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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Patoux, Abel: Ulysse Butin, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0029

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i8

L’ART.

dames et ces beaux messieurs, bons à rien, ne faisant œuvre
de leurs dix doigts, tandis qu’eux, les pêcheurs, passent
leur vie sur la mer, qui les guette comme une proie, à se
battre contre le vent et le flot, et que les femmes, traînant
après elles des ribambelles de marmailles, se mettent à
l’eau jusqu’aux aisselles, par tous les temps, pour pêcher
les sauterelles ou pousser les bateaux. C’est cette popula-
tion que Butin s’efforça de faire voir et de montrer dans
ses toiles.

Pour cette partie de sa tâche, il était tout armé par ses
études antérieures. Ses rares qualités de dessinateur, la
justesse de son coup d’œil, sa précision dans la recherche
et le rendu de la forme, lui firent voir aussitôt tout le parti
qu’il y avait à tirer pour un peintre habile et sincère de
ces pêcheuses de moules et de crevettes, à la stature élevée,
à la carrure solide, à la démarche aisée, harmonieuse et
rythmée par le fardeau allègrement porté, vêtues de lourds
jupons de laine, dont les plis tombent droits comme ceux
des statues antiques.

Son premier tableau : les Pê-
cheuses de moules, fut remarqué ;
mais il était triste et noir, et le
succès ne fut pas décisif.

C’était en 1874, et il annonce
ainsi son admission au Salon à son
ami Jules Leroy.

« Je n’écris plus à personne,
dit-il, mais ce n’est pas manque de
bonne volonté. C'est le petit Jean
qui prend ma plume pour faire des
bonshommes ! Et il me la casse à
chaque fois. Je suis même obligé
de me lever le matin avec le soleil
pour trouver le moment propice.

« J’ai envoyé un tableau au
Salon, celui dont j’avais fait l’es-
quisse à Villerville : les Pêcheuses
de moules.

« Le jury a encore été plus
sévère cette année que l’année der-
nière. Malgré cela, j’ai été reçu
avec un n° 2, ce qui est bon signe
pour le placement.

« C’est malheureusement dans
la catégorie des refusés qu’est com-
pris le pauvre S..., qui vient de
m’écrire une lettre désolée, dans
laquelle il m’invite à aller réclamer
près de M. Chennevière. Si je fai-
sais cela, M. Chennevière me regarderait d’un air fort
ahuri, et me dirait tout bêtement que cela ne le regarde
pas. Refusé ou admis, c’est l’œuvre du jury, et non pas
de l’administration. Pour moQc’est injuste de refuser S...
comme portraitiste. Il y aura la moitié des portraits reçus
qui ne vaudront pas le sien. Mais voilà son tort; je l’avais
prévenu : les envois de province sont flanqués en bas,
dans les écuries, exposés dans la poussière pendant six
semaines, et vus en bloc comme des bottes de navets.
Tant qu’il ne fera pas venir ici ses tableaux, il est exposé
à ne pas être même vu individuellement. Il passe dans le
tas des ignominies qui abondent dans cette catégorie. Un
bon tableau au milieu de cent mauvais est mauvais aussi ;
qu’il s’en souvienne.

« Les bains de mer sont encore recommandés à ma
femme, qui n’est pas forte.

« Des leçons m’attendent là-bas, et un tableau que je
vais faire pour le Salon prochain. Au mois de septembre,
le 15, un voyage en Touraine, chez une élève : quinze

jours. Après cela, une semaine à Saint-Quentin pour cou-
ronner l’œuvre, et la pioche ensuite ; voilà notre bilan. »

Ce tableau, c’était l’Attente, une des toiles qui firent
sensation au Salon de 1875.

Enfin, il tenait un succès, il était sacré peintre, et, d’un
bond, il s’était élevé au premier rang.

Personne n’en fut plus étonné que lui.

« Mon vieux Jules, j’ai reçu le baptême du feu et rem-
porté ma première victoire. Mon tableau de cette année a
déjà son petit succès. Goupil l’a acheté avant le Salon, et
j’ai été exposé chez lui en compagnie de Breton, de Neu-
ville, Détaillé, etc., etc. La renommée commence à
apprendre mon nom. Je crois que je suis sur le chemin de
la gloire. Quatre marchands de tableaux sont déjà venus
depuis huit jours me demander quelque chose. C’est bête
comme tout. Voilà dix ans que je ne demande qu’à faire
un bon tableau et pas un ne venait me donner un coup de
main. Aujourd’hui qu’un petit succès est à l’horizon, ils
aboulent tous. Mais Goupil, plus
fort qu’eux tous, m’a retenu tout
ce que je fais et ferai. Une petite
esquisse de mon atelier, qu’il avait
vue par terre, a été empoignée sur
l’heure, et tout ce que je ferai devra
être vu d’abord par lui.

« Mon vieux Jules, je suis sur
le chemin de l’Institut. Quelle
bonne charge que l’existence! En
huit jours, je suis arrivé à me gober
comme je n’aurais jamais cru, par
la simple raison que, puisque ce
sont des marchands qui m’achètent,
c’est que je vaux quelque chose.

« Enfin, ça va, mon vieux Jules.
Quand nous serons gâteux tous les
deux, j’irai peut-être te voir en
palmes vertes. »

Et un peu plus tard :

« Ça y est, mes amis, je suis
couronné, nimbé. Voilà que tout
déboule. Les commandes arrivent,
la gloire, le sac, tout ; crois-tu,
ma vieille, que c’est drôle? Je n’en
reviens pas. »

Au milieu de sa joie, il eut une
grande douleur : il perdit un en-
fant. Et, chose qui le peint bien et
serait inexplicable chez un autre
que lui, il n’en fit même point part
à ses amis de Saint-Quentin.

« Mon vieux Jules, tu as bien raison de me faire des
reproches; mais, pour ces occasions-là, il est toujours
temps d’attrister ses amis.

« Et puis, j’en suis venu à ce point que je ne sais plus
comment j’existe. Il est bien certain que, pour toi, c’était
une question de convenance ; mais je te connais si bon,
que tu aurais été capable de te déranger pour venir : c’est
ce qui m’a empêché de t’envoyer la triste nouvelle. Après,
ma foi, j’ai tant à piocher, je suis tellement la cervelle à
l’envers, que je suis idiot en ce moment pour tout ce qui
ne touche pas à ma peinture. J’avais voulu faire faire des
lettres de faire-part, mais qu’est-ce que cela aurait prouvé ?
Je n’en aurais fait faire que pour t’en envoyer une et à mes
deux ou trois amis de Saint-Quentin. Je vous connais au-
dessus de cela, sachant bien que vous êtes au-dessus de
ces considérations. C’est un grand malheur pour nous. Je
fais en sorte de distraire ma femme. Je lui ai fait part de
ton offre, mais elle ne veut à aucun prix me quitter en ce

/

G-

Croquis d’Ul
 
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