N° 17.
17 Septembre 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. AD. SIRET.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS.
ÉTRANGER : 12 FR.
SOMMAIRE : Littérature. Mort d'Henri Con-
science. — Beaux-Arts. Le salon de Gand. —
Exposition d'art ancien à Malines. — La dernière
maison en bois. •— Chronique générale. — Cabi-
net de la curiosité. — Annonces.
Littérature.
HENRI CONSCIENCE.
Il est mort le 10 de ce mois à l'âge
de près de 72 ans, comblé de gloire et
laissant une traînée lumineuse dans
l'histoire littéraire de notre pays.
Pendant cinquante ans, il a jeté un
éclat qui allait en grandissant, non
pas qu'il fût devenu plus fort dans
ses œuvres mais parce qu'on l'appré-
ciait davantage à mesure que la po-
pularité s'attachait à son nom et à
ses livres et que ceux-ci étaient mieux
compris. Il a vu une imposante ma-
nifestation nationale saluer son la-
beur et son talent; il a eu sa statue
sur une place publique ; puis la mort
l'a frappé. Il a eu tout ce qu'un grand
homme peut ambitionner : la posté-
rité de son vivant.
Ce n'était pas à proprement parler
un génie créateur ; il suppléait à ce
qui lui manquait sous ce rapport par
Un grand sentiment. Il aimait pro-
fondément sa patrie, il la connaissait
bien, il connaissait surtout, jusque
dans ses entrailles, ce grand peuple
flamand dont il fut le poète le plus
aimé en même temps que le plus
ferme soutien.
La vie d'Henri Conscience a coulé
dans ses livres. Ce n'était rien qu'un
littérateur. Il fut administrateur pour
la forme ; tout son être était rebelle à
la routine sociale. Il a fallu pour
qu'il ne mourût pas de faim, que le
Gouvernement eût le tact et la no-
blesse de lui donner une honorable
sinécure : Directeur des Musées de
l'Etat. Il a vécu comme fonctionnaire;
il s'est illustré comme écrivain.
Henri Conscience représentait la
nation flamande dans son passé et
dans son présent. Si l'avenir politique
rend quelque jour à cette nation sa
véritable importance, c'est à Con-
science qu'elle le devra. Ce roman-
cier-historien a plus fait pour la cause
flamande que tous ses adeptes réunis.
Il a tracé d'une main ferme et d'une
plume frémissante, les annales de ce
peuple si souvent méconnu et qui a
toujours revendiqué ses droits avec
une mâle fierté ; il a peint les
mœurs anciennes et modernes de ces
hommes de fer, d'honneur et de foi
qui vivaient simplement dans leurs
foyers ne demandant à Dieu que
le travail et l'amour; il a décrit leurs
misères, leurs gloires, leur existence,
leurs aspirations. A chacun des poè-
mes si doux, si touchants, si vrais,
si intimes qui sortaient de sa
plume, le peuple pleurait de joie ou
de chagrin et bénissait le nom de son
bien-aimé.
ADMINISTRATION ET CORRESPONDANCE
A S'-NICOLAS (BELGIQUE).
Il a produit cent volumes dont
quelques-uns sont des bijoux ciselés
par la douleur, par la bonhomie, par
la simplicité et où brûle un ardent
amour pour la patrie. Ils ont été tra-
duits dans presque toutes les langues,
bien qu'on s'aperçut qu'ils perdaient
en quittant la terre flamande. Comme
écrivain, nul en Belgique ne fut plus
heureux et plus digne de l'être ;
comme homme il a souffert : ainsi
que beaucoup d'autres il a eu des
tombes devant lui... L'amour et l'es-
time de tous ont essuyé ses larmes et
caché ses plaies.
Il a eu tous les honneurs. Après ceux
qu'ildutaupeuple,il futnommé grand
officier de l'ordre de Léopold, mem-
bre de l'académie royale de Belgique,
membre d'honneur de la société des
littérateurs néerlandais. Il était fier
du titre de docteur de l'université de
Louvain.
Chrétien, il a eu foi en Dieu
comme il avait foi dans la gloire; ni
l'un ni l'autre ne lui ont manqué.
Ce fut un homme ! Que sa mémoire
soit en vénération chez tous ; et que
le peuple flamand lui soit éternelle-
ment fidèle.
Ad. Siret.
17 Septembre 1883.
Vingt-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. AD. SIRET.
MEMBRE DE L'ACADÉMIE ROY. DE BELGIQUE, ETC.
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : 9 FRANCS.
ÉTRANGER : 12 FR.
SOMMAIRE : Littérature. Mort d'Henri Con-
science. — Beaux-Arts. Le salon de Gand. —
Exposition d'art ancien à Malines. — La dernière
maison en bois. •— Chronique générale. — Cabi-
net de la curiosité. — Annonces.
Littérature.
HENRI CONSCIENCE.
Il est mort le 10 de ce mois à l'âge
de près de 72 ans, comblé de gloire et
laissant une traînée lumineuse dans
l'histoire littéraire de notre pays.
Pendant cinquante ans, il a jeté un
éclat qui allait en grandissant, non
pas qu'il fût devenu plus fort dans
ses œuvres mais parce qu'on l'appré-
ciait davantage à mesure que la po-
pularité s'attachait à son nom et à
ses livres et que ceux-ci étaient mieux
compris. Il a vu une imposante ma-
nifestation nationale saluer son la-
beur et son talent; il a eu sa statue
sur une place publique ; puis la mort
l'a frappé. Il a eu tout ce qu'un grand
homme peut ambitionner : la posté-
rité de son vivant.
Ce n'était pas à proprement parler
un génie créateur ; il suppléait à ce
qui lui manquait sous ce rapport par
Un grand sentiment. Il aimait pro-
fondément sa patrie, il la connaissait
bien, il connaissait surtout, jusque
dans ses entrailles, ce grand peuple
flamand dont il fut le poète le plus
aimé en même temps que le plus
ferme soutien.
La vie d'Henri Conscience a coulé
dans ses livres. Ce n'était rien qu'un
littérateur. Il fut administrateur pour
la forme ; tout son être était rebelle à
la routine sociale. Il a fallu pour
qu'il ne mourût pas de faim, que le
Gouvernement eût le tact et la no-
blesse de lui donner une honorable
sinécure : Directeur des Musées de
l'Etat. Il a vécu comme fonctionnaire;
il s'est illustré comme écrivain.
Henri Conscience représentait la
nation flamande dans son passé et
dans son présent. Si l'avenir politique
rend quelque jour à cette nation sa
véritable importance, c'est à Con-
science qu'elle le devra. Ce roman-
cier-historien a plus fait pour la cause
flamande que tous ses adeptes réunis.
Il a tracé d'une main ferme et d'une
plume frémissante, les annales de ce
peuple si souvent méconnu et qui a
toujours revendiqué ses droits avec
une mâle fierté ; il a peint les
mœurs anciennes et modernes de ces
hommes de fer, d'honneur et de foi
qui vivaient simplement dans leurs
foyers ne demandant à Dieu que
le travail et l'amour; il a décrit leurs
misères, leurs gloires, leur existence,
leurs aspirations. A chacun des poè-
mes si doux, si touchants, si vrais,
si intimes qui sortaient de sa
plume, le peuple pleurait de joie ou
de chagrin et bénissait le nom de son
bien-aimé.
ADMINISTRATION ET CORRESPONDANCE
A S'-NICOLAS (BELGIQUE).
Il a produit cent volumes dont
quelques-uns sont des bijoux ciselés
par la douleur, par la bonhomie, par
la simplicité et où brûle un ardent
amour pour la patrie. Ils ont été tra-
duits dans presque toutes les langues,
bien qu'on s'aperçut qu'ils perdaient
en quittant la terre flamande. Comme
écrivain, nul en Belgique ne fut plus
heureux et plus digne de l'être ;
comme homme il a souffert : ainsi
que beaucoup d'autres il a eu des
tombes devant lui... L'amour et l'es-
time de tous ont essuyé ses larmes et
caché ses plaies.
Il a eu tous les honneurs. Après ceux
qu'ildutaupeuple,il futnommé grand
officier de l'ordre de Léopold, mem-
bre de l'académie royale de Belgique,
membre d'honneur de la société des
littérateurs néerlandais. Il était fier
du titre de docteur de l'université de
Louvain.
Chrétien, il a eu foi en Dieu
comme il avait foi dans la gloire; ni
l'un ni l'autre ne lui ont manqué.
Ce fut un homme ! Que sa mémoire
soit en vénération chez tous ; et que
le peuple flamand lui soit éternelle-
ment fidèle.
Ad. Siret.