C H R O NIQ ü E M l SIC \ l/K
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE : Nerto, drame lyrique en quatre actes,
livret de M. Maurice Léna, d’après le poème de Mistral, musique de M. Ch.-M. Widor.
'est un très beau conte que Nerto ; écrit dans le texte original en vers octo-
syllabiques, il s’apparente à Griselidis et à toutes les histoires du moyen âge
dans lesquelles l’amour et le diable se jouent réciproquement de damnables
tours. Rien n’était plus légitime que d’en vouloir tirer un livret d’opéra. Mais peut-
être eût-on pu s’y prendre plus adroitement que ne l’a fait l’aimable librettiste du
Jongleur de Notre-Dame, et l’on ne saurait se dissimuler que des scènes trop géné-
reusement étirées nuisent quelque peu à l’équilibre de l’ensemble. Rappelons l’affabu-
lation de cette légende lyrique, sans nous attarder à d’inutiles comparaisons avec le
conte primitif, et en écoutant tout ensemble le poème et la musique. Celle-ci prend
d’abord la parole en une véritable ouverture — chose rare à notre époque où un
bref prélude se borne généralement à nous annoncer le lever du rideau. Une sonorité
farouche alterne ici avec une phrase expressive, en quoi s’affirme le duel mystique
mettant aux prises le ciel et l’enfer. Les violoncelles l’exposent, plus tard les violons
le reprendront, indiquant ainsi l’ascension mystique de l’héroïne.
Nous voici introduits dans la chambre haute qu’habite le baron Pons en son
« Fort-château de Château-Renard ». Une trompette sonne le couvre-feu. En un coin
de la vaste salle le baron, étendu sur un lit naturellement gothique, attend la mort
prochaine et regrette la guerre et l’aventure, la chasse et les tournois — avant tout la
richesse qu’il acheta de Satan à un prix effroyable, puisque en échange il lui vendit
l’âme de sa fille Nerto — (Nerte dans l’original, mais Nerto convient mieux au
chant). Nerto donc essaie de consoler ou du moins d’apaiser le moribond. Hélas
celui-ci, après avoir retrouvé quelques forces pour célébrer son épée en une prose
rappelant les vers de la Fille de Roland, retombe à ses remords, et se décide enfin
à révéler à sa fille éplorée le hideux marché dont elle fut la victime. Tout ce récit
est enveloppé d’une musique éminemment souple et suggestive. Des flamboiements
d’acier, des frissons funèbres surgissent de l’orchestre. Et par contraste l’àme
apeurée, mais néanmoins aimante, de la jeune fille s’épanche en une exquise
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE : Nerto, drame lyrique en quatre actes,
livret de M. Maurice Léna, d’après le poème de Mistral, musique de M. Ch.-M. Widor.
'est un très beau conte que Nerto ; écrit dans le texte original en vers octo-
syllabiques, il s’apparente à Griselidis et à toutes les histoires du moyen âge
dans lesquelles l’amour et le diable se jouent réciproquement de damnables
tours. Rien n’était plus légitime que d’en vouloir tirer un livret d’opéra. Mais peut-
être eût-on pu s’y prendre plus adroitement que ne l’a fait l’aimable librettiste du
Jongleur de Notre-Dame, et l’on ne saurait se dissimuler que des scènes trop géné-
reusement étirées nuisent quelque peu à l’équilibre de l’ensemble. Rappelons l’affabu-
lation de cette légende lyrique, sans nous attarder à d’inutiles comparaisons avec le
conte primitif, et en écoutant tout ensemble le poème et la musique. Celle-ci prend
d’abord la parole en une véritable ouverture — chose rare à notre époque où un
bref prélude se borne généralement à nous annoncer le lever du rideau. Une sonorité
farouche alterne ici avec une phrase expressive, en quoi s’affirme le duel mystique
mettant aux prises le ciel et l’enfer. Les violoncelles l’exposent, plus tard les violons
le reprendront, indiquant ainsi l’ascension mystique de l’héroïne.
Nous voici introduits dans la chambre haute qu’habite le baron Pons en son
« Fort-château de Château-Renard ». Une trompette sonne le couvre-feu. En un coin
de la vaste salle le baron, étendu sur un lit naturellement gothique, attend la mort
prochaine et regrette la guerre et l’aventure, la chasse et les tournois — avant tout la
richesse qu’il acheta de Satan à un prix effroyable, puisque en échange il lui vendit
l’âme de sa fille Nerto — (Nerte dans l’original, mais Nerto convient mieux au
chant). Nerto donc essaie de consoler ou du moins d’apaiser le moribond. Hélas
celui-ci, après avoir retrouvé quelques forces pour célébrer son épée en une prose
rappelant les vers de la Fille de Roland, retombe à ses remords, et se décide enfin
à révéler à sa fille éplorée le hideux marché dont elle fut la victime. Tout ce récit
est enveloppé d’une musique éminemment souple et suggestive. Des flamboiements
d’acier, des frissons funèbres surgissent de l’orchestre. Et par contraste l’àme
apeurée, mais néanmoins aimante, de la jeune fille s’épanche en une exquise