N# 6. 31 Mars 1883. Vin&t-cinquième Annee.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET.
membre de l'academie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Littérature : Notre jeune école
littéraire. — Entrefilet. — Beaux-Arts : La
villa des Pisons à Herculanum.— Pieter Claeset
Clara Peeters.— Monument Navez. —Industries
d'art en péril. — Le triomphe de l'Eglise. — Le
bulletin Rubens. — Chronique générale. —
Dictionnaire des peintres. — Annonces.
Littérature.
notke jeune école littéraire.
M. F. Loise vient de réunir dans une bro-
chure élégante, les articles publiés dans le
journal des gens de lettres belges, sous le
titre général de : Une campagne contre le na-
turalisme. Ce travail d'un homme de grand
talent et de cœur vient au bon moment. Eu
cllet, notre nouvelle couche littéraire s'est
depuis quelque temps révélée par un prurit
de naturalisme excessif des plus accentués.
Nous ne demandons pas mieux que de voir
de hardis novateurs essayer de pousser hors
des ornières nos habitudes littéraires et de
chercher à infuser dans nos veines un peu de
cette vie ardente qui circule dans le monde
moderne. Nous avons nous-mêmes, dans la
mesure qui nous paraissait digne, sympathisé
effectivement avec ces tendances. Aujourd'hui,
disons-le sans détour, la jeune école dépasse
les bornes et tombe du côté où elle penche.
Qu'elle y prenne garde : elle compromet sa
mission où elle entrait radieuse. La certitude
d'un succès qu'elle a étourdiment escompté
par de mutuelles admirations, lui a tourné la
tête et nous allons assister à l'évanouissement
de tant de belles promesses.il en est temps en-
core, qu'elle se relève du dessous des niveaux
où elle cherche sa vie, qu'elle cultive chez
nous un naturalisme de bon aloi et de haut
goût donnant à notre littérature une origina-
lité qui lui a toujours manquée et qu'elle
sorte au plus vite de ce bestialisme sensuel où
elle se vautre et où elle a déjà rencontré le
mépris et le dégoût.
Nous ne visons personne en particulier
parce que nous aimons les coupables ; nous
savons les trésors d'énergie.et d'intelligence
qui sont en eux, nous savons que s'ils le vou-
laient ils donneraient à notre patrie un valeur
littéraire qui frapperait les plus incrédules
et les plus prévenus ; nous savons qu'il y a en
eux une puissance et une volonté de nature à
créer chez nous ce monde des lettres auquel
nous travaillons sans succès depuis cinquante
ans, et c'est parce que nous savons tout cela
que notre tristesse est grande de voir avec
quelle inconcevable légèreté, cette jeune mi-
lice se jette dans la mêlée.
M. Loise, avec le ton d'autorité que lui
donnent sa position, sa vie littéraire, ses
succès et son talent, s'attache à combattre les
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS
étranger : 1 2 fr
tendances de cette jeune école qu'il analyse
en apportant dans son travail une indignation
chaleureuse. Notre rôle à nous est plus mo-
deste, mais peut-être plus fraternel. Nous
avons dit simplement et cruement la vérité à
ces vaillants soldats, aveugles et généreux,
qui vont tout droit au désastre alors qu'ils
avaient devant eux la victoire.
Ad. s.
Nous sommes en retard de dire notre
opinion sur deux livres importants parus
l'année dernière : VHistoire clés arts en Bel-
gique depuis cinquante ans, par C. Lemonnier
et l'Art est rationnel, de E. Leclercq. Notre
excuse est dans le caractère sérieux même
de ces livres qui peuvent attendre et ne de-
mandent point leur succès à l'actualité.
Nous nous en occuperons du reste inces-
samment ainsi que d'une nouvelle production
de M. Emile Leclerq : La beauté dans la na-
tuie et dans l'art.
Puisque nous y sommes, il nous sera per-
mis de déclarer ici que nous ne nous croyons
pas obligés de rendre compte de tous les
livres qu'on nous envoie. Nous disons cela k
propos de quelques publications récemment
déposées dans les bureaux du Journal et au
sujet desquelles nous voulons garder le si-
lence.
Beaux-Arts.
LA VILLA DES PISONS
A HERGULANUM,
3A BIBLIOTHÈQUE ET SES ŒUVRES D'ART.
La villa Ercolanese dei Pisoni i snoi
monumenti e la sua biblioteca, ricerche e
notifie : sous ce titre, MM. Domenico Com-
paretti et Giulio de Petra ont publié,le mois
passé, chez l'éditeur Ermanno Loescher
(Rome, Florence et Turin) un superbe in-fol.
texte italien, de VII, 296 pages,ornédeXXIV
planches phototypiques. Cet ouvrage, an-
noncé depuis bientôt quatre ans, était impa-
tiemment attendu des lettrés et des archéolo-
gues.
Il s'agit en effet d'une monographie de la
célèbre villa, voisine d'Herculanum, où l'on
découvrit, en 1752, la fameuse bibliothèque
antique riche de trois mille volumes (1). Un
(1) Les rouleaux découverts étaient absolument
carbonisés et on les gaspilla d'abord en les emportant
sans aucune précaution, le mal était irréparable quand
on reconnut, enfin, quelle importante trouvaille on
avait faite. Sur trois mille manuscrits environ on en
a conservé dix-huit cents à peine. Les minces bandes
d'écorce de papyrus, collées l'une à l'autre, et conte •
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
peu plus de la moitié est conservée dans
l'une des salles du premier étage du Musée
de Naples; la vitrine où sont exposés les pa-
pyri carbonisés par le Vésuve, rivalise d'at-
traction pour les visiteurs avec celle où l'on
voit le crâne, un bras et l'empreinte en lave
du sein d'une jeune fille découverts à Pom-
péi, dans la villa d'Arrius Diomède.
Pour donner une idée de l'importance de
ce beau volume, nous traduirons pour les
lecteurs du Journal des Beaux-Arts, en y
joignant des notes explicatives, la préface du
travail de MM. Comparetti et de Petra.
« Le vaste édifice « herculanéen, » commu-
nément appelé Casa di campagna ou Villa
dei Papiri, découvert au siècle dernier, fut
exploré sinon totalement, au moins pour la
plus grande partie, durant l'espace de onze
années, de iy5o à 1761.
Selon l'usage alors suivi dans ces excava-
tions, on ne cherchait pas à remettre au jour
l'édifice même, comme on le faisait autrefois
et comme on a toujours continué à le prati-
quer aux fouilles de Pompéï ; on tâchait seu-
lement d'y pénétrer et de le parcourrir en
divers sens au moyen de passages ou de ga-
leries souterraines. Tous les objets transpor-
tables que l'on découvrait étaient extraits et
enlevés, on relevait la situation des diverses
localités que l'on venait d'explorer, ainsi que
le plan de l'édifice ; puis, quand pour l'une ou
l'autre raison on croyait quelque jour devoir
arrêter les fouilles, les galeries étaient com-
blées de nouveau et l'édifice condamné à re-
devenir souterrain comme il l'avait été durant
tant de siècles.
Les relevés, les notices, les rapports journa-
nant chacune une colonne d'écriture, étaient roulées
autour de baguettes de bois ; on peut donc facilement
se figurer quelle peine on a eue à dérouler toutes ces
feuilles fragiles. Après une foule d'essais infructueux,
le père Piaggi inventa une machine fort ingénieuse
— nous en avons vu fonctionner plusieurs modèles
au Musée de Naples — au moyen de laquelle on
est parvenu à dérouler peu à peu les papyrus. Ce
qu'on a pu en déchiffrer, a été publié en taille-douce
dans les Volumina Heracleensia ; environ le tiers des
dix-huit cents. On reconnaît plus ou moins distincte-
ment les traits noirs de l'écriture sur le fond bruni
du papyrus. Cette bibliothèque appartenait à un par-
tisan de la philosophie d'Epicure; ce sont des œuvres
en langue grecque de Philodemès — contemporain de
Cicéron — sur la Nature, la Rhétorique, la Musique,
etc., ajoutons que les écrits qu'on a pu rétablir jus-
qu'à présent sont d'un intérêt relativement secondaire.
JOURNAL DES BEAUX-ARTS
ET DE LA LITTÉRATURE.
DIRECTEUR: M. Ad. SIRET.
membre de l'academie roy. de belgique, etc.
SOMMAIRE. Littérature : Notre jeune école
littéraire. — Entrefilet. — Beaux-Arts : La
villa des Pisons à Herculanum.— Pieter Claeset
Clara Peeters.— Monument Navez. —Industries
d'art en péril. — Le triomphe de l'Eglise. — Le
bulletin Rubens. — Chronique générale. —
Dictionnaire des peintres. — Annonces.
Littérature.
notke jeune école littéraire.
M. F. Loise vient de réunir dans une bro-
chure élégante, les articles publiés dans le
journal des gens de lettres belges, sous le
titre général de : Une campagne contre le na-
turalisme. Ce travail d'un homme de grand
talent et de cœur vient au bon moment. Eu
cllet, notre nouvelle couche littéraire s'est
depuis quelque temps révélée par un prurit
de naturalisme excessif des plus accentués.
Nous ne demandons pas mieux que de voir
de hardis novateurs essayer de pousser hors
des ornières nos habitudes littéraires et de
chercher à infuser dans nos veines un peu de
cette vie ardente qui circule dans le monde
moderne. Nous avons nous-mêmes, dans la
mesure qui nous paraissait digne, sympathisé
effectivement avec ces tendances. Aujourd'hui,
disons-le sans détour, la jeune école dépasse
les bornes et tombe du côté où elle penche.
Qu'elle y prenne garde : elle compromet sa
mission où elle entrait radieuse. La certitude
d'un succès qu'elle a étourdiment escompté
par de mutuelles admirations, lui a tourné la
tête et nous allons assister à l'évanouissement
de tant de belles promesses.il en est temps en-
core, qu'elle se relève du dessous des niveaux
où elle cherche sa vie, qu'elle cultive chez
nous un naturalisme de bon aloi et de haut
goût donnant à notre littérature une origina-
lité qui lui a toujours manquée et qu'elle
sorte au plus vite de ce bestialisme sensuel où
elle se vautre et où elle a déjà rencontré le
mépris et le dégoût.
Nous ne visons personne en particulier
parce que nous aimons les coupables ; nous
savons les trésors d'énergie.et d'intelligence
qui sont en eux, nous savons que s'ils le vou-
laient ils donneraient à notre patrie un valeur
littéraire qui frapperait les plus incrédules
et les plus prévenus ; nous savons qu'il y a en
eux une puissance et une volonté de nature à
créer chez nous ce monde des lettres auquel
nous travaillons sans succès depuis cinquante
ans, et c'est parce que nous savons tout cela
que notre tristesse est grande de voir avec
quelle inconcevable légèreté, cette jeune mi-
lice se jette dans la mêlée.
M. Loise, avec le ton d'autorité que lui
donnent sa position, sa vie littéraire, ses
succès et son talent, s'attache à combattre les
PARAISSANT DEUX FOIS PAR MOIS.
PRIX PAR AN : BELGIQUE : q FRANCS
étranger : 1 2 fr
tendances de cette jeune école qu'il analyse
en apportant dans son travail une indignation
chaleureuse. Notre rôle à nous est plus mo-
deste, mais peut-être plus fraternel. Nous
avons dit simplement et cruement la vérité à
ces vaillants soldats, aveugles et généreux,
qui vont tout droit au désastre alors qu'ils
avaient devant eux la victoire.
Ad. s.
Nous sommes en retard de dire notre
opinion sur deux livres importants parus
l'année dernière : VHistoire clés arts en Bel-
gique depuis cinquante ans, par C. Lemonnier
et l'Art est rationnel, de E. Leclercq. Notre
excuse est dans le caractère sérieux même
de ces livres qui peuvent attendre et ne de-
mandent point leur succès à l'actualité.
Nous nous en occuperons du reste inces-
samment ainsi que d'une nouvelle production
de M. Emile Leclerq : La beauté dans la na-
tuie et dans l'art.
Puisque nous y sommes, il nous sera per-
mis de déclarer ici que nous ne nous croyons
pas obligés de rendre compte de tous les
livres qu'on nous envoie. Nous disons cela k
propos de quelques publications récemment
déposées dans les bureaux du Journal et au
sujet desquelles nous voulons garder le si-
lence.
Beaux-Arts.
LA VILLA DES PISONS
A HERGULANUM,
3A BIBLIOTHÈQUE ET SES ŒUVRES D'ART.
La villa Ercolanese dei Pisoni i snoi
monumenti e la sua biblioteca, ricerche e
notifie : sous ce titre, MM. Domenico Com-
paretti et Giulio de Petra ont publié,le mois
passé, chez l'éditeur Ermanno Loescher
(Rome, Florence et Turin) un superbe in-fol.
texte italien, de VII, 296 pages,ornédeXXIV
planches phototypiques. Cet ouvrage, an-
noncé depuis bientôt quatre ans, était impa-
tiemment attendu des lettrés et des archéolo-
gues.
Il s'agit en effet d'une monographie de la
célèbre villa, voisine d'Herculanum, où l'on
découvrit, en 1752, la fameuse bibliothèque
antique riche de trois mille volumes (1). Un
(1) Les rouleaux découverts étaient absolument
carbonisés et on les gaspilla d'abord en les emportant
sans aucune précaution, le mal était irréparable quand
on reconnut, enfin, quelle importante trouvaille on
avait faite. Sur trois mille manuscrits environ on en
a conservé dix-huit cents à peine. Les minces bandes
d'écorce de papyrus, collées l'une à l'autre, et conte •
ADMINISTRATION et CORRESPONDANCE
a s'-nicolas (Belgique).
peu plus de la moitié est conservée dans
l'une des salles du premier étage du Musée
de Naples; la vitrine où sont exposés les pa-
pyri carbonisés par le Vésuve, rivalise d'at-
traction pour les visiteurs avec celle où l'on
voit le crâne, un bras et l'empreinte en lave
du sein d'une jeune fille découverts à Pom-
péi, dans la villa d'Arrius Diomède.
Pour donner une idée de l'importance de
ce beau volume, nous traduirons pour les
lecteurs du Journal des Beaux-Arts, en y
joignant des notes explicatives, la préface du
travail de MM. Comparetti et de Petra.
« Le vaste édifice « herculanéen, » commu-
nément appelé Casa di campagna ou Villa
dei Papiri, découvert au siècle dernier, fut
exploré sinon totalement, au moins pour la
plus grande partie, durant l'espace de onze
années, de iy5o à 1761.
Selon l'usage alors suivi dans ces excava-
tions, on ne cherchait pas à remettre au jour
l'édifice même, comme on le faisait autrefois
et comme on a toujours continué à le prati-
quer aux fouilles de Pompéï ; on tâchait seu-
lement d'y pénétrer et de le parcourrir en
divers sens au moyen de passages ou de ga-
leries souterraines. Tous les objets transpor-
tables que l'on découvrait étaient extraits et
enlevés, on relevait la situation des diverses
localités que l'on venait d'explorer, ainsi que
le plan de l'édifice ; puis, quand pour l'une ou
l'autre raison on croyait quelque jour devoir
arrêter les fouilles, les galeries étaient com-
blées de nouveau et l'édifice condamné à re-
devenir souterrain comme il l'avait été durant
tant de siècles.
Les relevés, les notices, les rapports journa-
nant chacune une colonne d'écriture, étaient roulées
autour de baguettes de bois ; on peut donc facilement
se figurer quelle peine on a eue à dérouler toutes ces
feuilles fragiles. Après une foule d'essais infructueux,
le père Piaggi inventa une machine fort ingénieuse
— nous en avons vu fonctionner plusieurs modèles
au Musée de Naples — au moyen de laquelle on
est parvenu à dérouler peu à peu les papyrus. Ce
qu'on a pu en déchiffrer, a été publié en taille-douce
dans les Volumina Heracleensia ; environ le tiers des
dix-huit cents. On reconnaît plus ou moins distincte-
ment les traits noirs de l'écriture sur le fond bruni
du papyrus. Cette bibliothèque appartenait à un par-
tisan de la philosophie d'Epicure; ce sont des œuvres
en langue grecque de Philodemès — contemporain de
Cicéron — sur la Nature, la Rhétorique, la Musique,
etc., ajoutons que les écrits qu'on a pu rétablir jus-
qu'à présent sont d'un intérêt relativement secondaire.