SALON DE i 8go .
5
d’une parfaite élégance; nous y voyons une femme nue, à la chevelure flottante, assise sur une
base, où retombe et se plisse une draperie. D’une main elle feuillette un livre; de l’autre elle
tient une plume avec laquelle elle vient d’écrire les titres de ces ouvrages dont M. Maxime du
Camp nous a conté l’enfantement laborieux. Auprès d’elle, un arbuste étale contre le roc sa
végétation délicate. A ses pieds est un miroir. Au-dessus, l’on aperçoit, de face, la tête de
Flaubert, assez vulgaire figure, somme toute, et qui, avec ses grosses moustaches, rappelle un
peu le type gaulois, ou pour mieux dire, le type du Gaulois de convention. On a peine à croire
que les visions et les fantasmagories de la Tentation de saint Antoine aient pu passer par cette
tète-là. Voilà l’homme qui se vantait, dans une lettre à G. Sand, d’avoir été jadis empereur
d’Orient! Du moins faut-il convenir qu'il n’avait guère ce que les comédiens nomment « le
physique de l’emploi », et que, sous ce règne,
les monnaies, ornées de son profil, ne devaient
pas être fort agréables à regarder.
M. Christophe, qui, l’an dernier, nous
avait émerveillés par une œuvre si haute et si
inspirée, a envoyé cette année une intéres-
sante esquisse d’un monument votif dédié à
son maître Rude. On y voit le grand sculp-
teur, avec sa barbe de fleuve, travaillant à
l'une des figures de l'Arc de triomphe.
Il y a beaucoup de talent dans l'ouvrage
de M. Coutan, destiné au tombeau de
Mme Louise Herbette. Cette femme assise, en
long voile, en robe ample, est traitée avec
une largeur et une souplesse peu ordinaires;
sans aucune recherche déclamatoire, l'artiste
arrive à l’effet.
M. Delaplanche a composé et sculpté,
pour la sépulture du cardinal Donnet, un
monument d’une noble tenue, qui mérite d’oc-
cuper un bon rang dans la série, fort riche,
de la sculpture française funéraire. Le défunt
est représenté agenouillé sur un coussin, en
habits pontificaux, avec le manteau cardinalice.
Devant lui gisent la mitre et la crosse. Dans
la partie basse, on voit d'un côté la Foi,
tenant le calice surmonté de l'hostie ; de
l’autre la Charité, portant un enfant sur un bras, et donnant la main à un autre enfant.
M. Barrias a modelé une charmante figure destinée au monument de Guillaumet : une petite
Arabe d’Afrique, accroupie, les cheveux tressés sous sa coiffure algérienne, les bras nus, habillée
de souples étoffes agrafées par des joailleries orientales, et jetant des fleurs sur le tombeau. Cette
statue magistralement traitée symbolise à merveille l'Orient et ses races, avec ce que de longs
siècles voués à la vie nomade, à l’existence du désert et de la tente, leur ont laissé sur le visage
d’énigmatique et d’indéchiffrable.
M. Albert-Lefeuvre a sculpté deux figures d’une hère allure : le Droit et le Devoir ; deux
jeunes hommes frères par le type et la prestance ; d’un côté la toge, de l’autre les armes. L’un,
coiffé à l’antique, serre un rouleau de parchemin entre ses doigts; l’autre est un svelte guerrier,
portant une cuirasse pareille à celles que Mantegna aimait à peindre, et tenant d'une seule main
l’épée et le bouclier.
Dans A la terre, de M. Boucher (un homme qui travaille le sol avec une pelle), il y a
beaucoup de puissance et de vigueur. (Notons à ce propos que le catalogue, riche en défectuo-
M"'° la Comtesse de Vogué.
Dessin de M. G. Coutan, d’après le buste en cire de Mraa Coutan
(Laure Martin). — (Salon de 1890.)
5
d’une parfaite élégance; nous y voyons une femme nue, à la chevelure flottante, assise sur une
base, où retombe et se plisse une draperie. D’une main elle feuillette un livre; de l’autre elle
tient une plume avec laquelle elle vient d’écrire les titres de ces ouvrages dont M. Maxime du
Camp nous a conté l’enfantement laborieux. Auprès d’elle, un arbuste étale contre le roc sa
végétation délicate. A ses pieds est un miroir. Au-dessus, l’on aperçoit, de face, la tête de
Flaubert, assez vulgaire figure, somme toute, et qui, avec ses grosses moustaches, rappelle un
peu le type gaulois, ou pour mieux dire, le type du Gaulois de convention. On a peine à croire
que les visions et les fantasmagories de la Tentation de saint Antoine aient pu passer par cette
tète-là. Voilà l’homme qui se vantait, dans une lettre à G. Sand, d’avoir été jadis empereur
d’Orient! Du moins faut-il convenir qu'il n’avait guère ce que les comédiens nomment « le
physique de l’emploi », et que, sous ce règne,
les monnaies, ornées de son profil, ne devaient
pas être fort agréables à regarder.
M. Christophe, qui, l’an dernier, nous
avait émerveillés par une œuvre si haute et si
inspirée, a envoyé cette année une intéres-
sante esquisse d’un monument votif dédié à
son maître Rude. On y voit le grand sculp-
teur, avec sa barbe de fleuve, travaillant à
l'une des figures de l'Arc de triomphe.
Il y a beaucoup de talent dans l'ouvrage
de M. Coutan, destiné au tombeau de
Mme Louise Herbette. Cette femme assise, en
long voile, en robe ample, est traitée avec
une largeur et une souplesse peu ordinaires;
sans aucune recherche déclamatoire, l'artiste
arrive à l’effet.
M. Delaplanche a composé et sculpté,
pour la sépulture du cardinal Donnet, un
monument d’une noble tenue, qui mérite d’oc-
cuper un bon rang dans la série, fort riche,
de la sculpture française funéraire. Le défunt
est représenté agenouillé sur un coussin, en
habits pontificaux, avec le manteau cardinalice.
Devant lui gisent la mitre et la crosse. Dans
la partie basse, on voit d'un côté la Foi,
tenant le calice surmonté de l'hostie ; de
l’autre la Charité, portant un enfant sur un bras, et donnant la main à un autre enfant.
M. Barrias a modelé une charmante figure destinée au monument de Guillaumet : une petite
Arabe d’Afrique, accroupie, les cheveux tressés sous sa coiffure algérienne, les bras nus, habillée
de souples étoffes agrafées par des joailleries orientales, et jetant des fleurs sur le tombeau. Cette
statue magistralement traitée symbolise à merveille l'Orient et ses races, avec ce que de longs
siècles voués à la vie nomade, à l’existence du désert et de la tente, leur ont laissé sur le visage
d’énigmatique et d’indéchiffrable.
M. Albert-Lefeuvre a sculpté deux figures d’une hère allure : le Droit et le Devoir ; deux
jeunes hommes frères par le type et la prestance ; d’un côté la toge, de l’autre les armes. L’un,
coiffé à l’antique, serre un rouleau de parchemin entre ses doigts; l’autre est un svelte guerrier,
portant une cuirasse pareille à celles que Mantegna aimait à peindre, et tenant d'une seule main
l’épée et le bouclier.
Dans A la terre, de M. Boucher (un homme qui travaille le sol avec une pelle), il y a
beaucoup de puissance et de vigueur. (Notons à ce propos que le catalogue, riche en défectuo-
M"'° la Comtesse de Vogué.
Dessin de M. G. Coutan, d’après le buste en cire de Mraa Coutan
(Laure Martin). — (Salon de 1890.)