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Naquet, Félix: Salon de 1890: la sculpture
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0014
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L’ART.
trop penser au rivage où, selon Préault, abordait Pradier, les jours où il s’était embarqué pour
Athènes. Cette « jeunesse », si sûre de son fait, semble une favorite hère du pouvoir qu’elle
exerce ; on peut, en la considérant, étudier la différence qui existe entre une déesse, dont le
métier est d’être nue, et une courtisane, dont le métier est d’être déshabillée.
La foule se bouscule constamment autour de la statue de M. Gérome, qui expose ailleurs un
bon buste en bronze, de M. Lavoix, le savant que tout Paris connaît, orientaliste fort distingué,
conservateur au Cabinet des médailles, de plus l’un des lecteurs de la Comédie, aimable homme
d’esprit qui a le masque d’un de nos intelligents Français du xvine siècle, d’un ami de d’Alem-
bert et de Condorcet, rédacteur de l’Encyclopédie. — Dans son grand marbre, M. Gêrome s’est
proposé de représenter par un symbole Tanagra, la cité béotienne, d’où nous sont venues ces
figurines, moins achevées sans doute que celles d’Asie Mineure, mais d'ailleurs délicieuses, et
dont le Louvre possède, dans deux vitrines, des spécimens accomplis. Assise, la Tanagra de
M. Géi orne tient en main une statuette. A ses
pieds, près de l’instrument qui vient de servir à
fouiller le sol, sortent à demi de terre ces gra-
cieuses terres cuites, déesses et femmes, casquées
ou voilées, peintes et dorées, qui pourraient servir
à l’illustration des Dialogues des courtisanes et
autres jolis legs de l’Antiquité amusante. La statue
de M. Gérome est couverte d’une légère teinte de
chair, plus rosée à l'extrémité des seins. Les mau-
vais plaisants prétendent que c’est la meilleure
peinture de l’auteur. Quelques personnes regrettent
que le visage rappelle un peu trop la poupée de
Coppélius. On peut observer aussi que le dos,
dont la partie supérieure est traitée avec tant de
précision, est trop dépourvu d’étoffe dans la région
basse où cette partie du corps change de nom.
AL Pierre Rambaud nous offre une Nymphe
des bois, tenant une flûte à plusieurs tuyaux ; svelte
figure, d’une élégance hellénique, qu'il faudrait
regarder en lisant la page exquise où Longus nous
conte l'histoire de Syringe.
Il y a, à tous les Salons de sculpture, une
Léda; les loustics soutiennent que c’est dans les
statuts. La Léda de cette année, debout auprès
du cygne qui commence son « thème » (selon
l’expression de Beaumarchais dans un couplet libertin), en lui posant son bec sur la cuisse, a été
sculptée avec talent par M. Roulleau. —- Le groupe de M. Jean Escoula, la Mort de Procris,
est d’une structure habile, d’un beau mouvement, d’un caractère très pur. Quant au Brennus, de
AI. Gauquié, vêtu sommairement d'un simple ceinturon, il s’apprête à jeter, d’un geste qui n’est
pas sans grandeur, son pesant glaive barbare dans la balance romaine.
Les Jeanne d’Arc sont toujours nombreuses, hélas! Cela sert du moins à nous faire mesurer
quel intervalle, bien plus long qu’un siècle ordinaire, nous sépare du temps où Voltaire célébrait
pour la Pucelle un certain « office en vers de dix syllabes ».
Gustave Flaubert est aujourd’hui jugé « surfait » par beaucoup de gens, entre lesquels il
faut placer AI. Brunetière. Sans aller aussi loin que Mérimée qui déclarait préférer la Cuisinière
bourgeoise à Salammbô, plusieurs personnes aiment mieux lire Gil Blas que / Éducation senti-
mentale, et, avec Scarmentado et Babouc, se consolent de ne point goûter Bouvard et Pécuchet.
Néanmoins, l’auteur cYHérodïas compte de nombreux fanatiques. Ceux-là seront satisfaits du
monument funéraire et commémoratif, exécuté par M. Chapu. La combinaison de l’ensemble est
Esquisse pour un monument a François Rude.
Dessin de L. Le Riverend,
d’après le groupe en bronze de Christophe. — (Salon de 1890.)
L’ART.
trop penser au rivage où, selon Préault, abordait Pradier, les jours où il s’était embarqué pour
Athènes. Cette « jeunesse », si sûre de son fait, semble une favorite hère du pouvoir qu’elle
exerce ; on peut, en la considérant, étudier la différence qui existe entre une déesse, dont le
métier est d’être nue, et une courtisane, dont le métier est d’être déshabillée.
La foule se bouscule constamment autour de la statue de M. Gérome, qui expose ailleurs un
bon buste en bronze, de M. Lavoix, le savant que tout Paris connaît, orientaliste fort distingué,
conservateur au Cabinet des médailles, de plus l’un des lecteurs de la Comédie, aimable homme
d’esprit qui a le masque d’un de nos intelligents Français du xvine siècle, d’un ami de d’Alem-
bert et de Condorcet, rédacteur de l’Encyclopédie. — Dans son grand marbre, M. Gêrome s’est
proposé de représenter par un symbole Tanagra, la cité béotienne, d’où nous sont venues ces
figurines, moins achevées sans doute que celles d’Asie Mineure, mais d'ailleurs délicieuses, et
dont le Louvre possède, dans deux vitrines, des spécimens accomplis. Assise, la Tanagra de
M. Géi orne tient en main une statuette. A ses
pieds, près de l’instrument qui vient de servir à
fouiller le sol, sortent à demi de terre ces gra-
cieuses terres cuites, déesses et femmes, casquées
ou voilées, peintes et dorées, qui pourraient servir
à l’illustration des Dialogues des courtisanes et
autres jolis legs de l’Antiquité amusante. La statue
de M. Gérome est couverte d’une légère teinte de
chair, plus rosée à l'extrémité des seins. Les mau-
vais plaisants prétendent que c’est la meilleure
peinture de l’auteur. Quelques personnes regrettent
que le visage rappelle un peu trop la poupée de
Coppélius. On peut observer aussi que le dos,
dont la partie supérieure est traitée avec tant de
précision, est trop dépourvu d’étoffe dans la région
basse où cette partie du corps change de nom.
AL Pierre Rambaud nous offre une Nymphe
des bois, tenant une flûte à plusieurs tuyaux ; svelte
figure, d’une élégance hellénique, qu'il faudrait
regarder en lisant la page exquise où Longus nous
conte l'histoire de Syringe.
Il y a, à tous les Salons de sculpture, une
Léda; les loustics soutiennent que c’est dans les
statuts. La Léda de cette année, debout auprès
du cygne qui commence son « thème » (selon
l’expression de Beaumarchais dans un couplet libertin), en lui posant son bec sur la cuisse, a été
sculptée avec talent par M. Roulleau. —- Le groupe de M. Jean Escoula, la Mort de Procris,
est d’une structure habile, d’un beau mouvement, d’un caractère très pur. Quant au Brennus, de
AI. Gauquié, vêtu sommairement d'un simple ceinturon, il s’apprête à jeter, d’un geste qui n’est
pas sans grandeur, son pesant glaive barbare dans la balance romaine.
Les Jeanne d’Arc sont toujours nombreuses, hélas! Cela sert du moins à nous faire mesurer
quel intervalle, bien plus long qu’un siècle ordinaire, nous sépare du temps où Voltaire célébrait
pour la Pucelle un certain « office en vers de dix syllabes ».
Gustave Flaubert est aujourd’hui jugé « surfait » par beaucoup de gens, entre lesquels il
faut placer AI. Brunetière. Sans aller aussi loin que Mérimée qui déclarait préférer la Cuisinière
bourgeoise à Salammbô, plusieurs personnes aiment mieux lire Gil Blas que / Éducation senti-
mentale, et, avec Scarmentado et Babouc, se consolent de ne point goûter Bouvard et Pécuchet.
Néanmoins, l’auteur cYHérodïas compte de nombreux fanatiques. Ceux-là seront satisfaits du
monument funéraire et commémoratif, exécuté par M. Chapu. La combinaison de l’ensemble est
Esquisse pour un monument a François Rude.
Dessin de L. Le Riverend,
d’après le groupe en bronze de Christophe. — (Salon de 1890.)