Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
N° 9.

15 Mai 1883.

Vingt-cinquième Annee.

JOURNAL DES BEAUX'ARTS

ET DE LA LITTÉRATURE.

DIRECTEUR : M. Ad. SIRET.

membre de l'académie roy. de belgique, etc.

paraissant deux fois par mois.

PRIX PAR AN : BELGIQUE : g FRANCS.

étranger : 12 fr.

ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE

a s'-Nicolas (Belgique).

SOMMAIRE. Littérature : Octave Pirmez. —
Beaux-Arts. — Beaux-Arts : Exposition de
quelques œuvres de Julius Hubner à Berlin. —
Clara Peeters. — Les collections Jacob de Vos à
Amsterdam. — Chronique générale. — Cabinet
de la curiosité. — Annonces.

Littérature.

OCTAVE PIRMEZ.

Il est mort le noble écrivain, le
brillant philosophe que la France
nous enviait et auquel elle songeait
à ouvrir les portes de l'Institut. Il
est mort en jetant une grande lumière
sur sa patrie qui n'a pas su lui don-
ner un fauteuil à l'Académie, ni met-
tre une croix sur sa poitrine.

Quant à l'académie sa mémoire
pourra s'en consoler; elle arrive seule
à l'immortalité. Quant à la croix il en
a une sur sa tombe.

Cela suffit.

Et maintenant résignons-nous et
pleurons.

« Eh quoi, vous existiez et je l'igno-
rais! » lui écrivait S* René Taillan-
dier à propos de ses Heures de philo-
sophie. La Belgique a été longtemps
dans le même cas et il a fallu que la
France nous donna l'amère leçon de
nous faire remarquer que nous avions
chez nous quelqu'un.

Nous, nous avons fait notre devoir
du jour où notre bonne étoile a mis
entre nos mains les Jours de solitude;
mais réservons • ces souvenirs pour
Un autre moment.

Parlons de lui : le ir mai il nous

écrivait un billet « Quel vilain

temps nous avons ! mais soyons bra-
ves comme les petites fleurs champê-
tres qui fleurissent quand même

Je vais un peu mieux; je pourrai ris-
quer de venir vous voir bientôt

La terre ne veut pas de moi ! »

Ce billet arrivait le matin du 2 mai
entre nos mains.

Pirmez nous parlait encore à nous,
que déjà il n'existait plus...

Depuis plus d'un an il souffrait
d'une faiblesse générale ; des troubles
sérieux s'étaient manifestés dans les
principaux rouages du corps. Grâce
à la science, grâce aux soins d'une
mère admirable, il se guérissait; du
moins on le croyait. Il s'était déjà
promené au soleil et se disposait à
entreprendre un voyage de convales-
cence quand dans la nuit du ir mai
une oppression de poitrine le saisit
et l'emporta.

Il laisse quatre livres imprimés :
Les Feuillées ; Jours de solitude;
Heures de philosophie ; Remo et des
manuscrits dont nous parlerons plus
tard.

C'était une grande âme, elle éclate
partout dans ses œuvres. C'était un
cœur généreux, les larmes des pau-
vres le diront dans leur muette et
triste éloquence. Il était bon, indul-
gent , de relations charmantes. Il
n'avait ni colère, ni haine, ni mépris.
Il s'attachait difficilement mais quand
cela arrivait c'était une sorte de culte
pour l'objet de son affection ou de
son respect.

Il vivait seul dans son beau et som-
bre château d'Acoz où sa mère véné-
rée était venue s'établir en voyant
son enfant dépérir. Il philosophait
sous les vieux arbres de son bois de
Monplaisir, étudiant la nature dans
les plus petites de ses manifestations
et enthousiaste jusqu'à la folie en face
de la création. Fort et bien bâti, il
aimait la chasse ; il lui doit, peut être
hélas ! le germe de ses souffrances et
de sa mort. Il a beaucoup voyagé en
misanthrope, notant ses impressions
dont il a fait une magnifique gerbe
dans ses Jours. Il avait un frère, riche
et puissante nature, qui mourut jeune

et à la mémoire duquel il a élevé un
monument appelé ; Remo. Admira-
blement doué sous tous les rapports, il
connaissait tous les arts mais ne se
perfectionna dans aucun. Il dessinait
d'une façon étrange d'après ce qu'il
voyait,saisissant la chose aiguë. Nous
avons de lui des centaines de croquis
typiques. Il aimait passionnément la
musique, presque avec douleur. Il
jouait du violon à la manière mys-
tique et hystérique des Tsiganes, à
briser l'instrument. 11 raisonnait art
statuaire d'une façon magistrale, c'é-
tait comme s'il sculptait en parlant. Il
fuyait le monde et ses dehors et l'on
devine facilement à la lecture de ses
œuvres qu'il aimait à se sauver en
lui-même des conventions et des pré-
jugés.

La religion, l'amour, l'amitié, l'art
et en général tout ce qui relève du sen-
timent, a fait de sa part l'objet de dé-
finitions charmantes qu'on retrou-
vera dans ses livres comme, du reste,
l'homme tout entier. L'ensemble de
son œuvre est d'une grandeur triste ;
il a le tourment naïf de la perfection
et cette soif, jamais apaisée, de l'infi-
nie beauté, donne à sa prose, dans
quelques circonstances, une vibra-
tion mélancolique. Dans ses Feuillées
il a le trait court et juste. Dans ses
Jours c'est un artiste rempli de Dieu.
Dans ses Heures c'est un philosophe
naturaliste et dans Remo c'est un
psychologue d'une rare pénétration.

Que sera-t-il dans ses travaux iné-
dits?

Va, mort aimé, dans cette autre
patrie dont nous avons si souvent
parlé; va chercher la liberté, la paix
et surtout la justice. Ton ami t'y re-
joindra bientôt.

Adolphe Siret.

2 mai 1883.
 
Annotationen