caprices de la mode, à son affinité
surprenante avec nos impressionnistes.

D'autres se sont proposé d’expliquer les anomalies de sa manière en ressus-
citant la vieille légende de la folie du peintre, ou en recourant à des hypo-
thèses médicales : on sait en effet que certains ont cru pouvoir rendre compte
par l’astigmatisme des déformations qui donnent un caractère si étrange à
ses compositions. LeGreco lui-même avait dû répondre par avance à ces essais
d’explication, car il avait écrit un traité sur l’excellence de la peinture où il
exposait peut-être, entre autres choses, les raisons qui lui avaient fait adopter
cette manière énigmatique et déconcertante. Ce manuscrit a malheureuse-
ment été perdu, et le secret du Greco a disparu. Une partie de son œuvre
reste seule pour nous permettre d’édifier nos hypothèses ; mais dans cette
œuvre même le peintre semble avoir déjà voulu ôter tout crédit à la théorie
de son astigmatisme par le soin qu’il a pris de dessiner avec la plus rigoureuse
exactitude quelques objets familiers au-dessous des visions les plus échevelées.
Loin de prouver que le Greco ait été fou ou astigmate, ses peintures nous
paraissent témoigner au contraire d’un effort constant et de plus en plus
accusé, sinon toujours heureux, pour mieux comprendre et mieux rendre les
lois de la perspective et de la réalité vivante ; et par là aussi il nous semble
avoir été singulièrement en avance sur son temps et avoir pressenti les théories
les plus audacieuses des écoles les plus modernes. Cet aspect de son œuvre
n’a peut-être pas été analysé encore aussi complètement que les autres, et
c’est pourquoi nous nous proposons d’en parler ici brièvement.

En arrivant à Tolède, le Greco n’a plus d’atelier ni de modèles comme en
Italie; après son insuccès auprès de Philippe II qui avait été déçu par le Mar-
tyre de saint Maurice commandé pour l’Escurial, il s’isole définitivement de tout
l’art contemporain ; il accentue désormais farouchement les procédés person-
nels qu’on trouve en germe dans ses premières œuvres tolédanes, et dont cer-
tains lui étaient, du reste, en partie suggérés par ses maîtres italiens, Tintoret
surtout. L'Enterrement du comte d’Orgaz marque à cet égard le tournant déci-
sif : dans les innombrables visions célestes qu’il peint à partir de ce moment,
il applique toujours plus exclusivement ses idées sur le relief et la perspective,
sur la composition et les moyens d’exprimer la vie telle qu’elle est. Sans s’en
douter, le Greco a pu tourner ainsi de plus en plus le dos à la réalité ; mais le
point de départ n’en est pas moins l’observation directe de celle-ci et un effort
toujours plus tendu et frénétique pour l’exprimer comme elle est, ou du moins
comme il la conçoit.

Celte observation de la réalité vivante et ce désir de la rendre telle qu’elle
est se marquent déjà dans les nombreux portraits exécutés par le peintre, et
 
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