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— 114 -

dans toute son énergie. La sardonyx est-elle
de grande dimension? la difficulté se déplace
sans cesser d'être. Le poids de la pierre est
un nouvel obstacle, il n'est plus permis au
graveur de la tenir à la main ; un outillage
compliqué devient nécessaire, et des agents
mécaniques, disciplinés par l'artiste, devront
pendant des années seconder ses doigts sans
dévier jamais. Horace n'avait pas, je le sup-
pose, connu ces poètes du diamant quand il
a dit : O/fendit poetas limœ labor.

XV.

Le graveur en pierres Unes est vraiment
le frère du sculpteur.

Tous deux ont à vaincre la matière. Le
peintre conduit son pinceau sur une surface
lisse. D'un geste sans fatigue, il formule sa
pensée. Semblable au semeur qui dans sa
main fermée porte les moissons prochaines
et dont les doigts, lorsqu'ils s'entr'ouvrent,
laissent échapper la vie, le peintre fait
sourdre la couleur du moindre de ses mou-
vements. Le repos de son bras n'est pas
toujours l'indice d'un temps d'arrêt dans son
œuvre. C'est à peine s'il effleure sa toile, et
la ligne se révèle dans son ampleur; le
velouté des chairs, le moelleux des dra-
peries ont reçu de ses touches légères,
presque insaisissables, le charme et la grâce.

Autre est la destinée du sculpteur. Tou-
jours debout en face d'un bloc qui l'écrase
de ses proportions, armé du maillet et du
ciseau, il frappe à coups pressés. On dirait
d'un curieux qui supplie qu'on lui ouvre.
Écoutez : c'est toujours lui, je l'entends qui
frappe sans merci. Que veut donc cet impa-
tient? Il veut que la Beauté se montre. Il
sait qu'elle est là, dans ce bloc informe et
sans couleur. Il l'a vue en songe. L'intuition
de sa forme, de son attitude, de son regard,
lui a été donnée. Une cangue de pierre em-
prisonne son idole, il fera sauter la cangue.
Et sous son bras nerveux, ô le vaillant !
volent en éclats les copeaux de marbre.

Le graveur en pierres fines a eu, lui aussi,
sa vision. La Beauté lui est apparue à travers
la lumière. Le marbre dans sa blancheur
idéale n'a pour lui qu'un éclat diminué. Si
pure que soit cette matière, il la dédaigne.
Ce qu'il faut à l'interprétation de sa pensée,
c'est un granit rayonnant, coloré, plein de
chaleur et de vie. Par instants, c'est de la
flamme qu'il voudrait pétrir.

Les gemmes sont-elles si différentes de la
flamme? L'artiste en prend une dans sa main.
Il l'enveloppe du regard avec volupté. Le feu
de ces facettes l'enivre. L'eau brillante delà
pierre est toujours en mouvement. Si l'artiste
peut saisir son rêve, s'il sait le parler avec

outil, s'il parvient à sertir une forme châtiée
dans cette onde radieuse, la forme apparaî-
tra vivante et superbe.

XVI

A l'œuvre donc ! Aussi bien, cette pierre

qu'il va sculpter pèse une once. L'artiste ne
pourra graver qu'une image réduite. Sa tâ-
che, selon toute apparence, sera courte et
facile.

Détrompez-vous. La statuaire use d'un
ciseau. La glyptique a recours à la poudre
de diamant mélangée d'huile, auxbouterolles
de fer et au touret. La main de l'homme
serait incapable, sans ces auxiliaires, d'avoir
raison d'une émeraude. Pendant de longues
années, l'artiste demeure courbé sur son
intaille. Chaque jour il revient vers son ca-
mée. De temps à autre, un peu de poussière
se détache de la sardonyx. Une forme se
dessine, plus nette, mieux modelée à mesure
que le pied robuste du graveur, frappant la
pédale du touret, fait agir la poudre de dia-
mant incrustée dans le fer de la bouterolle.

Et quand son chef-d'œuvre est achevé,
quand l'ouvrier de génie, descendant de
Pyrgotèle et de Dioscoride, a vieilli sur sa
pierre, quelle récompense est la sienne ?

— L'oubli.

XVII

Le sculpteur a généreusement travaillé,
mais, son marbre terminé, une figure colos-
sale, signée de son nom, se dresse au grand
jour. Elle décore le Forum, elle est l'orgueil
de la cité, le trésor d'une patrie.

L'œuvre du graveur ne sera pas connue du
public. On ne l'expose pas sur le Forum. Des
mains soigneuses emportent son camée au
plus secret d'une galerie ou d'un cabinet.
Les lettrés savent vaguement que telle ville
possède un pierre d'Aulus, de Dioscoride,
de Pyrgotèle, de Guay, d'Adolphe David, et
c'est tout. Les peintres de dixième ordre sont
célèbres ; les sculpteurs secondaires ont
quelque renom ; les graveurs du plus grand
talent sont ignorés.

Le graveur en pierres fines n'est guère à
nos yeux que l'archiviste de l'art Eh quoi !
lui seul a le secret de la durée. Le temps ne
prévaut pas contre lui, et nous traitons son
œuvre comme un parchemin !

Nous laissons à l'État le soin d'encourager
ce paléographe de la pierre, et l'État, puis-
sance impersonnelle, ne peut mieux faire
que de conserver dans ses musées l'intaille
et le camée du graveur.

XVIII

Mais le curieux, l'amateur, l'homme d'in-
telligence qui se passionne pour une toile ou
un vase de prix, ne songera-t-il point à la
glyptique ? Est-ce que la gravure en pierres
fines est condamnée comme sa sœur cadette,
la gravure au burin ?

Nous ne voulons pas le croire.

S'il en était ainsi, nous donnerions aux
générations futures une idée fâcheuse de
notre sens esthétique. L'avenir aurait le droit
d'être sévère envers le présent. Nous nous
disons artistes, éclectiques, raffinés, et de-

vant les murs de Pompéi, tous les critiques
de l'Europe ont regretté la perte des pein-
tures d'Apelle et de Polygnote.
A quoi bon ?

Sommes-nous certains que les tableaux
d'Apelle, composés seulement avec quatre
couleurs, — c'est Pline qui l'affirme, — au-
raient éveillé chez les modernes plus que de
la surprise ?

Quoi que nous pensions de nous-mêmes,
nous ne sommes pas coloristes dans la me-
sure où l'étaient les anciens.

— Des pages dispersées, recueillies par
un archéologue de ce siècle, out permis de
reconstituer la genèse de la sculpture chry-
séléphantine. La technique de cet art nous
est connue. Certains livres que nous pour-
rions citer sont pour ainsi dire le manuel du
cœlateur ou du toreuticien.

La toreutique a-t-elle refleuri parmi nous?

— Non.

Nous ne concevons que la sculpture mo-
nochrome.

— Un architecte de ce temps a découvert
plus que des textes sur un art que nous
ignorons. La polychromie des monuments
nous a été révélée par des ruines. De savants
écrits ont été publiés. Des hommes convain-
cus ont plaidé la cause de la décoration de
nos édifices.

La polychromie a-t-elle rencontré des
adeptes parmi nous ?

— Non.

La teinte grise de la pierre nous satisfait;
nous ne voulons admettre que l'architecture
monochrome.

— Ce ne sont pas des ruines qui nous ont
appris ce que fut la glyptique chez les an-
ciens. Les intailles et les camées ont tra-
versé les siècles : on les compte par mil-
liers dans les collections publiques. Intactes,
éclatantes, ces pierres ont gardé la jeunesse
de l'antiquité. Elles rayonnent sous nos yeux
dans le prisme varié de leurs couleurs.

La gravure en pierres fines est-elle en
honneur parmi nous ?

— Non.

Ce n'est pas assez que la tâche du graveur
soit ingrate, nous la faisons obscure. A l'État
incombe d'enseigner un art que nous ne sa-
vons pas estimer, et l'État devra seul récom-
penser les artistes courageux, nourris de la
sève antique, qui se donnent à l'art du ca-
mée. Quant au public, quant à nous, hommes
du dix-neuvième siècle, nous ne savons plus
apprécier une améthyste ou une onyx.

Serait-ce que les rayons de la pierre trou-
blent nos yeux fatigués ? Serions-nous à ce
point ennemis de la couleur que celle qui n'a
pas été composée par la main de l'homme
sur une palette de peintre échappe à notre
goût? Une figure de Scopas, réduite par
Pamphile sur le chaton d'un anneau qui a
des scintillements d'étoile et qui durera cent
siècles avec son éclat, sa fraîcheur, ses pro-
 
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