N° 15.
15 Août 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTERATURE.
DIRECTEUR : M. AD. SIRET.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS
ÉTRANGER : 12 FR.
ADMINISTRATION ET CORRESPONDANCE
A S ^-NICOLAS (BELGIQUE).
SOMMAIRE. Beaux-Arts : Compartiment Wiertz.
La galerie dos Uffizi. — Littérature : Nouvelle
lettre de M. Picard. — Aménités littéraires de la
jeune école.— Ypriana.'— Chronique générale.
— Cabinet de la curiosité. — Annonces.
Beaux-Arts.
COMPARTIMENT WIERTZ.
Je ne pense pas qu'il soit possible, même
dans une certaine mesure, de tenir compte du
vœu exprimé par le grand artiste de voir le
Triomphe de la lumière placé dans lès condi-
tions qu'il a indiquées. Ces conditions sont
irréalisables : il l'eût reconnu lui-même s'il
avait été question en sa présence du place-
ment définitif de son groupe. J'ai souvenance
qu'un jour causant avec lui du testament
d'Eugène' Delacroix qui venait de mourir,
testament dans lequel l'artiste demandait une
tombe aux profils rudes et grands, pas de
détails, Wiertz me dit -. « Voilà une chose
raisonnable et facile à exécuter. Quant à mon
Triomphe, ajouta-t-il en secouant la tête, je
n'y crois pas... » Voulant sans doute dire par
là qu'il ne comptait pas que son vœu pût être
exaucé. Il convenait avec moi que la citadelle
de Dinant prise pour piédestal de son groupe,
était un rêve audacieux et impossible. Les
énormes proportions à adopter pour respec-
ter les lois de la perspective et de l'optique
ne l'effrayaient pas beaucoup; il s'inquiétait de
la destinée de cette forteresse aujourd'hui
désarmée, mais qui pouvait avoir à jouer un
rôle dans une guerre quelconque, ainsi que
des dégradations que la rigueur et la variabi-
lité des saisons n'eussent pas manqué de laire
subir aux matériaux du groupe, etc. Puis il
poussait un soupir et parlait d'autre chose.
J'ai été voir le plateau d'Herbuchène où l'on
a placé une perche indicatrice à l'endroit où
le groupe pourrait se trouver. Je ne sais,
mais je crois que cet emplacement est tout
aussi déraisonnable que celui de la citadelle.
11 est évident qu'à moins d'effets de lumière
spéciaux(et encore!)le monument placé à celte
distance ne sera jamais qu'une tache informe
et disproportionnée avec la ligne de l'horizon.
Je crois même qu'il produira un effet ridicule
et fera rire des Dinantais dont la copérerie
recevrait de ce chef un nouveau lustre.
Un terme moyen n'est pas impossible : ne
pourrait-on trouver sur ce magnilique amphi-
théâtre de rochers contre lequel s'adosse la
ville, une roche détachée, à mi-côte, sur
lequel le groupe serait monté et produirait un
effet grandiose surtout si on lui ménage un
fond clair d'où il se détacherait. Je ne connais
pas assez, pour les nommer, les possesseurs
des jardins de cette partie de la ville, mais
j'ai remarqué,non loin du Casino, une masse
convenable et plusieurs autres accidents de
terrain dont on pourrait peut-être profiter.
A mon sens, abandonnant le côté poétique
là où les difficultés matérielles offrent une
résistance sérieuse, je trouve plusieurs em-
placements qui ne sont' pas sans valeur. La
place de la prison est peut-être celle qui, au
point de vue artistique, conviendrait le mieux.
11 y a aussi la place de la Fontaine et la place
Saint-Nicolas. J'abandonne la place du Palais
de justice et celle de l'Eglise; le Triomphe de
la lumière écraserait son entourage, au phy-
sique bien entendu. 11 faut laiss: r de côté ces
suaves allusions où la politique était déjà
parvenue à se glisser. Heureusement le bon
sens public a fait justice de ces insanités et je
crois que foncièrement tout le monde désire
l'accomplissement du vœu de Wiertz.
Je vais donner mon avis sur l'endroit que je
crois le plus convenable. C'est celui où il sera
vu du plus grand nombre et où il peut pro-
duire un irrésistible effet. C'est à la bifurca-
tion de la roule de Pliilippeville et de celle de
Bouvignes, dans l'axe du pont et à son niveau.
Deux cafés seraient à expropier et du milieu
d'un square approprié jaillirait le monument.
On le verrait à distance convenable de presque
tous les points, il embellirait singulièrement
un endroit de la ville qui a bien besoin de se
débarbouiller el il serait placé de manière à
ce qu'une grande et rapide popularité lui
serait acquise,puisque nul voyageur ne pour-
rait quitter Dinant sans emporter, indépen-
damment de la couque traditionnelle, le sou-
venir du célèbre artiste.
Parmi les questions de détail qu'il y aurait
lieu d'examiner, 011 verrait si au pied du
monument une fontaine publique ne pourrait
pas être établie.
Je soumets bien respectueusement mon
humble opinion à la commission spéciale
chargée d'examiner cette affaire. Je ferai re-
marquer que la question de l'emplacement
décidée, il sera facile de marcher rapidement
et d'activer une souscription qui prendrait un
essor nouveau et définitif quand 011 saura
quelle somme sera nécessaire pour conduire
le tout à bonne fin. L'exécution des projets
mis en l'air (sans calcmbourg) serait d'un coût
formidable sans compter les essais qui 11e
peuvent aboutir à rien. Le projet que nous pré-
conisons réaliserait, à n'en pas douter, une éco-
nomie de moitié au moins, et, dans deux ou
trois ans, tout pourrait être fini.
Qu'on se le dise et surtout qu'on y songe.
P. G.
LA GALERIE DES UFFIZI (r).
Retour à la galerie des Uffizi. Le visiteur
y est toujours accueilli par les Médicis, dont
les bustes sont aligne's au sommet du grand
escalier; ils semblent les gardiens de tous les
chefs-d'œuvre que leur génie a permis de
réunir. Le profil allongé, particulier à la
Toscane, s'est reproduit dans toute cette fa-
mille, ainsi qu'une expression d'élégance et
de sensualité. La figure de Laurent le Magni-
fique, comme affaisséé par la méditation, se
distingue entre toutes ; elle serait repoussante,
si l'on n'y lisait le chagrin né de sentiments
profonds et si l'on ne se rappelait sa géné-
reuse vie. On entre alors dans la longue ga-
lerie où sont alternées les sculptures païennes
et les peintures chrétiennes. De tant de tra-
vaux, d'aspirations et de souffrances nées du
désir d'exprimer par des formes sensibles les
désirs de l'homme, voilà ce qu'il nous reste :
quelques tableaux et quelques marbres où
nous tâchons de retrouver l'esprit qui les fit
concevoir. On interroge l'histoire, et l'on re-
connaît combien l'art se lie au caractère des
peuples et à leurs institutions. Après les mys-
térieux et impassibles monuments de l'Egypte
sacerdotale, après ses gravures uniformes,
figures d'esclaves aux bras comprimés, appa-
raissent les juvéniles statues de la Grèce
païenne, libres et abandonnées en leur mou-
vement ; puis les statues vulgaires, au front
rusé, de personnages romains qui voyaient
Dans cet admirable livre qu'on.appelle les Jours
de Solitude, Octave Pirmez a caractérisé quelques
peintres de l'ancienne école d'italie en traits d'une
puissance magique. Il y a quinze ans, à l'appari-
tion du livre, nous avons déjà reproduit les pages
qui vont suivre; il nous semble que ce n'est pas
trop de les remettre sous les yeux de nos lecteurs
au lendemain de la mort du grand penseur.
15 Août 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTERATURE.
DIRECTEUR : M. AD. SIRET.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS
ÉTRANGER : 12 FR.
ADMINISTRATION ET CORRESPONDANCE
A S ^-NICOLAS (BELGIQUE).
SOMMAIRE. Beaux-Arts : Compartiment Wiertz.
La galerie dos Uffizi. — Littérature : Nouvelle
lettre de M. Picard. — Aménités littéraires de la
jeune école.— Ypriana.'— Chronique générale.
— Cabinet de la curiosité. — Annonces.
Beaux-Arts.
COMPARTIMENT WIERTZ.
Je ne pense pas qu'il soit possible, même
dans une certaine mesure, de tenir compte du
vœu exprimé par le grand artiste de voir le
Triomphe de la lumière placé dans lès condi-
tions qu'il a indiquées. Ces conditions sont
irréalisables : il l'eût reconnu lui-même s'il
avait été question en sa présence du place-
ment définitif de son groupe. J'ai souvenance
qu'un jour causant avec lui du testament
d'Eugène' Delacroix qui venait de mourir,
testament dans lequel l'artiste demandait une
tombe aux profils rudes et grands, pas de
détails, Wiertz me dit -. « Voilà une chose
raisonnable et facile à exécuter. Quant à mon
Triomphe, ajouta-t-il en secouant la tête, je
n'y crois pas... » Voulant sans doute dire par
là qu'il ne comptait pas que son vœu pût être
exaucé. Il convenait avec moi que la citadelle
de Dinant prise pour piédestal de son groupe,
était un rêve audacieux et impossible. Les
énormes proportions à adopter pour respec-
ter les lois de la perspective et de l'optique
ne l'effrayaient pas beaucoup; il s'inquiétait de
la destinée de cette forteresse aujourd'hui
désarmée, mais qui pouvait avoir à jouer un
rôle dans une guerre quelconque, ainsi que
des dégradations que la rigueur et la variabi-
lité des saisons n'eussent pas manqué de laire
subir aux matériaux du groupe, etc. Puis il
poussait un soupir et parlait d'autre chose.
J'ai été voir le plateau d'Herbuchène où l'on
a placé une perche indicatrice à l'endroit où
le groupe pourrait se trouver. Je ne sais,
mais je crois que cet emplacement est tout
aussi déraisonnable que celui de la citadelle.
11 est évident qu'à moins d'effets de lumière
spéciaux(et encore!)le monument placé à celte
distance ne sera jamais qu'une tache informe
et disproportionnée avec la ligne de l'horizon.
Je crois même qu'il produira un effet ridicule
et fera rire des Dinantais dont la copérerie
recevrait de ce chef un nouveau lustre.
Un terme moyen n'est pas impossible : ne
pourrait-on trouver sur ce magnilique amphi-
théâtre de rochers contre lequel s'adosse la
ville, une roche détachée, à mi-côte, sur
lequel le groupe serait monté et produirait un
effet grandiose surtout si on lui ménage un
fond clair d'où il se détacherait. Je ne connais
pas assez, pour les nommer, les possesseurs
des jardins de cette partie de la ville, mais
j'ai remarqué,non loin du Casino, une masse
convenable et plusieurs autres accidents de
terrain dont on pourrait peut-être profiter.
A mon sens, abandonnant le côté poétique
là où les difficultés matérielles offrent une
résistance sérieuse, je trouve plusieurs em-
placements qui ne sont' pas sans valeur. La
place de la prison est peut-être celle qui, au
point de vue artistique, conviendrait le mieux.
11 y a aussi la place de la Fontaine et la place
Saint-Nicolas. J'abandonne la place du Palais
de justice et celle de l'Eglise; le Triomphe de
la lumière écraserait son entourage, au phy-
sique bien entendu. 11 faut laiss: r de côté ces
suaves allusions où la politique était déjà
parvenue à se glisser. Heureusement le bon
sens public a fait justice de ces insanités et je
crois que foncièrement tout le monde désire
l'accomplissement du vœu de Wiertz.
Je vais donner mon avis sur l'endroit que je
crois le plus convenable. C'est celui où il sera
vu du plus grand nombre et où il peut pro-
duire un irrésistible effet. C'est à la bifurca-
tion de la roule de Pliilippeville et de celle de
Bouvignes, dans l'axe du pont et à son niveau.
Deux cafés seraient à expropier et du milieu
d'un square approprié jaillirait le monument.
On le verrait à distance convenable de presque
tous les points, il embellirait singulièrement
un endroit de la ville qui a bien besoin de se
débarbouiller el il serait placé de manière à
ce qu'une grande et rapide popularité lui
serait acquise,puisque nul voyageur ne pour-
rait quitter Dinant sans emporter, indépen-
damment de la couque traditionnelle, le sou-
venir du célèbre artiste.
Parmi les questions de détail qu'il y aurait
lieu d'examiner, 011 verrait si au pied du
monument une fontaine publique ne pourrait
pas être établie.
Je soumets bien respectueusement mon
humble opinion à la commission spéciale
chargée d'examiner cette affaire. Je ferai re-
marquer que la question de l'emplacement
décidée, il sera facile de marcher rapidement
et d'activer une souscription qui prendrait un
essor nouveau et définitif quand 011 saura
quelle somme sera nécessaire pour conduire
le tout à bonne fin. L'exécution des projets
mis en l'air (sans calcmbourg) serait d'un coût
formidable sans compter les essais qui 11e
peuvent aboutir à rien. Le projet que nous pré-
conisons réaliserait, à n'en pas douter, une éco-
nomie de moitié au moins, et, dans deux ou
trois ans, tout pourrait être fini.
Qu'on se le dise et surtout qu'on y songe.
P. G.
LA GALERIE DES UFFIZI (r).
Retour à la galerie des Uffizi. Le visiteur
y est toujours accueilli par les Médicis, dont
les bustes sont aligne's au sommet du grand
escalier; ils semblent les gardiens de tous les
chefs-d'œuvre que leur génie a permis de
réunir. Le profil allongé, particulier à la
Toscane, s'est reproduit dans toute cette fa-
mille, ainsi qu'une expression d'élégance et
de sensualité. La figure de Laurent le Magni-
fique, comme affaisséé par la méditation, se
distingue entre toutes ; elle serait repoussante,
si l'on n'y lisait le chagrin né de sentiments
profonds et si l'on ne se rappelait sa géné-
reuse vie. On entre alors dans la longue ga-
lerie où sont alternées les sculptures païennes
et les peintures chrétiennes. De tant de tra-
vaux, d'aspirations et de souffrances nées du
désir d'exprimer par des formes sensibles les
désirs de l'homme, voilà ce qu'il nous reste :
quelques tableaux et quelques marbres où
nous tâchons de retrouver l'esprit qui les fit
concevoir. On interroge l'histoire, et l'on re-
connaît combien l'art se lie au caractère des
peuples et à leurs institutions. Après les mys-
térieux et impassibles monuments de l'Egypte
sacerdotale, après ses gravures uniformes,
figures d'esclaves aux bras comprimés, appa-
raissent les juvéniles statues de la Grèce
païenne, libres et abandonnées en leur mou-
vement ; puis les statues vulgaires, au front
rusé, de personnages romains qui voyaient
Dans cet admirable livre qu'on.appelle les Jours
de Solitude, Octave Pirmez a caractérisé quelques
peintres de l'ancienne école d'italie en traits d'une
puissance magique. Il y a quinze ans, à l'appari-
tion du livre, nous avons déjà reproduit les pages
qui vont suivre; il nous semble que ce n'est pas
trop de les remettre sous les yeux de nos lecteurs
au lendemain de la mort du grand penseur.