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—125 —

Donc M. Abrassart veut octroyer à la
poésie française..... ce quelle a depuis très-
longtemps. Après Christophe Colomb, on
ne découvre plus l'Amérique.

Mais supposons un instant que les maîtres
du vers français n'aient ni mélodie ni cadence.
M. Abrassart aurait-il raison? Pas même
alors ; car, s'il est d'ordre universel que toutes
choses se développent conformément à leur
essence, — il est absurde de prétendre qu'une
langue est essentiellement rhythmique,
quand, depuis l'origine, aucun poète français
n'a rhythmé son vers.

Et ces étrangers, qui révèlent aux Français
les ressources prosodiques de leur langue ?
objecte M. Abrassart....

Nous répondons à l'auteur des Ailes de
la Lyre en faisant flèche de son bois : si le
hollandais Isaac Vossius, si le sicilien Scoppa
sont à vos yeux des autorités, ils sont pour
nous des arguments — contre vos théories.
C'est parce que le vers néerlandais, c'est
parce que le vers italien ont la quantité,
qu'Isaac Vossius et l'abbé Scoppa voulurent
l'introduire en France. Cela prouve que
votre réforme est de provenance exotique, et
contraire au génie de notre langue.

Quant à l'application des principes de
M. Abrassart, elle peut paraître arbitraire.
Et c'est M. Abrassart qui nous fait des
loisirs — nobis hœc otia facit, — en le dé-
montrant à notre place. Dans la transcription
du « Fidèle Eckart, » nous trouvons deux
fois la première syllabe du mot : cruche;
avec une quantité différente :

v — v v — v v — v
Et nous ren-tre-rions crw-ches vi-des...

v — v v — v y— v
S'ar-rê-te la cru-che f'é-con-de.....

Pourquoi ces cruches incompatibles ?
Poésie rhythmique et mystère !

Faisons encore une concession à M. Abras-
sart : supposons que son système n'ait rien
d'arbitraire, et contentons-nous de prouver
qu'il diminue la personnalité du poète, qu'il
inaugure une restauration classique, qu'il est
la ruine de la langue, et la mort de l'inspira-
tion.

Il diminue la personnalité du poète. Le
rhythme ainsi déterminé, chaque poète n'a
plus sa musique, fille de l'instinct et du
caprice. L'élément matériel de la personna-
lité disparaît.

Il inaugure une restauration classique.
Forcément, il y a des mots qui n'entrent
point, ou qui entrent difficilement dans l'ar-
mure du vers rhythmé. Ces mots vont être
expropriés de leur place dans le dictionnaire.
Ne voyez-vous pas que c'est créer une aristo-
cratie de vocables ? Boileau le dit à Mar-
montel; La Harpe en parle à l'abbé Batteux;
Wailly l'annonce à Viennet ; et tous, dode-
linant de la perruque, archaïques, chanton-
nent le menuet naïf d'Exaudet.....

C'est la ruine de la langue. Quand un mot
— le seul mot juste — gêne par sa quantité,

on le remplace par un synonyme. Et la pro-
priété des termes, poussée si loin de nos
jours, n'est plus qu'un souvenir... Quand la
langue de Gautier et de Baudelaire en est là,
ce n'est plus une langue : c'est un patois.

C'est enfin la mort de l'inspiration. Que
deviendrait M. Abrassart lui-même, s'il
rhythmait toutes ses poésies? Que devient
l'écrivain forcé de négliger l'expression de sa
pensée pour une combinaison arbitraire de
longues et des brèves? Au lieu de voler au
soleil, comme un aigle, les aîles éployées, le
poète va s'user à tourner comme un écureuil,
dans la cage aux hexamètres !

Cette réforme n'est donc utile ni à la poé-
sie ni aux poètes. L'est-elle davantage pour
le librettiste ? Au dire des musiciens, les beaux
vers sont difficiles à mettre en musique. Les
vers rhythmés leur plairont peut-être.

En somme, et dans la question présente —
où le talent d'un poète tant de fois couronné
doit être mis hors de cause, — M. Abrassart
m'apparaît avec les habits rouges du tortion-
naire. Il ouvre un écrin de pinces, de te-
nailles, de courroies et de brodequins.

La Muse française gît sur le chevalet. Le
poète lui passe la fatale chaussure. La Muse
crie : ses muscles raidissent, ses membres se
tordent, elle se dévêt de son hiératique beauté,
tandis que Nicot, Isaac Vossius, et l'abbé
Scoppa, exultant de joie, applaudissent...

Albert KAYENBERGH.

France.
M. Emile LECLERGQ (i).

Les hommes de pensée sont si rares au-
jourd'hui que nous considérons comme un
devoir de saluer chacun d'eux lorsque nous les
rencontrons sur notre route. A leur groupe
restreint appartient M. Emile Leclercq, l'au-
teur d'un livre de critique récemment paru
sous le titre un peu long : Caractères de l'école
française moderne de peinture (2).

Nous différons d'opinion sur des points
nombreux avec M. Leclercq, mais ce qui
nous plaît en lui c'est l'inédit de son travail,
l'originalité de la thèse, le caractère toujours
personnel de l'idée. L'ouvrage de M. Leclercq
est une œuvre de réflexion, que l'auteur n'a
copiée nulle part. C'est un mérite. Les cri-
tiques impatients de produire se répètent si
fréquemment; ils montrent un empressement
si ridicule à transcrire les écrits de leurs de-
vanciers qu'il y a plaisir à entendre une pa-
role imprévue, libre et frère. A ce prix on
serait parfois tenté de pardonner le para-
doxe.

M. Leclercq a l'esprit paradoxal, je me
trompe, l'étrangeté de l'idée chez le critique

(!) Nos lecteurs se rappelleront que dans notre
n° 12 de la présente année nous avons également
analysé le livre de M. E. Leclerco Ad. S.

(2) Paris, Renouard, 1881 in

dont je parle résulte davantage du style, de
la phrase que d'une opinion précise et ar-
rêtée. L'écrivain n'est pas suffisamment
maître de sa plume et le mot outrepasse la
pensée quand il ne la fait pas dévier. Cette
réserve faite, les fautes que je signalerai
tout à l'heure se trouvent d'ores et déjà sin-
gulièrement atténuées. Elles sont plus appa-
rentes que réelles ; la forme, plus que le fond,
se trouve affectée d'exagération.

Une opinion que M. Leclercq croit juste et
à laquelle nous ne nous rallions pas tendrait
à présenter la critique d'art comme la grande
force du temps présent. Nous croyons à la
critique dans le domaine de l'histoire ou de
la science, mais l'art échappe à l'influence
du livre ou du journal. L'artiste est généra-
lement dénué d'instruction. Il n'a pas lu les
maîtres de la pensée; il ne lira pas ce que
nous dirons de son travail dans l'indépen-
dance de notre jugement. M. Leclercq veut-il
une preuve de ce que nous avançons? Il y a
plus d'un quart de siècle que la critique a pris
le premier rang dans les lettres européennes,
et c'est précisément pendant cette même
période que l'art a baissé. La confusion, la
déroute sont au camp des peintres et des
sculpteurs. En vain les écrivains d'art es-
saient-ils de rallier les soldats dispersés,
leurs livres, leurs brochures, leurs feuille-
tons, ajoutent au désordre. Les artistes sont
irritables et nerveux. Ils consentent sans
doute à recueillir nos éloges, mais ils nous
font grâce du conseil. S'il faut en juger par
ce que nous voyons, les choses dureront
ainsi de longues années encore. Nous au-
rions mauvaise grâce à le regretter. L'écri-
vain n'est pas un bon précepteur pour ses
contemporains. Son œuvre n'est pas défini-
tive. Elle manque de sanction. J'ai plus foi
dans l'avenir d'un artiste qui aura lu la Bible
et Homère que s'il possède les salons de Di-
derot, de Burger et de Gautier.

C'est à dessein que je parle de la Bible et
d'Homère. M. Leclercq aura peut-être peine
à me le pardonner, car bien plus que la préé-
minence de la critique, la disparition de
l'Ecole tient au cœur de l'écrivain dont nous
étudions la doctrine. A l'entendre, l'art grec
l'art classique est le grand coupable. C'est à
lui que la France est redevable de Poussin
de Le Sueur, de Louis David, d'Ingres, de
Flandrin et ces maîtres n'ont rien de fran-
çais dans le style. L'art national a été retardé
dans son éclosion par ces disciples des An-
ciens. Les réalistes, les impressionnistes,
les hommes sans méthode, sans principes
sont au contraire des précurseurs utiles
mais les mécréants, les réactionnaires, les
rétrogrades criminels,ce sont les classiques.
Sus aux classiques! Sus aux hommes de
tradition! Sus à l'Ecole, à l'Académie, aux
fortes études ! M. Leclercq reproche a l'Aca-
démie d'avoir pris pour devise «Je main-
tiendrai. » Nous ne le suivrons pas dans
 
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