N* 4.
28 Février 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
directeur: m. aD. siret.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
prix par an : belgique : g francs.
ÉTRANGER : 12 FR,
administration ET correspondance
A S'-NICOLAS (BELGIQUE).
SOMMAIRE. Beaux-arts : Visite à l'atelier Ver-
boeckhoven. — A propos de Van der Laenen et
de Pierre Nicolas Berchem. — La Galerie Rue-
lens. — Livres nouveaux sur l'art flamand et
néerlandais. — Exposition Lybaert à Gand. —
Deux ouvrages sur Cambrai. — Chronique géné-
rale. — Dictionnaire des peintres. — Annonces.
Beaux-Arts.
VISITE A L'ATELIER
d'Eugène Verboeckhoven.
Une étude, un essai biographique, dû à la
plume savante de M. Alvin, conservateur de
la Bibliothèque royale de Belgique, vient de
rendre un hommage nouveau à la mémoire de
cet artiste étonnant qui s'appelle Eugène Ver-
boeckhoven. Ce nom, et les œuvres qui por-
tent ce nom, sont entourés de l'auréole d'une
gloire sereine qui par la mort de l'artiste a
resplendi d'un éclat nouveau. Ce qui fait la
tristesse de la famille, la disparition éter-
nelle du père, de l'époux, apporte à l'œuvre
de eelui qui meurt une teinte mélancolique
qui a son attrait, son charme, et, devant ce
qui reste de celui qui s'en est allé dans le
monde de l'idéal inconnu, on éprouve une
sensation étrange dans laquelle on se complaît,
qui fait rêver comme on rêve, le soir, au dé-
clin du jour, au milieu des pins toujours verts
des cimetières isolés.
C'est une sensation pareille que je ressentis
lorsqu'un de ces jours passés, je fus introduit
par un ami dans l'atelier de feu Eugène Ver-
boeckhoven.
J'y fus reçu avec uns amabilité charmante
par le gendre du grand artiste, M. Wich, an-
cien consul de Belgique à Londres. Ce gentle-
men courtois savait s'etfacer devant les im-
pressions que je ressentais en entrant dans le
sanctuaire du travail et je lui sais gré de la
façon discrète dont il fit les honneurs du home
artistique de celui qui n'est plus.
La famille de l'illustre mort a respecté cet
atelier. Au milieu d'une salle qui ressemble à
une chapelle, tellement elle est spacieuse, se
dresse le chevalet portant le tableau inachevé
auquel Eugène Verboeckhoven travaillait en-
core quatre jours avant sa mort. Sur ce pan-
neau, nulle trace de défaillance. Dans le dessin
des moutons, de la figure du berger, dans les
accessoires du paysage, nulle latigue, nulle
hésitation, aucune lassitude. La sûreté de la
touche est étonnante. Verboeckhoven était de
la trempe des générations fortes, sages, pon-
dérées des hommes du dernier siècle. La
pensée mûrie, leur jeunesse ayant vu passer
l'ouragan révolutionnaire, tout leur être avait
pris une force de résistance à travers les
épreuves du premier âge de la vie et de la
lutte, et,ayant dû forcément faire provision de
philosophie et d'énergie morale, la raison de-
vait guider les passions et leur donner une
direction salutaire à l'éclosion des œuvres,
des travaux de l'intelligence. De là cette su-
périorité toujours constante des productions
des hommes de la première moitié de ce
siècle. Je ne prétends point nier la valeur des
hommes du jour, mais à part quelques excep-
tions, le calme ne préside pas à leurs études,
à leur travaux. C'est la fièvre qui les agite,
qui les pousse et leurs productions portent
l'empreinte de l'inquiétude de leurs pensées.
De là aussi un intérêt que donne l'autobio-
graphie de l'artiste, qui jette, pour ainsi dire,à
la pâture de la foule versatile et ondoyante
tous les secrets, toutes les angoisses de son
esprit, de son cœur. Tel ne se montrait point
Verboeckhoven. Dans son œuvre on ne sent
pas qu'il y ait eu jamais le moindre trouble
dans sa longue existence et devant ses ani-
maux si paisibles, devant ses moutons si
doux, on ressent la quiétude, la tranquillité,
et on quitte volontiers la vie réelle avec ses
combats et ses agitations pour se réfugier en
esprit au milieu d'un paysage d'un trou-
peau paisible peint par Vanboeckhoven.
Je parlais tantôt du dernier tableau de l'ar-
tiste. Je n'ai point dit comment il est entouré
d'une décoration simple et grandiose dans
sa simplicité. On sent le respect et la mé-
moire du cœur dans cet appareil modeste,
mais de bon goût. Le tableau, posé sur le
chevalet, est couvert d'un léger voile de gaze
noire—des couronnes d'immortelles et de vio-
lettes fanées l'entourent. A côté du chevalet
est la petite armoire à couleurs et la palette
de l'artiste, le tout dans l'état où le laissa le
grand peintre. Sa chaise est restée vide et
l'on ne peut s'empêcher de ressentir devant
cette place une émotion qui serre le cœuv et
fait venir les larmes chez le plus indifférent.
La colère nous prend contre la destinée qui
arrache ainsi d'une façon indifférente et insou-
ciante, à leur travail des hommes comme Ver-
boeckhoven, Geefs, Wagner, comme elle laisse
vivre des êtres inutiles dont l'existence oisive
.ne laissera aucune trace. Cependant il est
vrai, on doit le dire, la carrière de Verboeck-
hoven a été belle pour lui ; elle fut longue,
elle fut glorieuse. Et quand on jette un regard
sur les murs de ces deux ateliers de l'illustre
travailleur, on est consolé devant le spectacle
de ces tableaux conservés par l'artiste et que
la famille entoure des soins les plus intelli-
gents Il y a là un portrait équestre de Ru-
bens superbe d'allure. Le cheval est, d'après
la tradition, la reproduction du cheval de
Rnbens. Verboeckhoven avait réuni croquis,
esquisses, études pouvant lui permettre de
rendre le caractère de ce cheval historique.On
reconnaît la race, le type de la bête intelli-
gente. Son mouvement est superbe. Quant à
la figure du grand peintre, de Rnbens, elle
a été peinte d'après le portrait original qui
se trouve à Windsor. Une belle copie faite par
Verboeckhoven, d'après la peinture de Pierre-
Paul,orne le mur de l'atelier du grand anima-
lier. Verboeckhoven peignait aussi bien la
figure humaine que les animaux et il était un
vrai sculpteur. Il y a de lui, dans son atelier,
bon nombre de sculptures pleines de carac-
tère et d'allure—entr'autres —un lion et une
lionne, qui pourraient servir d'exemple à
maints sculpteurs et feraient bonne figure au
Musée. C'est cette variété de talent qui con-
stitue l'originalité de Verboeckhoven. C'est ce
<pie Al. Alvin, dans sa brochure, a parfaite-
ment fait ressortir et quand réminent littéra-
teur dit de Verboeckhoven « que sa vie en-
tière n'a été qu'une longue et féconde journée
de travail, » il rend justice ù ce que peut pro-
duire le labeur patient joint au don naturel
de l'observation et au génie traditionnel des
vieux maîtres flamands.
J. Emmanuel van den Bussciie.
A propos de VANDER LAN EN
et de Pierre-Nicolas BERCHEM.
L'Echo du Parlement publie de très inté-
ressants articles de M. A. Wauters, le savant
archiviste de Bruxelles, sur des peintres des
écoles flamande et hollandaise ; nous aurons
à prendre note de ses trouvailles pour notre
Dictionnaire historique des peintres, et nous
y puiserons largement en lui exprimant, en
notre nom comme au nom des curieux et
des amateurs, notre vive et sincère gratitude.
Nous ne saurions cependant inscrire au
28 Février 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
directeur: m. aD. siret.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
prix par an : belgique : g francs.
ÉTRANGER : 12 FR,
administration ET correspondance
A S'-NICOLAS (BELGIQUE).
SOMMAIRE. Beaux-arts : Visite à l'atelier Ver-
boeckhoven. — A propos de Van der Laenen et
de Pierre Nicolas Berchem. — La Galerie Rue-
lens. — Livres nouveaux sur l'art flamand et
néerlandais. — Exposition Lybaert à Gand. —
Deux ouvrages sur Cambrai. — Chronique géné-
rale. — Dictionnaire des peintres. — Annonces.
Beaux-Arts.
VISITE A L'ATELIER
d'Eugène Verboeckhoven.
Une étude, un essai biographique, dû à la
plume savante de M. Alvin, conservateur de
la Bibliothèque royale de Belgique, vient de
rendre un hommage nouveau à la mémoire de
cet artiste étonnant qui s'appelle Eugène Ver-
boeckhoven. Ce nom, et les œuvres qui por-
tent ce nom, sont entourés de l'auréole d'une
gloire sereine qui par la mort de l'artiste a
resplendi d'un éclat nouveau. Ce qui fait la
tristesse de la famille, la disparition éter-
nelle du père, de l'époux, apporte à l'œuvre
de eelui qui meurt une teinte mélancolique
qui a son attrait, son charme, et, devant ce
qui reste de celui qui s'en est allé dans le
monde de l'idéal inconnu, on éprouve une
sensation étrange dans laquelle on se complaît,
qui fait rêver comme on rêve, le soir, au dé-
clin du jour, au milieu des pins toujours verts
des cimetières isolés.
C'est une sensation pareille que je ressentis
lorsqu'un de ces jours passés, je fus introduit
par un ami dans l'atelier de feu Eugène Ver-
boeckhoven.
J'y fus reçu avec uns amabilité charmante
par le gendre du grand artiste, M. Wich, an-
cien consul de Belgique à Londres. Ce gentle-
men courtois savait s'etfacer devant les im-
pressions que je ressentais en entrant dans le
sanctuaire du travail et je lui sais gré de la
façon discrète dont il fit les honneurs du home
artistique de celui qui n'est plus.
La famille de l'illustre mort a respecté cet
atelier. Au milieu d'une salle qui ressemble à
une chapelle, tellement elle est spacieuse, se
dresse le chevalet portant le tableau inachevé
auquel Eugène Verboeckhoven travaillait en-
core quatre jours avant sa mort. Sur ce pan-
neau, nulle trace de défaillance. Dans le dessin
des moutons, de la figure du berger, dans les
accessoires du paysage, nulle latigue, nulle
hésitation, aucune lassitude. La sûreté de la
touche est étonnante. Verboeckhoven était de
la trempe des générations fortes, sages, pon-
dérées des hommes du dernier siècle. La
pensée mûrie, leur jeunesse ayant vu passer
l'ouragan révolutionnaire, tout leur être avait
pris une force de résistance à travers les
épreuves du premier âge de la vie et de la
lutte, et,ayant dû forcément faire provision de
philosophie et d'énergie morale, la raison de-
vait guider les passions et leur donner une
direction salutaire à l'éclosion des œuvres,
des travaux de l'intelligence. De là cette su-
périorité toujours constante des productions
des hommes de la première moitié de ce
siècle. Je ne prétends point nier la valeur des
hommes du jour, mais à part quelques excep-
tions, le calme ne préside pas à leurs études,
à leur travaux. C'est la fièvre qui les agite,
qui les pousse et leurs productions portent
l'empreinte de l'inquiétude de leurs pensées.
De là aussi un intérêt que donne l'autobio-
graphie de l'artiste, qui jette, pour ainsi dire,à
la pâture de la foule versatile et ondoyante
tous les secrets, toutes les angoisses de son
esprit, de son cœur. Tel ne se montrait point
Verboeckhoven. Dans son œuvre on ne sent
pas qu'il y ait eu jamais le moindre trouble
dans sa longue existence et devant ses ani-
maux si paisibles, devant ses moutons si
doux, on ressent la quiétude, la tranquillité,
et on quitte volontiers la vie réelle avec ses
combats et ses agitations pour se réfugier en
esprit au milieu d'un paysage d'un trou-
peau paisible peint par Vanboeckhoven.
Je parlais tantôt du dernier tableau de l'ar-
tiste. Je n'ai point dit comment il est entouré
d'une décoration simple et grandiose dans
sa simplicité. On sent le respect et la mé-
moire du cœur dans cet appareil modeste,
mais de bon goût. Le tableau, posé sur le
chevalet, est couvert d'un léger voile de gaze
noire—des couronnes d'immortelles et de vio-
lettes fanées l'entourent. A côté du chevalet
est la petite armoire à couleurs et la palette
de l'artiste, le tout dans l'état où le laissa le
grand peintre. Sa chaise est restée vide et
l'on ne peut s'empêcher de ressentir devant
cette place une émotion qui serre le cœuv et
fait venir les larmes chez le plus indifférent.
La colère nous prend contre la destinée qui
arrache ainsi d'une façon indifférente et insou-
ciante, à leur travail des hommes comme Ver-
boeckhoven, Geefs, Wagner, comme elle laisse
vivre des êtres inutiles dont l'existence oisive
.ne laissera aucune trace. Cependant il est
vrai, on doit le dire, la carrière de Verboeck-
hoven a été belle pour lui ; elle fut longue,
elle fut glorieuse. Et quand on jette un regard
sur les murs de ces deux ateliers de l'illustre
travailleur, on est consolé devant le spectacle
de ces tableaux conservés par l'artiste et que
la famille entoure des soins les plus intelli-
gents Il y a là un portrait équestre de Ru-
bens superbe d'allure. Le cheval est, d'après
la tradition, la reproduction du cheval de
Rnbens. Verboeckhoven avait réuni croquis,
esquisses, études pouvant lui permettre de
rendre le caractère de ce cheval historique.On
reconnaît la race, le type de la bête intelli-
gente. Son mouvement est superbe. Quant à
la figure du grand peintre, de Rnbens, elle
a été peinte d'après le portrait original qui
se trouve à Windsor. Une belle copie faite par
Verboeckhoven, d'après la peinture de Pierre-
Paul,orne le mur de l'atelier du grand anima-
lier. Verboeckhoven peignait aussi bien la
figure humaine que les animaux et il était un
vrai sculpteur. Il y a de lui, dans son atelier,
bon nombre de sculptures pleines de carac-
tère et d'allure—entr'autres —un lion et une
lionne, qui pourraient servir d'exemple à
maints sculpteurs et feraient bonne figure au
Musée. C'est cette variété de talent qui con-
stitue l'originalité de Verboeckhoven. C'est ce
<pie Al. Alvin, dans sa brochure, a parfaite-
ment fait ressortir et quand réminent littéra-
teur dit de Verboeckhoven « que sa vie en-
tière n'a été qu'une longue et féconde journée
de travail, » il rend justice ù ce que peut pro-
duire le labeur patient joint au don naturel
de l'observation et au génie traditionnel des
vieux maîtres flamands.
J. Emmanuel van den Bussciie.
A propos de VANDER LAN EN
et de Pierre-Nicolas BERCHEM.
L'Echo du Parlement publie de très inté-
ressants articles de M. A. Wauters, le savant
archiviste de Bruxelles, sur des peintres des
écoles flamande et hollandaise ; nous aurons
à prendre note de ses trouvailles pour notre
Dictionnaire historique des peintres, et nous
y puiserons largement en lui exprimant, en
notre nom comme au nom des curieux et
des amateurs, notre vive et sincère gratitude.
Nous ne saurions cependant inscrire au