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— 106 —

Aristophane, Calidassa l'indien, Shakespeare
l'anglais, Corneille, Racine et Molière, cette
trinité française eussent reçu de Paul de St-
Victor l'encens parfumé de son enthousiasme,
de ses analyses pénétrantes, de ses graves
réflexions, bien faites pour aider les intel-
ligences paresseuses ou distraites à s'appro-
cher du génie.

Ce livre, Les deux masques, était venu trop
tard. Il y a quinze ans que Saint-Victor eût
dû l'écrire. L'opinion se fut faite sur l'auteur;
une opinion plus vraie, plus raisonnée que
celle dont les bruits discordants fatiguent
nos oreilles.

Le public saluerait dans l'homme qui dis-
paraît aujourd'hui un savant merveilleux qui
voulut donner à ses jugements sur les mon-
des et les théogonies du passé la forme en-
traînante d'une incantation. Et devant le
verdict encourageant des lettrés, Saint-Vic-
tor eut lui-même modifié s:i manière. Erudit,
il eut montré moins de dédain pour ce qui
est le signe contemporain de l'érudition. Cet
helléniste de bon aloi n'eut pas négligé,
comme il l'a fait, de rappeler ses sources.
Que voulez-vous ? Les Normaliens et les
Chartistes ont gagné la bataille. Il est de
règle à notre époque de hérisser les pages
que l'on écrit de toute sorte de renvois et de
citations. Cette méthode n'est un embarras
que pour les ignorants. Rien de plus aisé
pour l'écrivain sincère que de noter l'ou-
vrage, la strophe, le vers auxquels il se ré-
fère dans son propre texte. C'est à ce prix
qu'un livre qui n'est pas une œuvre de fan-
taisie peut de nos jours prétendre à l'es-
time.

Autre est l'usage dans la presse quoti-
dienne. Faire montre de savoir avec ce dé-
ploiement de signes paraîtrait puéril. Saint-
Victor est resté journaliste dans ses livres
sous ce rapport. Il traite de la grandeur et
de la décadence de Bacchus, de la tragédie
des Perses, des Atrides, de Promethée, des
Euménides en homme qui s'est nourri de la
sève antique et ce disciple des dieux n'a pas
l'air de se souvenir de ses précepteurs. A
peine a-t-il vidé la coupe d'onyx que lui
avait apportée quelque messager céleste qu'il
l'a brisée sans retour. Combien de moins
lettrés que lui seraient entrés tête haute à
l'académie des Inscriptions avec Les deux
masques augmentés de lourds appendices !

On en conviendra, le mépris de St-Victor
pour ce que tant d'autres pratiquent à l'excès
lui fait honneur. Nous y trouvons une preuve
de sa sincérité. Encore qu'il y ait eu selon
nous exagération dans son système, il ne
dépendait que de lui d'agir tout autrement.

Tenter de résumer Les deux masques est
chose impossible. Leur vaste cadre se refuse
à toute réduction. Au surplus, si nous vou-
lions relever quelques uns de ces tableaux
achevés, condensés en moins d'une page,
comme des intailles dans leur monture il
nous faudrait faire un choix arbitraire et dif-
ficile. Nous nous rappelons pourtant les
lignes consacrées par l'écrivain à la bataille
de Marathon.

« Les feux de l'aurore sont moins doux
que les premiers regarda de la gloire. •> —
Ces paroles modernes d'une grâce attique
peuvent s'appliquer à celte jeune bataille,
aube d'un jour rayonnant, fleur de pourpre
d'un printemps sacré. Il y a de la primeur
du bourgeon dans ses verts lauriers, il y a
de la sève dans son sang fécondant et frais
comme une pluie d'avril. Ce pelit peuple qui

se dévoue à la patrie commune, ces dix mille
contre deux cent mille qui marchent en
avant sans regarder derrière eux, cette vic-
toire qui semble divine tant elle est rapide,
quel plus noble et plus pur triomphe. La
beauté du lieu s'ajoute à la beauté de l'action.
C'est sur une plage sablonneuse comme une
arène olympique, que les Athéniens courent
à l'ennemi ; les montagnes et la mer l'enca-
drent : ici le camp et là les vaisseaux. La
tactique du combat a la simplicité des mou-
vements d'un lutteur ; l'héroïque tragédie
s'ordonne selon les règles des belles unités.

Le Messager même ne lui manque pas ; il
est représenté par ce soldat qui courut an-
noncer sa délivrance à Athènes, et tomba
mort sur la place, en agitant sa palme,
comme un coursier épuisé par l'élan d'un
dieu. Ainsi parle ce Grec qui avait à ses
heures l'esprit si français. Pourquoi n'avons-
nous pas eu sous les yeux cette prose vi-
vante et chaude quand nous étions enfants
et qu'on essayait d'incliner notre jeune es-
prit sur l'antiquité.

S'il parlait des modernes, Saint-Victor ne
voyait pas moins juste. Son portrait de Méri
mée dans Barbares et Bandits, son étude sur
Don Quichotte dans Hommes et Dieux, sont
désœuvrés hors de pair.Cependant, l'homme
qui a signé ces pages ne s'est pas renfermé
comme Sainte-Beuve dans la critique litté-
raire. Il a été critique d'art et nous compre-
nons que son ami M. Charles Blanc ait sur-
tout exalté l'écrivain d'an dans le discours
qu'il a prononcé sur la tombe de St-Victor.
Plus grand, selon nous, que Théophile Gau-
tier, chez qui la bizarrerie de l'expression
faussait la pensée au lieu de la fortifier,
Saint-Victor a parlé de l'art avec foi et avec
amour. Il est de la race de Fromentin, et
Fromentin critique d'art n'a besoin que de la
perspective du temps pour grandir et être
salué maître. Plus voisin de nous, plus mêlé
à l'école contemporaine par la nature même
des sujets que s'imposaient à lui, St-Victor
s'est volontiers constitué le défenseur des
débutants ; il y a plus : il aimait la sculpture.
Je viens de relire son Salon de 1873, MM.
Falguière, Blanchard, Lafrance, Louis-Noël
sont de sa part l'objet d'une critique bien-
veillance et motivée. Le conseil suit l'éloge
ou le blâme et nulle part la plume ne se
change en stylet. Les statuaires auxquels
s'adresse l'écrivain sont de jeunes hommes
qu'il enseigne. Comprise de la sorte, la mis
sion que s'était donnée Saint-Victor est des
plus belles. Il y ajoutait des démarches igno-
rées, de vaillants plaidoyers à huis clos en
faveur des statuaires.

C'est ainsi, — nous tenons le fait de M.
Paul Lacroix, — que Saint-Victor a maintes
fois sollicité du gouvernement de la Répu-
blique de grands travaux de sculpture. «L'art
plastique, répétait-il volontiers, est l'art po-
pulaire par excellence : la République se doit
aux sculpteurs. » Avec quelle verve il parlait
des maîtres statuaires : Rude, Pradier,Barye,
David d'Angers ! Comme il savait peindre les
tortures de l'âme, l'isolement, la faim des
sculpteurs.

Combien parmi les critiques en renom
auront éprouvé cette pitié ? Combien auront
passé de l'émotion à l'acte ? Combien se se-
ront faits à son exemple les champions géné-
reux et hardis d'un art trop délaissé ! Je veux
croire pour mon pays, pour mon époque, que
l'auteur A'Hommes et Dieux laisse après lui
des disciples, mais ce lier penchant de sa

nature justifie bien, ce me semble, la parole
de Victor Hugo : « Pas de délicatesse plus
exquise que celle de ce noble esprit. Com-
binez la science d'un mage assyrien avec la
courtoisie d'un chevalier français, vous aurez
Saint-Victor. » L'éloge n'est que juste.

Henry Jouin.

NOTES D'UN OBSERVATEUR.

Pourquoi trouve-t-on, dans les ventes, si
peu de tableaux de peintres excellents quoi-
que n'appartenant pas à la hiérarchie suprême
des étoiles de première grandeur?

La réponse à cette question est simple; elle
met en évidence la mauvaise foi et la cupidité
des uns ainsi que la faiblesse et l'imbécilité
des autres.

En effet, dès qu'un bon tableau rappelle
plus ou moins un maître en vogue, et qu'il
est authentiquement signé,on se hâte de recou-
vrir ou d'enlever la signature et d'y substituer
le nom du grand peintre qu'il rappelle.

On pourrait citer des milliers d'exemples
de ce fait. En voici un qui date d'hier : on
nous apporte un tableau superbe, un peu
retouché. C'est un Rembrandt ! affirmé-t-on.
En elFet, il en avait l'air. Cela représentait
David et Abigail. Ce n'est pas un Rembrandt,
fîmes-nous, mais c'est d'un de ses élèves
Gerbrandt van den Eeckhout. Le tableau fut
remporté et le regard qu'on nous lança, regard
totalement dépourvu de bienveillance, accom-
pagna le mot «ignorant') murmuré à voix basse
par le brocanteur, lequel s'était fait accom-
pagner de l'amateur du Rembrandt. Pendant
que les deux personnages s'en retournaient
nous eûmes le temps de plonger le bout de
notre mouchoir dans de l'esprit de vin allongé
d'eau et nous rappelâmes le propriétaire du
Rembrandt avec l'amateur et nous leur dîmes :
« Le mot « ignorant » a été prononcé ; il doit
être relevé. Il y a ici un mystificateur, un mys-
tifié et un désintéressé. Il faut que justice se
fasse. Ce tableau est de Gerbrandt Van den
Eeckhout et voici sa signature». D'un geste
rapide nous frottâmes le mouchoir sur le
monogramme de Rembrandt qui recouvrait
la magnifique signature rouge de son élève.

Nous pourrions citer beaucoup de cas sem-
blables.

La moralité, c'est que, quand on commet
un faux on doit avoir soin de faire disparaître
la signature primitive du tableau.

*

Il y a quarante ans, un noble étranger
chargea un restaurateur de tableaux de re-
mettre en bon état un très beau Memlinc un
peu craquelé. Derrière le panneau le proprié-
taire avait apposé en larges placards de cire
rouge ses armes opulentes. Il se croyait à
l'abri de toute fraude.

Le restaurateur scia le panneau dans son
épaisseur, copia le Memlinc sur le panneau
nouveau ainsi obtenu et remit cette copie au
noble étranger qui constata d'abord la pré-
sence de ses cachets et déclara avec reconnais-
sance son Memlinc remis à neuf.

Quant à l'original le restaurateur l'a vendu
30,000 francs.

Quelques personnes sensées ont fait la re-
marque que les honorables gouverneurs de
nos provinces, dans les discours qu'ils pro-
 
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