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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Sans doute, cet amour de la vérité qui anime nos artistes, peintres et
miniaturistes, dès les débuts de l’art en France et qui les éloigne aussi bien
du grossissement réaliste à la flamande que de l’ample rhétorique italienne,
ne perd jamais complètement ses droits : même dans un siècle sans ingénuité,
quand la plupart des peintres ne semblent plus guère admettre, des trésors
offerts par la nature, que ce qui peut entrer dans les boiseries élégamment
contournées d’un boudoir de jolie femme, un courant continue à circuler,
plus ou moins secret, et, lorsqu'il reparaît, comme un fleuve souterrain, à
la lumière, on voit que la magnifique éclosion du paysage français au
xixe siècle était préparée, annoncée par des œuvres modestes, empreintes
d’une sincérité sans emphase ni travestissement. Les contemporains n’y
attachaient sans doute que peu d’importance, mais nous les considérons
aujourd’hui avec une curiosité charmée. Tels les paysages peints à Tome
par Joseph Vernet aux lieux mêmes où Corot, quatre-vingts ans plus lard,
plantera son chevalet ; tels les motifs simples et familiers que Louis Moreau
recherche dans les campagnes de l’Ile-de-France; telles les vives notations
à l'aquarelle de Granet ; telles encore les toiles longtemps dédaignées de ce
Georges Michel qui n’a pas besoin d’aller plus loin que Montmartre pour
peindre la course des nuages dans le vaste ciel au-dessus de terrains sans
accidents pittoresques.
Corot, à ses débuts et au moins dans ses études directes, se crut
et fut l’élève docile d’artistes qui, comme Bidauld et Bertin, ne fai-
saient que continuer, avec un talent moins personnel, la tradition des
Joseph Vernet et des Louis Moreau. Cependant, dès que son génie se révèle
dans sa force native, ce n’est pas à ces honnêtes mentors de sa jeunesse
qu’il nous fait penser. Une parenté plus illustre et plus antique nous
apparaît avec évidence. Corot est plus près de Poussin et de Claude que du
xvme siècle.
Claude et Poussin étaient magnifiquement représentés à l'Exposition du
Petit Palais. Pour les dessins, avec l'incomparable série appartenant au roi
d’Angleterre, celles d’Oxford et du Musée Teyler, à Haarlem (collection de
Christine de Suède), sans oublier ce que nous devions à divers musées et
collections de France ou de l’étranger, le Lorrain l’emportait manifestement
sur son illustre aîné. Mais, pour les peintures, l’équilibre était rétabli.
Malgré le ravissement procuré par des chefs-d’œuvre comme le Château
enchanté de la collection Thomas Loyd, la Scène champêtre appartenant à
Mme la marquise de Cholmondeleÿ, la Chasse d’Enée du Musée de Bruxelles
et le Paysage avec an pâtre jouant du fifre (collection de M. le comte de
Northbrook), on peut dire que les vingt ou vingt-deux tableaux mis sous le
nom de Poussin nous offraient plus de nouveautés, d’enseignements ou de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Sans doute, cet amour de la vérité qui anime nos artistes, peintres et
miniaturistes, dès les débuts de l’art en France et qui les éloigne aussi bien
du grossissement réaliste à la flamande que de l’ample rhétorique italienne,
ne perd jamais complètement ses droits : même dans un siècle sans ingénuité,
quand la plupart des peintres ne semblent plus guère admettre, des trésors
offerts par la nature, que ce qui peut entrer dans les boiseries élégamment
contournées d’un boudoir de jolie femme, un courant continue à circuler,
plus ou moins secret, et, lorsqu'il reparaît, comme un fleuve souterrain, à
la lumière, on voit que la magnifique éclosion du paysage français au
xixe siècle était préparée, annoncée par des œuvres modestes, empreintes
d’une sincérité sans emphase ni travestissement. Les contemporains n’y
attachaient sans doute que peu d’importance, mais nous les considérons
aujourd’hui avec une curiosité charmée. Tels les paysages peints à Tome
par Joseph Vernet aux lieux mêmes où Corot, quatre-vingts ans plus lard,
plantera son chevalet ; tels les motifs simples et familiers que Louis Moreau
recherche dans les campagnes de l’Ile-de-France; telles les vives notations
à l'aquarelle de Granet ; telles encore les toiles longtemps dédaignées de ce
Georges Michel qui n’a pas besoin d’aller plus loin que Montmartre pour
peindre la course des nuages dans le vaste ciel au-dessus de terrains sans
accidents pittoresques.
Corot, à ses débuts et au moins dans ses études directes, se crut
et fut l’élève docile d’artistes qui, comme Bidauld et Bertin, ne fai-
saient que continuer, avec un talent moins personnel, la tradition des
Joseph Vernet et des Louis Moreau. Cependant, dès que son génie se révèle
dans sa force native, ce n’est pas à ces honnêtes mentors de sa jeunesse
qu’il nous fait penser. Une parenté plus illustre et plus antique nous
apparaît avec évidence. Corot est plus près de Poussin et de Claude que du
xvme siècle.
Claude et Poussin étaient magnifiquement représentés à l'Exposition du
Petit Palais. Pour les dessins, avec l'incomparable série appartenant au roi
d’Angleterre, celles d’Oxford et du Musée Teyler, à Haarlem (collection de
Christine de Suède), sans oublier ce que nous devions à divers musées et
collections de France ou de l’étranger, le Lorrain l’emportait manifestement
sur son illustre aîné. Mais, pour les peintures, l’équilibre était rétabli.
Malgré le ravissement procuré par des chefs-d’œuvre comme le Château
enchanté de la collection Thomas Loyd, la Scène champêtre appartenant à
Mme la marquise de Cholmondeleÿ, la Chasse d’Enée du Musée de Bruxelles
et le Paysage avec an pâtre jouant du fifre (collection de M. le comte de
Northbrook), on peut dire que les vingt ou vingt-deux tableaux mis sous le
nom de Poussin nous offraient plus de nouveautés, d’enseignements ou de