DOI issue:
Nr. 2
DOI article:Rosenthal, Léon: Manet et l'Espagne
DOI Page / Citation link:https://doi.org/10.11588/diglit.24946#0236
210
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Les mérites sur lesquels il insiste, par ce jeu, étaient les plus capables de
séduire le public: pittoresque de costume, de décor. Ce sont ceux qui, aux
yeux de Manet comme aux nôtres, ont le moins d’importance. Regardez les
eaux-fortes, le Guitarrero lui-même, les Gilanos, Loin de Valence ; ce n'est pas
par leur couleur locale extérieure, par tel détail authentique qu’ils nous
attirent et nous retiennent. La force de ces morceaux, c’est qu’ils sonl
« empreints de la saveur espagnole la plus forte », selon les ternies de Baude-
laire1. Cette saveur, nous la retrouvons dans des pages dont le pittoresque
exotique est absent, dans le Buveur d'eau, le Philosophe ; elle ne dérive pas
Phot. Durand-Ruel.
LE TORERO
(Collection Widener, Philadelphie.)
d’un placage d’attributs, de la mise en œuvre adroite d’une friperie d’atelier.
Elle vient de ces « étonnants parallélismes géométriques », de ces « mysté-
rieuses coïncidences » que notait le poète et qui lui faisaient dire, encore, en
présence des tableaux de Manet: ils « donnent à croire que le génie espagnol
s’est réfugié en Erance ».
Et voilà l'origine du malentendu entre Manet et ses contemporains. Ils
l’auraient applaudi s’il avait chanté une Espagne d'Opéra-Comique comme
le firent, à partir du Salon de 1863, Worms ou Zamacoïs dont 1 art factice
fut vite populaire. Il aurait pu, d’autre part, se contenter d’aimer des peintres
espagnols en esprit et appliquer, à l’exemple de Courbet, les lortes leçons d’indé-
pendance et de sincérité qu’il puisait dans leur commerce à des sujets cherchés
hors de l’Espagne. Le public déconcerté l’aurait méconnu ou bafoué sans
discerner ses parrains. Mais, par un dernier effort des prestiges romantiques,
1. Baudelaire. L’Art romantique, IV. Peintres et aquafortistes.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Les mérites sur lesquels il insiste, par ce jeu, étaient les plus capables de
séduire le public: pittoresque de costume, de décor. Ce sont ceux qui, aux
yeux de Manet comme aux nôtres, ont le moins d’importance. Regardez les
eaux-fortes, le Guitarrero lui-même, les Gilanos, Loin de Valence ; ce n'est pas
par leur couleur locale extérieure, par tel détail authentique qu’ils nous
attirent et nous retiennent. La force de ces morceaux, c’est qu’ils sonl
« empreints de la saveur espagnole la plus forte », selon les ternies de Baude-
laire1. Cette saveur, nous la retrouvons dans des pages dont le pittoresque
exotique est absent, dans le Buveur d'eau, le Philosophe ; elle ne dérive pas
Phot. Durand-Ruel.
LE TORERO
(Collection Widener, Philadelphie.)
d’un placage d’attributs, de la mise en œuvre adroite d’une friperie d’atelier.
Elle vient de ces « étonnants parallélismes géométriques », de ces « mysté-
rieuses coïncidences » que notait le poète et qui lui faisaient dire, encore, en
présence des tableaux de Manet: ils « donnent à croire que le génie espagnol
s’est réfugié en Erance ».
Et voilà l'origine du malentendu entre Manet et ses contemporains. Ils
l’auraient applaudi s’il avait chanté une Espagne d'Opéra-Comique comme
le firent, à partir du Salon de 1863, Worms ou Zamacoïs dont 1 art factice
fut vite populaire. Il aurait pu, d’autre part, se contenter d’aimer des peintres
espagnols en esprit et appliquer, à l’exemple de Courbet, les lortes leçons d’indé-
pendance et de sincérité qu’il puisait dans leur commerce à des sujets cherchés
hors de l’Espagne. Le public déconcerté l’aurait méconnu ou bafoué sans
discerner ses parrains. Mais, par un dernier effort des prestiges romantiques,
1. Baudelaire. L’Art romantique, IV. Peintres et aquafortistes.