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— 117 —

les Millet, mais les œuvres de ce maître, si
profondément séduisant, si pénétrant, si fran-
çais, qui tient de Proudhon, de Fragonard,
de Chardin, de tous ces maîtres du siècle
passé qu'il continue avec une note plus intime
et plus attristée, les moindres tableaux de ce
Corrège de la misère, comme on l'a appelé,
atteignent des prix fort élevés. Or, l'homme
qui les a signés s'est suicidé il y a sept ans, à
soixante quatorze ans, dans un petit logis
d'une rue inconnue, et il a été porté au cime-
tière d'Ivry sans que les journaux aient à
peine constaté que « M. Tassaert, qui avait eu
des moments de vogue, mais qui alfectionnait
par trop les sujets tristes, venait de mourir
fort âgé. »

Celui-là, ce grand peintre mort désespéré,
— non de pauvreté, il avait une petite rente
annuelle de mille francs qui lui suffisait, mais
de dégoût, — pouvait parler des difficultés,
et des rancœurs, et des misères de la vie
d'artiste ! Enfant, il avait appris à crayonner
à l'école de dessin. Jeune homme, élève de
Guillon-Lethière, il travaillait à raison de
2 fr. 50 par jour — 2 fr. pour le déjeuner,
50 centimes pour son tabac — pour le compte
de Suisse, directeur d'une académie de dessin,
à des dessins et à des tableaux que Suisse
revendait fort cher. Tassaert fit, à raison de
cinquante sous par jour, la fortune de cet
homme.

Il travaillait pour Raffet, il travaillait pour
Bouchot, l'auteur des Funérailles de Marceau
qu'on voit au musée de Chartres. Tassaert
travaillait pour tout le monde, excepté pour
lui. La renommée vint cependant. Le peintre
fit des tableaux pour Versailles. Théophile
Gantier le proclamait supérieur. Sa Famille
malheureuse au Luxembourg, ce suicide
poignant d'une vieille femme et de sa fille,
illustration éternelle d'une page déjà oubliée
de Lamennais, est et restera une des œuvres
caractéristiques supérieures de l'art français
contemporain. Et sait-on, à l'heure où il
signait ce chef-d'œuvre, combien Tassaert
vendait ses toiles, — celles qui dépassent
aujourd'hui 5,000, 6,000, 7,000, 9,000 fr. II
en avait établi le prix à tant le centimètre,
un prix tout fait, comme les petits pâtés :

Toile de 4..... 400 fr.

Toile de 6..... 600

Toile de 8..... 800

Et chacune d'elles était un chef-d'œuvre
lumineux, aéré, d'un ton gris laiteux adorable.
Tassaert n'avait pas encore trouvé le plein air
violet de M. Manet. C'était la Tentation de
saint Hilarion, la Mort de la Madeleine, le
Rêve, la Bacchante.

Puis, un jour, cet homme qui vivait quasi-
ignoré dans sa petite maisonnette de la rue
Guilleminot, à Plaisance, se prit d'une amer-
tume colère contre l'humanité en général et
contre la peinture en particulier. Il s'enfermait
comme un ours en sa tanière dans son petit
logis où Troyon, un jour, alla le saluer, et

Tassaert, étonné, glorieux, ne cessait de
répéter à Troyon :

— Ah ! que vous êtes heureux d'être un
grand peintre !

— Taisez-vous donc, Tassaert, répondait
Troyon. De nous deux le plus grand peintre,
c'est vous !

La vérité est que, pour aller rendre visite
à Tassaert, Troyon avait enlevé de sa bouton-
nière son ruban de la Légion d'honneur, ne
voulant point le porter devant un tel artiste,
qui n'était pas décoré.

Le jour où Tassaert prit en dégoût la pein-
ture, il fit venir un marchand de tableaux
qu'il aimait beaucoup, M. Martin, l'homme
qui le premier vendit des Corot, des Jong-
kind, des Ribot, dont personne ne voulait, et
lui dit :

— J'ai là, dans mon atelier, — un atelier
grand comme la main, avec le lit et le chevalet
tout près l'un de l'autre, — un tas de petites
machines dont je ne veux plus. Trouvez-moi
un bric-à-brac qui m'emporte ça !

— Cal — C'était désormais ainsi que Tas-
saert allait appeler la peinture.

— Mais, dit Martin, si vous voulez vendre
votre atelier, le marchand de bric-à-brac est
trouvé ! C'est moi.

Tassaert, peu abordable d'ordinaire, avait
des faiblesses pour Martin. Lorsque le mar-
chand de tableaux lui apportait une de ses
vieilles toiles à fond bleu en lui demandant
de les rajeunir avec un fond jaune plus à la
mode, Tassaert, haussant les épaules, répon-
dait :

— C'est bien pour vous ce que j'en fais !
Voyons', je vais retravailler ça pendant Je
temps d'une pipe ! Asseyez-vous et fumez !

Et quand il avait retouché le tableau,
devenu chef-d'œuvre, le vieil artiste ajoutait :

— Maintenant, si ça ne suffit pas, j'ai
indiqué le ton, eh bien ! il y a tant de jeunes
gens très malins aujourd'hui et pleins de
talent. Dites leur d'arranger, de compléter ça !

Il n'y mettait pas autrement d'amour-propre.

Dédaigneux de son œuvre, dédaigneux du
monde, invité, un soir, par M. Fould (Tassaert
avait fait le portrait de ses enfants), à une
soirée officielle, il y alla, comme Giboyer, sa
pipe daus son habit.

— Elle me démangeait dans ma basque,
disait-il. J'avais envie de la fumer ! Alors, on
a annoncé un ministre ! Je ne sais pas lequel.
Ça a fait un mouvement, j'en ai profité et je
suis sorti !

Peut-être jamais plus Tassaert n'alla-t-il
dans le monde. Il préférait aux salons les
cabarets de la banlieue, le vin clairet de
Tonnelier.

Lorsqu'il eut montré à Martin son atelier :
quarante-quatre tableaux, esquisses ou dessins
qui, aujourd'hui, vaudraient une fortune, et
que le marchand lui eut demandé ce qu'il en
voulait, Tassaert haussa les épaules :

— Donnez-moi deux mille quatre cents

francs du tout ou deux mille francs et une
pièce de vin, et vous en verrez la farce ! Mais
débarrassez-moi vile, je ne veux plus voir de
peinture !

Martin n'était pas riche. Il emprunta ce
qu'il fallut pour parfaire la somme, et Tas-
saert fut débarrassé de ses chefs-d'œuvre.

Peu de temps après, il écrivait, assez gro-
gnon, à son acheteur (et je respecte son
orthographe) :.

« Mon cher M. Martin,

« Mes tableaux ont bien vite partis. Mais la
bienheureuse pièce de vin promise, ne prend
pas la grande vitesse pour arriver. Peut-être
n'avez-vous pas ma demeure ? La voici.

M. Tassaert, rue Guilleminot n° 24, Plai-
sance, Paris, XI Ve arrondissement.

« Toujours dans l'atteinte, votre serviteur,
« Octave Tassaert.
« adresse ci-dessus. »

La pièce de vin de Bourgogne arriva enfin.
Tassaert fa défonça, et, pour un moment, le
verre en main, il oublia sa misanthrophie qui
grondait, montait en lui, à mesure d'ailleurs
que sa vue s'affaiblissait.

Tassaert, né en 1800, avait alors soixante-
deux ans et il devenait presque aveugle.

Alors, laissant la peinture, il se mit à faire
de la littérature. On a vu de son orthographe.
Il n'en était pas moins féru de poésie. Les
merveilleux tableaux, comme la Tentation de
saint Antoine, il les traduisait en vers. Et
quels vers ! Ni rimes ni césures. Dix huit ans
auparavant, Michelet, à qui il soumettait des
pièces de comédies, lui avait déjà dit, très
courageusement :

— Faites-donc de la peinture !

Sa palette, Tassaert l'avait broyée. Il ne
pensait plus qu'à son encrier. Et alors il
rimaillait, rimaillait, rimaillait avec acharne-
ment, comme l'abbé Trublet compilait. Il a
laissé, d'une petite écriture rapide, des vers,
des tragédies, des satires, des poèmes. Les
Quatre Vents de l'Esprit soufflaient aussi
(ironiquement, hélas !) dans ce cerveau de
grand peintre.

Les manuscrits se composent du Magné-
tisme, comédie, de la Fin du monde, des
Bonnes gens, de Leudasle, tragédie, de la
Création, poème en six chants avec épilogue,
dédié à « M. Viennet, de l'Académie fran-
çaise. » Ce petit-neveu de Fragonard s'incli-
nant devant ce petit-fils de Campistron !

romque générale.

— Nous apprenons que dans le courant du
mois d'octobre les tableaux et études délaissés
par M. Jos. Maswiens seront vendus publique-
ment.

— Il vient de se passer au grand concours de
Rome pour la gravure un fait extraordinaire
Un jeune anversois de dix-sept ans, M. Guillaume'
Van der Veken, entré à l'Académie il y a deux
ans à peine et n'ayant pas abordé encore l'étude
du dessin d'après nature, avait cependant subi
l'épreuve préparatoire — dessin d'après la figure
antique et dessin d'après nature, ligure nue —
de façon à être admis. Le prix a été accordé à
M. Lenain, eleve déjà avantageusement connu
 
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